Hydre musicale et visuelle tentaculaire, Klasse Wrecks est un label, une collection de recueils visuels, la maison de plusieurs sous-labels et surtout l’antre de jeu de Lucas Hunter aka Luca Lozano, maître à penser de cet édifice mû par ses pulsions artistiques. De la musique rugueuse et des expérimentations visuelles aventureuses, tout est question de style et Klasse Wrecks n’en manque pas. Il y a (déjà) plusieurs mois, nous avions échangé avec Lucas sur cet univers, le sien.

Salut Lucas ! Comment ont été ces derniers mois, entre couvre-feux et isolement ? 

Salut ! J’ai essayé de rester occupé, et les choses se sont bien passées dans l’ensemble. On a augmenté la cadence avec les sorties du label et les retours ont été très prometteurs, ça nous a appris à être plus discipliné et plus organisé. 

Tu diriges avec Mr. Ho Klasse Wrecks et toutes ses sous-structures : comment tu gardes le fil de toutes les sorties ? 

Je ne sais pas, tout est dans ma tête. On n’a aucun calendrier précis à suivre et on ne sort de la musique que lorsque l’on a trouvé de l’or. Le fait d’avoir tous les sous-labels nous permet de les orienter vers des styles précis et lorsque je trouve quelque chose qui me parle, il est plus facile de le diriger sur un label donné. On a récemment (cette interview a été faite au printemps 2021, ndr) ressuscité le sous-label Junglish Massive pour une sortie de Mr. Ho, Mogwaa et l’alias de Soichi Terada, Sumo Jungle. C’est bien d’avoir une direction pour chaque style. On travaille sur le label tous les jours, je vais m’assoir à un bureau plusieurs fois par semaine où il y a beaucoup de post-it et de notes sur les murs. Elles finissent par se régler d’elles-mêmes, je ne sais comment. Comme le souligne notre devise : « le chaos est organisé ». 

Klasse Wrecks est reconnu pour sa direction artistique. Quelles sont tes influences pour les pochettes des disques ? 

Je suis un étudiant en graphisme qui a abandonné ses études et qui crée des œuvres depuis la fin des années 90. L’aspect visuel est toujours la préoccupation numéro une. Je fais ce métier depuis si longtemps que je ne suis même pas sûr de mes influences directes, mais il y a beaucoup de naïveté et d’erreurs dans mon travail. À mes débuts, j’ai été influencé énormément par un type qui s’appelle Buddy Esq Jr. ; il a dessiné beaucoup d’affiches de jam sessions de hip-hop à New York. J’aime aussi le design des affiches de punk hardcore américain, quelque chose dans le contraste brutal des trucs photocopiés me parle. Je n’aime pas trop l’entre-deux, je trouve cela plus facile de travailler avec une palette limitée. Je réutilise beaucoup de matière et je me réapproprie des éléments que j’ai collectionnés. J’aime quand je peux détourner la signification originale. En dehors de tout ça, je suis fan des graffiti de la fin des 70’s et du début des 80’s, j’incorpore toujours des éléments de cette culture dans nos pochettes. 

Cela donne l’impression que chaque entité a sa propre direction, mais que tout est relié on ne sait comment. 

Et bien, ils sont tous liés entre eux parce que je crée tout ce qui figure sur les labels. Tout passe par ma vision et mes décisions. C’est intéressant de voir et d’entendre comment les autres interprètent ce que l’on fait, je suis si impliqué, c’est un travail quotidien que parfois je ne vois plus ce qui est en face de moi. 

Quelle était l’idée derrière le projet KFAX ? C’est (presque) un travail archéologique. 

Je collectionne les logos de maisons de disques depuis des années maintenant, prenant des clichés de ceux qui me plaisaient et m’en inspirant pour mon propre travail. À un moment donné, il m’est apparu évident que je devais les rassembler et les publier dans un livre en tant que collection. La majorité des labels sont aujourd’hui disparus et n’existent plus. C’est donc une façon de préserver le passé et de le présenter à un nouveau public. J’aime regarder le livre et ressentir cette immersion dans le passé, chaque logo représente les rêves et les aspirations de quelqu’un, et son désir de diffuser de la musique dans le monde.

Comme la première a été si bien accueillie, il m’a semblé évident d’en faire d’autres et il est étonnant de constater qu’elles s’additionnent toutes pour ne former qu’une énorme archive. Travailler sur chaque thème correspond vraiment à ma nature, je pense avoir un faible niveau de trouble de l’attention et je peux travailler intensément sur quelque chose pendant un court laps de temps avant que quelque chose ne fasse tilt et qu’il me soit impossible de continuer à travailler. Je bosse sur ces thèmes en rafales et ça peut être assez maniaque !

Nous avons toujours voulu que Klasse Wrecks soit plus qu’un simple label sortant de la musique, les possibilités sont infinies et c’est incroyable d’avoir un support qui peut recevoir mes idées. Les fanzines n’en sont qu’une petite partie.

Musicalement parlant, comment décris-tu Klasse Wrecks ? 

Je n’ai pas vraiment besoin de le décrire et c’est mieux ainsi. Une fois que vous êtes dans une boite, il est très difficile d’en sortir et on a tellement d’envies et d’influences différentes qu’il est juste impossible de dire que l’on est ceci, ou cela. Il y a des musiques récurrentes sur le label bien entendu, je suis attiré par la musique (et l’art) imparfaite et touchante. Je ne suis pas très intéressé par les tracks exécutées à la perfection, lisses et parfaitement mixées. Il doit y avoir une touche d’humour ou au moins la capacité à ne pas se prendre trop au sérieux. 

La musique que l’on sort reflète ce que l’on aime ; je suis arrivé à un stade où je n’écoute plus rien à l’exception de ma propre musique et de mes propres labels, à l’exception du rap. L’univers de Klasse Wrecks est tourné vers l’intérieur ; je m’inspire surtout des artistes que l’on sort. Je passe mes journées à écouter mes propres mixes, nos anciennes sorties et les disques que l’on va bientôt sortir. Sinon, je suis trop distrait par ce que font les autres et je n’ai pas besoin de ça. Je préfère me concentrer uniquement sur ce que l’on fait, j’espère qu’il en résulte une identité plus forte, unique. 

J’ai remarqué que le logo de Klasse Wrecks n’est pas le même d’un disque à l’autre, parfois au courant de la même année. Changer et explorer des choses pour rester frais et pertinent ? 

Quand j’ai lancé le label, la façon dont je voulais qu’on soit perçu était très claire dans ma tête. Je veux que nos disques ressemblent aux disques bizarres que l’on trouve sous une table dans un vieux magasin de disques, le genre de disque que tout le monde néglige et qui reste là, à prendre la poussière. Je veux que nos disques aient l’air particuliers et sans rapport avec le reste. Chaque disque est une œuvre d’art à part entière et je veux que le graphisme le reflète. Je passe des heures à m’assurer que le design s’adapte à la musique à chaque fois et que chaque artiste reçoit l’attention qu’il mérite. Chaque fois que nous signons un disque, je me demande si le monde en a vraiment besoin, et ça m’aide à maintenir un contrôle sur la qualité. Comme je l’ai déjà mentionné, mon déficit d’attention me fait travailler rapidement sur chaque projet et dès que je m’en lasse, je passe à autre chose… Je pense que cela aide à garder les choses fraîches et à aller de l’avant.

Klasse Wrecks
affiches, visuels et créations originales – © Lucas Hunter/Planet Luke