Le lien qu’entretiennent la techno et l’électro est originel, et ne date donc pas d’hier ; on le décèle en particulier par la connivence dans les sons d’une part, dans la technique de la production de l’autre, que les deux genres maintiennent. Mais il demeurait, dans les grandes lignes, une opposition rythmique entre le four to the floor de l’un et le broken beat de l’autre. Cet enrichissement mutuel a pu occuper, depuis une dizaine d’années, cette dimension rythmique auparavant antagoniste, grâce à l’irruption d’une nouvelle proximité entre les patterns caractéristiques de l’électro et du breakbeat, et ceux de la “UK” techno. La complémentarité des productions anglaise et américaine a donc pris un nouveau tour, extrêmement riche, qui est loin d’avoir été épuisé. A l’heure où cette techno anglaise, précisément, trouve (ou cherche ?) un second souffle via de nouvelles influences et combinaisons, que ce soit avec la grime et le dubstep, avec la techno industrielle linéaire, ou avec le dancehall et la club, cette voie-là d’innovation est trop peu courue et mérite qu’on s’y attache. Cela demandait sans doute, avant, l’extraordinaire retour de l’électro sur le devant de la scène que l’on a connu.

De cette veine, Annie Hall pourrait être l’une des ambassadrices. La palette de l’artiste espagnole, diverse et variée, comprend aussi bien techno classique (“Bamboo”, Monde Bruits”) qu’électro (Sky Watcher”), ambient expérimental (Random Paraphilia”), à chaque fois dans les règles de l’art. Et dès le début de sa carrière, on a senti l’alternance entre des morceaux très texturés à d’autres très bruts. Mais plus les productions sont récentes, plus elles témoignent d’une recherche toujours mêlée d’électro et de techno qui vient, alors, aboutir en une techno version anglaise ; c’est en ce sens qu’il faut percevoir sa première sortie sur CPU, Tenured Positions, et son EP Statics sur Musar. (Il faut noter que c’est la force de CPU, par exemple, de ne pas se restreindre à la seule électro bien que ce soit avant tout un label…d’électro. Voir ici nos analyses du label). Ici, on retrouve comme un résultat ce qui, bien souvent, est un point de départ : les premières productions d’Annie Hall sont très différentes des grands labels mancuniens et londoniens des années 2010, les plus récentes en sont proches.

On retrouve exactement ce phénomène dans le nouvel EP Fum, sorti chez Central Processing Unit, dont les quatre morceaux se complètent très bien à cet égard. Verd Mar” (A1) et Promesses de Fusta” (B3), à l’ambiance planante et éthérée, rehaussée par des sons métalliques et cristallins, ont une base rythmique plus continue et lisse que D’un Altre Planeta” (A2) et “Fum” (B1), plus directement dans l’esthétique hachée propre et mécanique, aux phrases mélodiques principales très brèves (une seule mesure). Si donc deux morceaux rappellent très directement l’influence électro, et deux autres rappellent plutôt la beauté des nappes de Detroit, où Annie Hall a vécu, tout ceci n’est jamais séparé, et s’appuie sur une construction rythmique qui se situe toujours entre deux – ni broken beat vertical, ni linéarité unique. Petite gourmandise : on notera la touche très personnelle des claps et snares, dans tout l’EP, qui contribue à son alchimie savante.

Nous proposons ci-dessous D’un Altre Planeta”. Sur motif percussif à quatre temps construit comme un break, la basse donne l’empreinte sonore par une ligne mélodique très simple, tierce mineure descendante. Des sons et gargouillis de machines viennent habiter l’arrière plan, tandis que des harmonies légères font irruption en dialogue, comme un chant contemplatif qui apaiserait la régularité des premiers éléments. Comme son nom l’indique, D’un Altre Planeta” lie à la répétition du mouvement des astres leur beauté majestueuse, et nous en propose une lecture paisible.

L’EP est disponible ici.

Tracklist :

A1. Verd Mar

A2. D’un Altre Planeta

B1. Fum

B2. Promesses de Fusta