Atra Bilis - Melodry (Rognvald Remix) (Beat Machine Records)

Le label milanais Beat Machine Records, que nous suivons depuis un moment, a su se constituer, au fil de ses sorties, une ligne désormais bien établie, marquée par un style hybride : la claire volonté d’une direction dancefloor, proche de la “UK bass” au sens large mais surtout orientée drum and bass, se voit mâtinée de sonorités plus EDM aux textures moins rondes, donnant même l’occasion, parfois, d’EPs ou d’albums franchement expérimentaux. Fidèle à cette histoire, leur 28e sortie, Lauch Into par Atra Bilis, propose un habile duo de styles, rythmiquement dominé par la jungle, mais sonorement marqué par des synthés typiques de la rave (presque de hardtekno) et de l’EDM au sens large (sons puissants et soufflés, chargés d’effets, dans “636” ; basse rugueuse et ventilée dans “Melodry“).

Cet artiste, repéré à Milan même par le label, annonce donc d’emblée ses références à la scène UK des années 90. Il s’agit là de son tout premier EP ; à part lui, il n’a produit qu’un morceau expérimental pour One Instrument (“Korg Monologue”). Il n’est donc ni facile, ni difficile, de le présenter ; et le projet Absovelw, derrière lequel il se tient, est pour l’instant trop neuf pour en dire long sur sa personnalité. Mais ce flou a son très bon côté. Il est, comme toujours avec les nouveaux artistes, intéressant de voir ce qu’Atra Bilis deviendra : au poids d’un passé – qui devient nécessairement un point de comparaison, pour le public comme pour soi-même – se substitue ici l’ouverture d’un futur, et c’est pour cette raison qu’il est musicalement passionnant de découvrir, très tôt, ceux qui se lancent.

Nous proposons ici le troisième morceau de l’EP, un remix de “Melodry” par Rognvald. Rognvald, producteur écossais, n’en est, lui, pas à ses premières armes : fidèle du label Love Love Records, mais très difficile à classer, il a une palette assez large, d’une disco très acide à de la jungle pure et dure, qu’il explore dans toutes les directions, parfois à la limite de l’expérimentation, de l’ambient à la déstructuration complète de la jungle. Il témoigne en tout cas dans cet EP d’un sens subtil de l’architecture d’un morceau, et en particulier du remix. Il conserve et remanie les deux éléments de “Melodry“, la track originale, qui en sont les caractéristiques les plus propres : la mélodie fine et ethérée, et la basse rugueuse, rapeuse, en trois notes. Au milieu d’un morceau résolument jungle – conforme au style de Rognvald -, par légères touches la mélodie lointaine de Melodry vient rappeler une certaine mélancolie ; il faut noter que c’en sont les sons, bien que légèrement modifiés, et surtout l’harmonie (les accords), qui font la trame du long début (plus de deux minutes) du morceau, calme et doux, relevés seulement par des percussions aiguës (cymbales, hi-hats, caisse claire) qui savent annoncer la suite tout en laissant sa place à l’ambiance du morceau original. La suite, c’est en effet un drop de jungle, fort et très énergique, qui vient rompre la fragilité du long début. Mais ici encore, Rognvald rappelle le morceau original, en convoquant le deuxième élément marqueur : tout en bas du spectre sonore, en infra-basse, loin en dessous des basses flottantes typiques de la jungle, l’oreille retrouve les trois notes et les sons rugueux du synthé de basse de Melodry (par exemple à partir de 1min46, et 5min01). Art du remix et qualité intrinsèque d’une track jungle : voilà ce qui rend un EP intéressant et capable de renverser un dancefloor – soyez prêts pour le deuxième drop !