Pour ceux qui ne connaîtraient pas Guilhem Simbille, c’est un type qui ressemble à Daniel Day-Lewis dans Gang Of New-York (surtout au niveau de la moustache) et qui a l’élégance d’un dandy ou encore d’un jeune homme moderne. Une regard furtif, malicieux et captivant qui fait qu’on se dit rapidement que celui-là, il doit avoir de belles histoires à nous raconter et qu’il a dû voir pas mal de choses dans sa vie. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Guilhem Simbille c’est également la tête pensante du festival Elektricity depuis maintenant quatre ans et qui a réussi à faire de cet évènement ce qu’il est aujourd’hui. Enfin, pour ceux qui ne le savaient pas, Guilhem Simbille c’est une des premières personnes à nous avoir aidé dans le développement de Phonographe Corp et de nous avoir fait confiance quand on commençait à peine. Véritable personnage du paysage rémois, c’est avec enthousiasme qu’il a accepté de répondre à nos questions et de nous parler de lui, d’Elektricity et de cette dixième édition. Rencontre avec cet homme du temps présent.

– Dis-nous un peu d’où tu viens et comment tu t’es retrouvé à bosser pour Elektricty?

Je suis rémois d’adoption, mais je viens d’une ville loin de tout et où il fait bon s’ennuyer quand on a 18 ans, Brive-la-Gaillarde… J’ai vécu à Londres deux ans et j’ai pas mal bougé dans ma prime jeunesse. Par la suite je suis devenu graphiste et j’ai entamé une vague carrière d’indépendant, principalement pour des institutions culturelles. Mais je ne trouvais plus vraiment de plaisir dans ce travail de forcené. Quand Cyril Jollard est revenu à Reims pour prendre la direction artistique d’Elektricity aux côtés de Péa (Yuksek, le créateur du festival) je me suis proposé de les rejoindre, pour gérer l’image et la communication. C’était en 2004, lors de la deuxième édition. On a passé comme ça plusieurs années à travailler ensemble sur le projet pour le développer. Cyril était à la programmation, moi à la communication tandis que Péa devenait Yuksek avec le succès qu’on sait.

Nous avions nos bureaux au centre culturel Saint-Exupéry. C’était notre bunker. Aux côtés de Cyril aujourd’hui au Lieu Unique à Nantes, Jean Perrissin aujourd’hui au Cabaret Vert à Charleville, Rachel Cordier aujourd’hui à la direction du Confort Moderne à Poitiers, François Vasseur aujourd’hui à la Gaité Lyrique, Pierre-Alexandre aujourd’hui Yuksek et Louis notre stagiaire com en 2006 aujourd’hui Brodinski, nous avons conduit ce projet en ayant le souci de le développer, d’en faire un événement singulier.

Nous avons vécu de très beaux moments ensemble, plein d’exaltation et de plaisir. C’est pendant cette période que s’est formée cette fameuse scène rémoise dont on parle beaucoup aujourd’hui… Avec toutes ces personnes nous avons emmené le festival d’un point A à un point B jusqu’en 2008. Début 2009, Cyril est parti pour Nantes, à la programmation musique du Lieu Unique avec des projets magnifiques en perspective.

La Cartonnerie (qui était déjà coproducteur avec Césaré depuis plusieurs années) a alors repris la gestion du festival et c’est assez naturellement qu’on m’a proposé le poste que j’occupe aujourd’hui. C’est un beau cadeau qu’on m’a fait en me confiant  la DA de ce festival, qui plus est, dans ma propre ville. Et comme j’aime bien, après tout faire le graphiste (surtout pour cet événement), j’ai tenu à conserver ce rôle de metteur en images. Aujourd’hui, je gère 80% de la programmation, toute la ligne graphique et le site, une partie de la coordination avec les structures qui accueillent Elektricity et une bonne partie de la rédaction des supports de communication aux côtés d’Antoine Carbonnaux.

– C’est la quatrième année que tu es à la tête du festival, quelle dimension voulais-tu lui donner quand tu en as pris la direction artistique ?

2009 a marqué un tournant… La Ville de Reims souhaitait que nous proposions un gros événement, au cœur de la cité. On a répliqué par les soirées du Parvis. La dimension un peu exceptionnelle d’Elektricity s’est imposée sur ce concours de circonstances.

De mon côté, je m’attache autant aux découvertes qu’aux têtes d’affiche. Je tiens à ce que des artistes comme Etienne Jaumet, Pentile ou Chassol aient leur place sur cet événement au même titre que Laurent Garnier ou Justice. À titre personnel, je voulais vraiment que le festival ait une couleur plus pop qu’à ses débuts. D’une certaine manière je voulais qu’il me ressemble un peu et qu’il reflète aussi le parcours de Yuksek, son créateur. Je pense avoir à peu près réussi mon coup de ce côté-là, même si ça a fait grincer des dents les amoureux de la techno et du dubstep…

Pour revenir à la question, voilà la vraie dimension d’Elektricity : confronter sur une même affiche des figures internationales, des artistes issus des cercles de la musique expérimentale et des new comers comme Tristesse Contemporaine (prem’s à les recevoir hors des murs de Paris en 2010) ou Baxter Dury que nous étions les premiers à recevoir en province l’an passé… C’est un numéro d’équilibriste parfois difficile mais aujourd’hui il me semble que nous sommes parvenus à résoudre cette équation.

Elektricity est une sorte de synthèse, une association unique en France d’une SMAC (la Cartonnerie) et d’un Centre national de Création Musicale (Césaré). C’est cette rencontre de deux structures très différentes qui permet de proposer un événement aussi singulier. Inversement, c’est un projet comme Elektricity qui rend possible cette association unique.

– « Musiques du temps présent ». Qu’est-ce que cela représente pour toi ? Dans quel sens penses-tu qu’ Elektricity incarne cet esprit ?

En 2009 encore, l’idée de faire venir Pierre Henry (le doyen des vétérans des vieux de la vieille de l’ancien testament de la vieille école) m’est venue alors que je buvais un verre en terrasse. En rentrant, j’ai réécouté “Messe pour le Temps Présent”, le ballet qu’il avait composé pour Béjart en 67. La headline est née comme ça, d’un clin d’œil à Pierre Henry et de la nécessité de cultiver la différence d’Elektricity. Voilà ce que ça signifie pour moi, un sous-titre à la fois référencé, hors du temps, élégant et différent. J’en suis assez fier… et j’adore m’auto-congratuler comme ça.

Elektricity est un festival qui sera toujours le reflet de son époque sans jamais verser dans le consensus mou, la tiédeur, ou la normalité. L’air du Temps Présent, c’est la créativité d’un type comme Nicolas Jaar, l’esprit épicurien de Sebastien Tellier ou la folie douce d’un Christophe Chassol. Pas les beats de Skrillex… En ce sens, Elektricity capte l’air du temps pour le vaporiser comme un parfum au-dessus de Reims.

              

– Quelle est la « philosophie» du festival ? Qu’est-ce qui différencie Elektricity des autres festivals de France ?

Nous cultivons plusieurs différences. Césaré, au travers de créations comme Sentivexplosion (de Delphine Huguet, la papesse du design culinaire), donne une teinte assez unique au festival, avec des artistes vraiment hors des cadres que l’on propose à un public plus large que leur auditoire de prédilection.

Ensuite, nous sommes clairement associés à cette fameuse Reims Academy. Nous nous sommes développés en même temps que Yuksek, Brodinski, the Shoes, Alb, ou les Bewitched Hnads… Nos trajectoires sont intimement liées. Ces artistes ont fait Elektricity. C’est la raison pour laquelle ils sont systématiquement de la fête, d’une manière ou d’une autre. C’est une des rares règles que nous nous imposons. C’est dans mon “cahier des charges”  que de donner chaque année une tribune à Yuksek et à Brodinski chez eux. Nous trouvons toujours un spot original pour qu’ils puissent prendre du plaisir sur leurs terres, devant leurs amis. C’est une autre différence.

Il y a aussi les lieux que nous investissons. Reims est une ville au patrimoine architectural exceptionnel. Le choix des lieux dans lesquels nous proposons des soirées associé au goût du Champagne constituent indéniablement une autre différence…

Enfin il y a l’image. Nous nous sommes très tôt attachés à proposer notamment au travers de nos affiches une image différente. On essaye de ne pas ressembler aux autres festivals de ce point de vue là.

– Quelles ont été les plus grandes difficultés que tu as rencontrées quand tu as commencé à travailler sur cet évènement ?

Aucune difficulté particulière… Non j’plaisante. C’est une bonne question. Délicate mais pertinente… Rétrospectivement, le montage de la première soirée du Parvis en 2009 a été une bonne tasse. Mais le plus difficile jusqu’ici a été d’exister auprès des médias nationaux. L’attention des journalistes a parfois été difficile à capter. Mais nous avons énormément progressé de côté-là, grâce notamment au travail de Violaine Oger chez Notorious, notre attachée de presse.

Cette année, la proposition artistique et l’ambition affichée de la dixième édition ont vraiment changé la donne. Il y a un réel intérêt pour le festival et le phénomène de la Reims Academy. Les choses ont bougé. C’est gratifiant.

– Et les moments les plus importants des éditions précédentes ?

Le premier parvis avec Garnier et Yuksek en 2009 a été un moment très important, un cap. On est passé dans une autre catégorie cette année-là. Je pense aussi aux deux soirées à la Cartonnerie de l’édition 2005… L’une avec un des tout premiers lives de Birdy Nam Nam, un blind test avec Xavier de Rosnay (de Justice) et Pedro Winter, une soirée très ambitieuse aussi avec un plateau chargé: Anticon, Mocky, Tarwater et Carl Craig… Le concert de Air en 2008, le set surprise de Oizo en 2006, le live de Justice en 2007, un set d’ErikM en 2009, le concert de Zombie Zombie à l’Appart’Café en 2010, les Shoes et Brodi sur le Parvis l’an passé… Tous ces moments ont été importants pour nous.

– Parle-nous un peu de cette 10ème édition ? 

J’ai envie de dire “Champagne”. On s’est donné beaucoup de mal pour que cette dixième édition revête l’aspect d’une grande fête, une sorte de célébration. Je voulais que l’intention qu’on met dans nos propositions transpire tout de suite, que le public sente instantanément notre envie de donne du plaisir. Sébastien Tellier au pied d’une Cathédrale en train d’invoquer Dieu et de faire une vieille blague sur la danse classique, ça ne manque pas de panache. Et il y a tout le plaisir que nous avons de recevoir Cassius, SebastiAn, Woodkid ou Chassol.

En clair, nous avons souhaité que cette édition soit placée sous le signe du plaisir… Je pourrais parler des heures des artistes programmés…

– Pourquoi avoir choisi Chassol comme invité du festival ?

Chassol, c’est un peu mon pêché mignon. Je suis dingue de lui et de son travail. Dans la vie il est génial… Très très drôle. L’an passé je l’avais invité à jouer “Nola Chérie” à la Comédie. Avant qu’il ne monte sur scène, je lui ai parlé de cette carte blanche pour 2012… Il m’a regardé avec un air surpris. Il ne comprenait encore pas comment on pouvait s’intéresser à sa musique. Il a joué devant 900 kids qui étaient venus pour Yuksek et il a simplement retourné la salle… En sortant de scène on a bu un verre et le projet a pris forme à ce moment-là. Au printemps il m’a reparlé de sa pièce sur l’Inde et j’ai sauté sur l’occasion pour participer au montage du projet “Indiamore”. C’est une immense satisfaction pour moi et pour Elektricity de l’avoir cette année en fil rouge et d’avoir la primeur de cette nouvelle création. Vraiment. Et puis un jour, je n’en doute pas une seconde, il sera considéré comme un artiste culte, comme Ravel ou Debussy, dont on collectionnera les partitions. Des lycées porteront son nom !

                 

– The Bewitched Hands « love & 8 », tu peux nous en dire plus ? Une sorte de Penny Loafers Orchestra des Shoes ? Si oui, est-ce dans ta volonté de créer des lives exceptionnels avec les artistes locaux pour le festival ?

Avec ces artistes-là, il y a une complicité évidente. Nous sommes amis dans la vie et on se voit souvent pour parler de nos projets respectifs. L’an passé j’avais demandé à Guillaume des Shoes d’imaginer une formule étendue pour ce concert sur le Parvis… PLO est né comme ça. Sur une nappe de restaurant on a griffonné un vague plan de scène. Et voilà, le tour était joué…

Pour les Bewitched, j’ai parlé à Anthonin d’un concert sur le Parvis au nouvel an. Il a directement imaginé des choses délirantes autour de ce concert. J’ai amené le nom un peu de la même façon, autour d’un verre après une résidence cet été. Je ne peux malheureusement pas en dire plus… Je suis tenu au secret professionnel. Les Bewitched veulent garder un peu de mystère… La seule chose sur laquelle je peux m’avancer, c’est que ça promet d’être un concert vraiment exceptionnel. Et puis l’album qui sort en septembre, la semaine du festival, est une merveille. Ils ont réussi à faire un très très grand deuxième disque… Un tour de force pas évident du tout.

– Quel est le moment que tu attends le plus, le temps fort de cette édition pour toi ?

Je ne peux pas me prononcer sur un temps plus fort qu’un autre… Les gens qui me connaissent un peu savent que je suis un immense fan de Sebastien Tellier, depuis la première heure… Donc je suis très heureux de le recevoir enfin à Reims. Et devant une cathédrale, son trip mystico-cosmique communautaire risque de prendre un tour assez beau. C’est un grande satisfaction.

Mais j’attends surtout le début des festivités, pour être enfin dedans. Je travaille sur ce projet toute l’année. Donc c’est toujours avec impatience, et pour tout dire un peu d’appréhension, que j’attends le festival…

– Deux parvis cette année, c’est quoi la prochaine étape pour le festival ? Tu comptes garder le côté intimiste et majestueux du festival avec le parvis de la cathédrale, ou tu imagines les choses encore en plus grands ?

Nous n’en sommes pas là. Deux parvis c’est déjà un pari audacieux. Je pense qu’en terme de jauge on est sur quelque chose qui reste à taille humaine. Et Reims n’est pas une très grande ville. Je ne sais pas si nous devons aller vers quelque chose de plus grand. Je ne suis pas forcément fan des jauges pharaoniques. Et puis les contraintes ne sont plus les mêmes quand tu veux recevoir 15000 personnes plutôt que 5000… L’avenir nous le dira… À titre personnel, j’aime beaucoup le côté mystique du Parvis de la Cathédrale. C’est un joli symbole auquel le festival se frotte.

– Est-ce que tu avais imaginé que cela aurait pu prendre une telle ampleur quand tu es arrivé ?

Pas vraiment. En prenant la succession de Cyril Jollard, je ne raisonnais pas vraiment en terme d’affluence, mais plutôt de pertinence de l’affiche. Aujourd’hui les choses ont changé, c’est certain. L’ampleur qu’a pris ce rendez-vous, ne serait-ce que dans l’inconscient des rémois, est assez incroyable. Ça me touche beaucoup. C’est une autre satisfaction. Mais c’est surtout le travail en amont, sur les neufs  premières éditions, qui a rendu le festival aussi conséquent aujourd’hui. Je pense à Gérald Chabaud, le directeur de la Cartonnerie qui a très tôt cru au projet et l’a toujours défendu, Christian Sebille et Phillipe le Goff (ancien et nouveau directeurs de Césaré) qui ont eu l’audace de s’impliquer dans Elektricity, les élus de la Ville de Reims, l’ensemble des structures qui nous accompagnent depuis longtemps (je pense particulièrement au Centre Culturel Saint-Exupéry), et tous nos partenaires.

– Comment tu imagines Elektricity dans 10 ans ? A quoi ressemblerait la 20ème édition ?

Après cette tirade un peu solennelle, je vais m’autoriser une petite embardée. Dans 10 ans, la ville de Reims aura bien changé, je n’en doute pas. Nous vivrons  dans une autre époque. Il me plait de penser que nous pourrons nous télétransporter et qu’il sera dès lors techniquement possible d’embarquer le public d’Elektricity au bord de l’océan et de lui proposer un concert de Sebastien Tellier piano solo les pieds dans l’eau face à l’horizon. Et si, d’aventure, le temps était mauvais, nous pourrions décider de tous partir pour l’hémisphère sud instantanément et de s’assurer une soirée inoubliable avec le vent chaud dans le cou… Sur ce principe nous pourrions imaginer les concerts et les soirées le plus folles. Elektricity pourrait avoir lieu partout et n’importe quand…

Plus sérieusement… J’espère que d’ici dix ans nous aurons proposé des concerts en haut des tours de la Cathédrale ou à l’intérieur la Chapelle Foujita, dans le futur musée des Beaux-Arts ou dans des jardins privés… Je souhaite qu’Elektricity soit innovant chaque année et qu’il soit toujours le reflet de son époque et de son territoire…

– S’il y avait un groupe ou une personne que tu aimerais inviter l’année prochaine qui ce serait ?

C’est une question très difficile. Je ne peux que parler des artistes auxquels je pense à l’instant. Il y a bien sur Gonzales et son piano ou Kindness que j’aime énormément. Je pense aussi à Pantha du Prince ou John Talabot. Mais patience… Une édition de Printemps d’Elektricity est prévue fin mars début avril…

– Tu te rappelles de l’anniversaire de tes 10 ans ?

Oui très bien ! C’était un dimanche d’hiver. J’avais l’impression que la vie allait changer, mais c’est arrivé plus tard. J’ai de très vagues souvenirs de cette époque en relation avec la musique. Je me souviens que j’avais un mange-disques, mais comme je n’en achetais pas encore (de disques) j’écoutais machinalement ceux de ma maman, des 45 tours des Beatles… Et j’ai le souvenir du générique de Radioscopiesur Inter. Nous l’écoutions en voiture quand nous rentrions de week-end avec mes parents.

Avec cette question, je réalise soudain que mon oreille (parfois trop) pop s’est formée l’année de mes dix ans 😉

– Qu’est-ce que tu dirais à nos lecteurs pour les convaincre de venir à Elektricty cette année ?

Au plaisir ! C’est l’idée qui me vient naturellement. J’ai envie de leur communiquer toute les intentions que nous avons mis dans le projet 2012. Je ne sais pas forcément comment formuler cette invitation au voyage. J’aimerais simplement leur faire savoir que Reims est une ville douce dans laquelle on peut prendre beaucoup de plaisir, avec de la grande musique.

Mais vous, Phongrapheurs, n’êtes-vous pas les meilleurs ambassadeurs de Reims ?

Sa chanson du festival: