Commençons par le commencement: Koreless est né à Bangor au Pays de Galles, la ville qui a accueilli les Beatles en 1967, lors de leur initiation à la méditation transcendantale par Maharishi Mahesh Yogi. Et c’est dans cette même ville que les femmes ont été élues les plus moches de Grande-Bretagne une trentaine d’année plus tard. Déjà, ça annonce la couleur ! Et je n’ai aucune idée de si ces deux évènements ont eu une influence dans la vie du jeune producteur gallois, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils n’ont pas altéré son talent.

Robert Lewis de son vrai nom, commence à faire parler de lui en 2011 grâce à un excellent remix de “The Look” de Jacques Green. Tout juste installé à Glasgow pour y suivre ses études, il se mêle rapidement à la vie musicale et artistique locale et sort, dans les mois qui suivirent son arrivée, plusieurs singles qui étonnent par la maturité qui s’en dégage alors que Robert n’a à peine 20 ans. Des débuts prometteurs dont on attendait la suite avec impatience. Et cette suite, il  y a un peu moins de deux semaines a pris le nom de “Yugen”, premier EP du producteur gallois sorti sur le célèbre label anglais Young Turks (The XX, Sampha, SBTRKT,…). “Yugen”, un nom étrange mais symbolique, pris en référence à un idéal esthétique japonais et qui témoigne de la complexité du monde de Koreless. Un univers sombre, parfois glacial mais qui, à sa façon, touche à une idée du beau, voire du sublime. Koreless nous livre avec cet Ep des morceaux hypnotiques, cérébraux, faits de répétitions et de montées spectaculaires qui prouvent le talents de ce jeune artiste. Une invitation à l’introspection, comme il est rare d’en voir mais surtout d’en écouter.

Peu avant la sortie de Yugen, Koreless intégrait la première promotion de la 15ème édition de le Red Bull Music Academy qui se tenait cette année à New York. C’est peu avant son live en première partie de Jon Hopkins et Four Tet que nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions sur sa jeunesse, son passage à Glasgow, ce nouvel Ep et sa carrière. Rencontre avec un artiste avec qui on aimerait bien partager une bière et refaire le monde.

– Dans la vie de tous les jours, tu t’appelles Robert Lewis. D’où est-ce que ton nom de scène vient-il ?

En fait ça n’a pas vraiment d’histoire,  je l’ai trouvé comme ça.

Tu es né et tu as grandi au Pays de Galles dans la ville de Baglor jusqu’à ce que tu t’installes à Glasgow pour tes études ? Comment est-ce que tu as commencé à t’intéresser à la musique électronique dans une ville de seulement 20 000 habitants ?

J’ai commencé à écouter de la musique électronique avec le dubstep. J’avais 15 ans quand ça a explosé et j’ai tout de suite accroché. J’écoutais beaucoup de reggae et de dub quand j’étais encore plus jeune. Le dubstep a donc été une musique qui m’était un peu familière.

– Et comment es-tu passé du dubstep à ton style actuel ?

J’aimais beaucoup l’« emotional dubstep », et quand je suis allé m’installer à Glasgow, j’ai rencontré plein de types qui faisaient de la musique et qui jouaient un peu partout dans les clubs de la ville. Ils m’ont montré ce qui pouvait se faire de mieux dans la musique, et du dubstep je suis passé à la techno, à la bass music, à la house,…

 – Quel impact la ville de Glasgow a-t-elle eu sur ton développement musical ?

Un impact colossal. Si j’étais resté à Bangor, je n’aurais jamais commencé à faire de la musique sérieusement ! Tu vois, en Grande-Bretagne, les différentes scènes sont connectées entre-elles grâce à internet. Mais faut-il encore être là où il y a une scène et une activité. Au Pays de Galles, il ne se passe rien au niveau musical, et encore moins à Bangor. Alors qu’à Glasgow c’est tout le contraire. Etre directement impliqué dans cette scène m’a énormément appris sur mon travail de producteur et de musicien.

– Tu as pas mal joué avec Hudson Mowhawke, Rustie, Jackmaster, LuckyMe,… tous les artistes actuels de la scène de Glasgow. Est-ce que tu te considères comme un membre de cette scène ou tu essaies de rester indépendant ?

 Je dirai que Koreless est né à Glasgow. Mais la musique que j’essaye de faire maintenant n’a rien à voir justement avec cette scène musicale et le Koreless des débuts. Je suis un peu indépendant.

– Quand tu es arrivé à Glasgow, est-ce qu’ils t’ont vu comme leur petit frère qu’ils ont pris sous leur aile ?

Oui pendant des années ! Ça me fait bizarre de repenser à cette période. Maintenant on est de très bons amis. Mais tu sais, beaucoup de ces artistes ont quitté Glasgow pour Londres : Jackmaster, Hudson Mowhawke ou Rustie, mais lui il vient de revenir. En fait, il n’y a pas beaucoup de vols qui passent par Glasgow et tu es souvent obligé de faire une escale à Londres. Au bout d’un moment quand tu tournes beaucoup, tu préfères rester à Londres !

– Selon toi, qu’est-ce qui fait la force d’une scène musicale comme Glasgow comparée à celle de Londres ?

Glasgow c’est un village à côté de Londres. Tu retombes assez vite sur les personnes qui se bougent et font de la musique. Tout ces gens vont aux mêmes soirées, fréquentent les mêmes lieux. Tout le monde se croise et se rencontre et au bout d’un moment ça devient tes potes. C’est un petit groupe de personnes, mais assez courageuses pour faire des choses intéressantes, et c’est ce qui fait que la scène locale est aussi soudée.

– Tous les artistes de la scène locale, tu les a rencontré parce que tu faisais de la musique  ?

Oui la plupart. Sauf pour Hudson Mowhawke : sa petite sœur est une amie à moi.

image

– Mais il me semble que tu as quitté Glasgow pour Londres parce que tu as été diplômé ? Qu’est-ce que représente pour toi cette ville ?

Oui je vis à Londres maintenant. J’adore cette ville, mais c’est très grand. Je vais prendre mon temps pour tout découvrir.

– Tu as déménagé de Bangor à Glasgow pour étudier l’architecture navale, partie de l’ingénierie traitant de la construction de structures navigantes. Est-ce que tes études ont une influence dans ta musique ou sur ton processus de production ?

Ce sont des études d’ingénieur à la base. J’ai donc assimilé toutes les règles et la méthodologie de cette discipline Et ça m’aide énormément dans ma musique. Je n’ai pas une approche “funky” de mon travail mais beaucoup plus stricte, droite, même si je m’éclate quand je produis !

– Est-ce que tu as déjà pensé à mélanger les deux domaines pour un projet spécial ?

Oui bien sûr et peut-être que je le ferai mais plus pour un live avec un imaginaire tournant autour des grandes constructions navales, de l’ingénierie.

– Comment tu as fait pour aller à l’école, passer ton diplôme, produire ton dernier EP et faire des concerts en même temps ? Ça n’a pas été trop fatigant ?

Si vraiment ! Je n’ai pas réussi à tout gérer à la fois, j’ai dû faire quelques sacrifices. J’ai été diplômé mais pas avec de très bonnes notes. Mais je suis content que ça soit fini maintenant et que je puisse me consacrer à 100% à la musique. Mais après je pense que c’est faisable de faire de la musique et étudier en même temps : Floating Points par exemple est en PHD de Neuroscience, gère le label Eglo et est un producteur incroyable !

– Tu as enregistré Yugen, ton nouvel Ep, après avoir été diplômé. Peux-tu nous raconter dans quelles circonstances cela s’est déroulé ? Tu as pris ton temps ou justement tu t’es empressé de le finir ?

J’ai pris mon temps pour rassembler mes idées d’abord. J’avais un drôle de studio à côté sous un pont où passent des trains et où parfois il n’y avait même pas d’électricité. C’était vide, froid et les wagons passaient au-dessus toutes les cinq minutes et alors tout se mettait à trembler. C’était très bizarre et ça a eu un sacré effet sur mon état d’esprit d’être isolé dans un endroit pareil !

– Jai beaucoup aimé Yugen et je le trouve beaucoup plus cérébral et sombre que tes précédents morceaux (MTI ou 4AD) . Peux-tu nous expliquer ce choix ? Est-ce lié à une période importante pour toi ?

Oui bien sûr. Je me suis mis à composer les premiers morceaux de Yugen quand j’ai fini l’école et que je me suis dit que j’allais me consacrer entièrement la musique. La fin de quelque chose et le début d’une autre. Ça te fait toujours te poser des questions.

– Dans quelles conditions tu conseillerais à nos lecteurs d’écouter Yugen ?

Tout seul et au repos. Il faut être concentré, presque l’écouter comme si tu écoutais un cours en classe mais dans un cadre différent !

– Dans plusieurs tracks, on retrouve le sample d’une étrange voix de femme. C’est comme une obsession pour toi on dirait. Est-ce que c’est quelqu’un en particulier ?

C’est un secret, je ne peux pas te le dire !

– Au-delà de ce côté obsessionnel, je trouve que ta musique a un véritable aspect cinématographique. Elle pourrait très bien faire l’objet d’une bande-originale de film. Est-ce que c’est quelque chose auquel tu as déjà pensé ?

Oui c’est un projet que j’aimerais bien réaliser. Pas maintenant mais peut-être dans cinq ans. J’aimerais bien faire la musique d’un film de Science Fiction ou d’un long-métrage bien bizarre.

– Tu aimes le cinéma ?

Oui !

– Un de tes films préférés ?

La question impossible… J’ai adoré Beyond The Black Rainbow, je l’ai vu il n’y a pas longtemps.

– Comme on parle de tes futurs projets, j’ai lu, dans une interview que tu as donnée l’année dernière, que tu aimerais travailler avec Actress. Est-ce que c’est en bonne voie ?

J’adorerais en effet, mais non !

– Actress est plus techno, Sampha plus bass music, Jacques Green plus house pour club, tu fais même des remix de groupe de pop… Quand on regarde les personnes avec qui tu as collaboré (ou avec qui tu rêverais de le faire), on a l’impression que tu ne veuilles pas te restreindre à un seul genre de musiques.

C’est exact, j’aime pouvoir évoluer dans plusieurs genres de musiques à la fois.

– Est-ce que tu penses qu’un jour tu arriveras à faire quelque chose de vraiment opposé à ce que tu produis maintenant ?

Non quand même pas, je pense que si tu veux être un artiste cohérent, il faut savoir garder une sorte de ligne directrice et ne pas faire n’importe quoi. Moi j’adore faire des choses, produire. Je suis heureux tant que ça ne s’arrête pas.

– Et est-ce que par exemple ça te plairait de te mettre au Dj set ? Parce que là tu fais uniquement des lives ?

Je l’ai fait de temps en temps, mais c’est difficile. Si je m’y mets vraiment, j’aimerais produire à côté des morceaux très « club » et percutants qui font danser le public jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Mais là je préfère me concentrer sur mon live qui est en réalité à l’opposé de ça : beaucoup de nappes, presqu’aucun kicks et tout dans l’évolution des textures.

Comme on parle de ton live, comment le prépares-tu ?

Je ne le prépare pas vraiment. J’ai une grande partie de mes pistes qui sont prêtes et je me concentre vraiment sur la progression. Je m’adapte à la salle aussi parce qu’il m’est arrivé de jouer dans des petites endroits comme de jouer dans des plus gros, comme ce soir, ou même à des festivals.

– Mais tu as commencé à produire des morceaux plus « club » avec Sampha lors de votre projet Short Stories. Comment tu l’as rencontré au fait ?

Ça remonte à deux ou trois ans au moins. On a commencé ça en 2010 ou 2011. Je jouais à la Boiler Room à Londres et je suis resté un peu plus longtemps que prévu. Sampha m’a invité à vivre chez lui mais il faisait très froid parce qu’on était en plein milieu de l’hiver. On s’enroulait dans des tapis pour dormir tellement qu’on se les gelait ! Au final on est resté enfermé dans son appart et on n’a fait que composer. A la fin du séjour on avait deux ou trois tracks. Et c’est deux ans plus tard, en mars dernier que Young Turks a décidé de les sortir sur un Ep avec ce projet intitulé Short Stories.

– Le fait que tu souhaites rester ouvert musicalement, est-ce la raison qui t’a convaincu de travailler avec Young Turks, label qui met en avant cette volonté dans le choix des artistes qu’il signe ?

Oui en quelque sorte. Yong Turks est un label très ouvert musicalement et c’est ça qui fait sa force je pense. Mais aussi parce que ça faisait assez longtemps qu’il suivait de près mon travail. Je pense que les gens du label ont senti que je ne voulais pas faire quelque chose qui ressemble à du dubstep ou à de l’IDM, mais que j’avais l’envie de créer mon propre son. C’est pour ça qu’ils ont pensé que je pourrais être à l’aise chez Young Turks.

– Ce soir tu joues aux côtés de Four Tet pour les 15 ans de la Red Bull Music Academy. Qu’est-ce que tu penses du fait qu’aujourd’hui, un des acteurs principaux de la scène électronique, soit une marque de boisson énergisante ?

Je pense que c’est super ! La Red Bull Music Academy n’a pas été créée pour faire du « corporate ». Elle aide beaucoup la scène électronique actuelle et en plus elle le fait bien. Je ne pense pas que si ça avait été développé par une autre très grosse marque ou très grande entreprise, ça aurait eu le même succès et la même reconnaissance du milieu artistique. Et je suis content d’avoir fait partie de la promotion des 15 ans de la RBMA !

Yugen

Koreless – Yugen

Sortie le 20 Mai 2013 (Young Turks)