Peder Mannerfelt officie depuis près de 15 ans en tant que producteur, musicien et expérimentateur hors-pair. Sous le pseudonyme de The Subliminal Kid, il a collaboré avec des figures de la pop telles que Fever Ray, Blonde Redhead ou Glasser et a remixé des pontes du genre comme Massive Attack ou Lykke Li. Mais ces dernières années, il a également acquis une solide réputation au travers de ces projets solo sous son propre nom ou encore avec son duo avec Malcolm Pardon, Roll The Dice. Via se projet, ils sortent une poignée de disques (dont un incroyable enregistrement live au festival Atonal en 2017) aux tonalités expérimentales et analogiques. Très orientés sur la performance live, ils se distinguent rapidement aux travers de concerts déroutants et singuliers. En solo, Peder Mannerfelt enchaine les disques au sound design impeccable et aux construction protéiformes, proposant des excursions rythmiques et atmosphériques d’une rare finesse. Son dernier album en date, Daily Routine, est un melting pot de sonorités raves reconfigurées sous un angle hyper moderne. Psychédélique et dense, le disque explore différents territoires électroniques et mélange la techno à l’eurodance, la transe et l’ambient dans des morceaux à la singularité et à l’humour même parfois, appuyés. Nous l’avons rencontré afin qu’il nous parle plus en détails de l’intention derrière ce long format, et de comment sa vie de producteur et de famille influence son travail.

Peux tu te présenter en quelques mots ?

Je dirais que je suis un producteur de Stockholm en Suède. Je fais de la musique électronique qui peut s’apparenter à la techno.

Mais tu n’as pas commencé par faire de la techno n’est-ce pas ? Que faisais-tu lorsque tu as débuté ?

J’ai commencé par jouer dans des groupes. J’étais guitariste pendant longtemps mais j’étais loin d’être le meilleur alors j’ai commencé a expérimenter avec le son, avec des pédales d’effets et autres, cela m’a amené à la musique expérimentale et à des trucs plus influencés par la techno.

À quel moment es-tu passé de “musicien qui expérimente” à la production de façon plus professionnelle ?

C’était il y a environ 15 ans. Après l’école, je travaillais comme ingénieur du son dans un studio. Et c’est ainsi que j’ai appris la production et à utiliser les ordinateurs et autres dans cette pratique.

Lorsque j’ai découvert ton travail pour la première fois, c’était au travers de ton disque Swedish Congo Records. C’est, me semble-t-il, un disque qui incarne bien ton désir d’expérimentation. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

J’achetais des enregistrements de musiques africaines depuis un moment et dans un premier temps, c’était surtout dans l’idée de les sampler. Mais au bout d’un moment, j’ai eu l’impression que c’était un peu tricher, donc j’ai voulu en faire autre chose, en les prenant sous un angle différent. L’idée était alors de faire une sorte de reprise de ces musiques. Je suis donc parti des rythmes et des timbres en tentant de les re-synthétiser.

Est-ce que ce type de pratique influence ton travail de manière générale ? Si oui, de quelles façons ?

Bien sûr. Ce disque, par exemple, a représenté un vrai travail de recherche pour moi. J’ai beaucoup appris sur les rythmes et comment la musique était construite. Ça semble simple à première écoute, mais cela m’a absorbé pendant presque un an. J’ai fini par tout synthétiser, des percussions aux voix etc.. C’est un processus qui m’a beaucoup appris.

Tu as également travaillé avec Fever Ray. J’imagine que c’est une autre manière d’approcher la production et un processus différent. Comment as-tu abordé cela ?

J’ai travaillé sur le premier album il y a 10 ans, et j’étais aussi en tournée avec elle. Pour le nouvel album, je suis arrivé assez tard dans le projet. J’ai fini par travailler sur quelques morceaux et cela s’est fait assez naturellement. Karin (Dreijer aka Fever Ray, ndr) a une vision très claire de ce qu’elle veut, et elle est plutôt encline à faire les choses elle-même. Ce sont des échanges simples d’une certaine façon, nous n’avons pas besoin de beaucoup parler. Elle me laissait faire ce que je souhaitais et validait ou non à la fin.

Tu sembles aimer les collaborations. Qu’est-ce qui t’intéresse dans le fait de collaborer avec des gens ?

Le fait d’avoir des perspectives différentes. Cela fait progresser les choses plus rapidement. Les décisions se font plus facilement quand tu travailles avec quelqu’un.

Est-ce que ces collaborations t’apportent quelque chose dans ton travail personnel ? Ou est-ce que c’est complètement différent ?

Oui, ça influence définitivement ce que je fais de mon côté. Ça me motive à apprendre plus sur certains sujets ou cela me pousse à faire des choses différentes de ce que je fais habituellement. Je trouve ça agréable et vraiment utile.

Tu as lancé ton propre label il y a quelques années (Peder Mannerfelt Produktion). Est ce que tu peux nous parler de ce projet et comment il a commencé ?

C’était surtout une manière d’atteindre un but : être capable de sortir des choses dans un laps de temps relativement court. Je n’avais pas vraiment – et n’ai toujours pas – d’idée claire de ce que je veux faire. À la base, il s’agissait de sortir ma musique mais au fil du temps, j’ai fini par sortir d’autres projets de gens dont j’apprécie le travail.

Tu disais plus haut que tu faisais une musique qui peut s’apparenter à la techno mais tes disques récents n’ont que peu à voir avec la techno. Comment décrirais-tu ton dernier album Daily Routine par exemple ?

Je voulais que ce soit comme une collection des différentes choses que je fais. Je peux être assez angoissé à l’idée de ne pas avoir un son distinctif. Je voudrais pouvoir faire une chose et creuser une sonorité mais je me désintéresse rapidement de mes propres trucs. Je vais dans différentes directions, donc je me suis dit que cet album devrait être une collection de tout ce que je fais d’une certaine façon, et laisser cela définir mon travail.

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Et à quoi t’intéresses-tu en ce moment ? À quoi travailles-tu dans ton studio ?

Je travaille sur deux collaborations en ce moment. Je passe pas mal de temps avec mon ami Pär Grindvik car nous avons un projet intitulé Aasthma. On l’a commencé sans vraiment avoir de plans, mais on fait beaucoup de musique ensemble et essayons encore de définir les choses. J’ai aussi un projet avec Roll The Dice intitulé Assimilarity, où nous invitons différents artistes à faire un morceau avec nous. Au lieu de sortir un album en intégralité, nous allons faire un morceau à la fois et le sortir aussitôt terminé. C’est aussi très stimulant d’ouvrir le projet à d’autres et d’inviter des artistes que nous admirons et dont le travail nous inspire.

Daily Routine possède un certain sens de la dérision, que ce soit au travers des titres des morceaux ou dans certaines constructions. Penses-tu que la musique électronique ces temps-ci, particulièrement la techno, a tendance à se prendre un peu trop au sérieux ?

Oui absolument. C’est quelque chose que je trouve assez ennuyeux au final. J’ai donc voulu que ce disque soit un peu taquin par moment. J’aime le fait que ça puisse être ambigu parfois, quand tu ne sais pas si c’est sensé être une blague ou quelque chose de très sérieux, comme la réunion de pôles opposés. Je dirais que cet album est surtout basé sur le fait d’avoir des pôles opposés. Il s’agit du thème principal de Daily Routine.

Comment est-ce que tu gères ta routine quotidienne (daily routine en anglais) justement ? Comment trouves-tu un équilibre ?

J’aime assez le fait que je ne suis pas coincé dans un truc. Je peux naviguer entre différents univers et cela m’inspire. Par exemple, j’aime mixer jusqu’à 6h du matin en club le week-end et pouvoir emmener mes enfants à l’école le lundi suivant. Ce sont des univers très différents, comme des pôle opposés. C’est génial lorsqu’ils peuvent coexister.

Tu fais beaucoup de performances. En quoi le Djing est différent du fait de jouer un concert selon toi ?

Je dirais qu’un concert, c’est quelque chose de plus introverti. Je suis là pour présenter et jouer ma musique, et quand je suis en concert, j’ai tendance à m’immerger dedans et me perdre pour environ une heure, et je ne sais pas ce qu’il se passe. Le djing, c’est plus amener les gens à être ensemble et sentir la vibe. Il y a plus de paramètres à prendre en compte auxquels il faut s’ouvrir.

Qu’est-ce que tu aimerais faire en terme de production ou musicalement, que tu n’as encore jamais fait ?

Je ne sais pas vraiment. C’est toujours un voyage où une chose mène à une autre. Ce serait sympa de produire plus de pop, juste pour l’expérience, et toucher à d’autre choses.