La fable est la sœur ainée de l’histoire disait Voltaire. En ce qui concerne le fabuleux parcours de Laurent Garnier, il est peut-être encore un peu tôt pour parler d’Histoire avec un grand H. Ce récit reste néanmoins un témoignage et une des histoires poignantes de l’émergence de cette culture en France et plus largement dans le monde. Si le valet de pied qu’il était n’est plus aujourd’hui, il fait figure de pionnier et d’exception. A l’heure où la plupart ont rangé les armes au profit d’un certain conformisme, on ne peut qu’admirer la diversité des projets menés de front par Laurent Garnier tout au long de sa carrière.

Un livre (deux éditions) dépassant le simple statut de biographie, des travaux dans la danse contemporaine, un film en préparation, jusqu’à très récemment une activité radiophonique soutenue et deux labels dont le patrimoine underground Français ne peut que s’enorgueillir, autant d’actifs qui font de Laurent Garnier une icône vivante des musiques électroniques. Dans l’air de son temps, il s’est heurté aux nombreux obstacles possibles et imaginables qu’un artiste activiste puisse rencontrer durant ces 25 dernières années et arrive malgré tout à se placer dans une optique de précurseur. Si le dj star aujourd’hui est un média à lui tout seul, on souhaiterait probablement qu’il adopte plus souvent la posture d’un Garnier dont la simplicité force le respect. Nous avons profité d’un de ses passages à Paris pour nous entretenir avec le monsieur.

Récemment tu rééditais Electrochoc avec 6 chapitres supplémentaires. Comment s’est faite cette nouvelle version ?

On a sorti Electrochoc il y a dix ans, ça fait un petit moment. Le livre a été signé dans plusieurs pays, au Japon, en Russie, en Allemagne etc. etc. mais on n’a jamais pu signer Electrochoc en anglais. Ça m’embêtait pas mal car je joue souvent en Angleterre et aux Etats-Unis. De nombreux anglo-saxons me demandaient quand allait sortir une version anglaise mais nous n’avions jamais trouvé d’endroit ou le publier. J’ai pris le taureau par les cornes et j’ai fait faire traduire le livre moi-même.

Lorsque la première mouture a été traduite, j’ai appelé David Lambert avec qui j’ai fait le livre et je lui ai dit :” j’ai pas d’éditeur mais le livre est traduit je vais peut être le sortir en digital, je suis prêt à le mettre gratuitement en ligne car je veux que l’ouvrage existe”. J’avais son accord.

Dans la foulée  je lui ai demandé s’il voulait qu’on écrive 8 ou 10 pages en plus car en 10 ans l’eau avait coulé sous les ponts. Si on devait changer le texte original il fallait avoir l’accord du premier éditeur. J’ai donc re-contacté Flammarion pour leur expliquer la situation. Ils étaient tellement contents du résultat de la première version qu’ils étaient d’accord pour en ressortir une nouvelle avec un nouveau chapitre.

A l’issue de cette conversation triangulaire, David et moi nous sommes revus. La vie a fait que je n’habitais plus à Paris, lui non plus, mais la technologie a facilité les choses. On a eu l’impression de reprendre la plume là où on l’avait laissée. Ça a été beaucoup plus facile à travailler que la première mouture. On avait l’idée de pondre 40 pages, finalement on en a écrit 130. Il a fallu épurer mais on avait des choses à dire.

Finalement c’est un peu un concours de circonstances de ma volonté de traduire le livre en anglais qui a abouti à cette nouvelle édition.

En préparant cette interview je me suis mis à regarder de vieilles interviews télévisées car il est rare qu’un dj passe à la TV. A chaque fois tu as eu droit à des lieux communs à la con en guise de questions. Comment ça se fait que ça se répète comme ça?

J’ai été l’un des premiers à défendre cette musique. Quand les médias ont commencé à parler de cette musique, il y avait David Guetta, quelques autres djs et moi qui faisions plus de soirées que les autres, mais les télés demandaient toujours aux mêmes de passer. J’ai fait trois quatre plateaux puis on s’est vite rendu compte que c’était toujours pour nous raconter des conneries.

La perception de ce que nous on défendait et de notre milieu était totalement erronée. C’était que sur la drogue, ou sur des sujets du genre, « c’est quoi ton métier ?», « en quoi ça consiste d’être un dj techno ?».

De fait, tu y vas une première fois, une seconde fois, une troisième puis tu n’y vas plus car ça te gonfle. À un moment, on m’a vu sur le petit écran puis ma dernière apparition, c’est celle d’Ardisson. Je présentais mon bouquin. Ça a tellement dérapé qu’on a failli se battre avec Bruno Solo sur le plateau.  À un moment, on arrivait à une période où c’était axé uniquement sur la drogue. Il y a de la drogue la nuit depuis la nuit des temps mais pourquoi est-ce que ça nous a toujours collé à nous ? Notre musique est là depuis 25 ans et pourtant il est difficile de trouver un acteur de cette industrie qui soit mort à cause de la dope, dans le rock en revanche on ne peut pas en dire autant. La drogue il y en a eu avant et il y en aura après. À cette époque, on ne pouvait pas faire un plateau télé ou une interview sans se prendre une remarque.

Ce qu’on faisait, c’est qu’on disait qu’à partir du moment ou ça parlait de dope, on se cassait, jusqu’au jour ou j’ai été à ce truc d’Ardisson. Sur le plateau il y avait Dave Gahan de Depeche Mode, c’était l’avant dernier invité de l’émission, tout le monde était très fatigué la seule chose qu’a trouvé Ardisson à lui dire c’était « Alors ton overdose dans un hôtel il y a 5 ans ». Il est sorti vert de rage du plateau. Lorsque je suis arrivé ils étaient très tendus, ils étaient tous plein de schnouffe et ils ont commencé à parler de la drogue dans la techno. Je leurs ai dit que c’était pas à eux de donner des leçons surtout vu l’état dans lequel ils étaient. Là ça a commencé à partir loin.

Par la suite j’ai eu droit à un appel de Thierry Ardisson pour m’expliquer qu’il fallait que je me contienne sur un plateau télé. A partir là j’ai arrêté de faire de la télé spectacle ça m’a dégoutté, j’ai plus fait de télé comme ça. Je suis allé défendre d’autres choses dans des programmes vraiment différents, dans ces émissions-là on n’a pas de place, on ne peut pas parler.

Ne penses-tu pas que le fait que des gens comme toi se soient heurtés à ça, cela ait débloqué quelques portes pour de nouveaux arrivants ?

Sûrement. 25 ans après j’ai encore fait des interviews avec des gens qui m’ont posé ces mêmes questions alors que j’ai été clair. Après tout ce que cette culture a à raconter, j’ai encore eu ça le mois dernier dans une émission  normale et grand public.

Oui ça a peut-être aidé mais on est encore très très loin. Les gens ne comprennent pas ce qu’on fait. Pour les gens de ce milieu ça paraît tellement évident car on vibre pour la même chose, mais pour le quidam moyen c’est encore très flou tout ça.

Tu as fait un livre, tu as composé plusieurs ballets de danse contemporaine et là il y a un film en préparation. C’est assez impressionnant pour un DJ underground. Penses-tu que cette musique tend à avoir plus de reconnaissance ?

Je ne me suis jamais battu pour que cette musique reste underground. La musique qui me fait plaisir et qui me touche est souvent de la musique underground. Malgré tout, il me semble dommage de vouloir garder les choses sous terre en se disant « ça m’appartient » ou « c’est mon petit microcosme ».

De toute façon avec internet maintenant, ce n’est plus contrôlable, même pour une sortie vinyle à 200 copies. A partir du moment où un mec met du contenu sur internet, l’underground explose. Cette notion a beaucoup changée ces 10 dernières années. Il y a 10 ans, il y avait encore des gens qui pouvaient faire des soirées et avoir une petite tribu d’afficionados et de fans.  Aujourd’hui avec nos outils de communication ce qui reste underground et ce qui ne le reste pas n’est plus contrôlable.

Je me suis toujours battu pour que la musique que j’aime et que je défends soit entendue. J’avais envie qu’au lieu d’écouter des merdes dans des soirées comme la version pourri d’ « il est beau le lavabo » de Lagaffe, les gens écoutent French Kiss de Lil Louis. J’ai toujours été sincère par rapport à ça. Je crois qu’on n’est pas encore arrivé à ça, mais je pense que cette musique peut exister partout, comme toute les musiques.

Au début le rock ou le jazz c’étaient des microcosmes qui ont grossi. Le Jazz s’est retrouvé dans la danse contemporaine, puis au cinéma. C’est normal donc aujourd’hui qu’on retrouve la musique électronique dans ce genre d’endroit. Même à la télévision, il y a certaines publicités qui utilisent des bribes de sons qui sont musicalement très intéressantes.

Tu as cité le Jazz qui est une musique profondément populaire à la base. Ça vient des bayous et de la Nouvelle Orléans et qui maintenant est une musique d’Elite.

C’était ! Mais ça dépend de quel jazz. Si tu parles du Free Jazz ça a toujours été une musique d’élite. Toutes les musiques ont toujours eu des versant plus commerciaux ou accessibles et des franges plus radicales. Dans le Hip Hop c’est exactement pareil, le hip hop était sensé être une musique fédératrice puis par la suite il y a eu des gens qui se sont radicalisés  et il y a eu des sous mouvements.

Au départ les mecs qui étaient dans les bayous c’était pas pour devenir connu,  il faisait de la musique parce qu’ils avaient une vie de merde et que c’était l’un des seuls moyens de raconter leurs histoires et leurs souffrances. Ce n’était pas quelque chose de populaire. Pendant des années, les jazzmen noires gagnaient 3 francs six sous, d’ailleurs tu retrouves toujours cette notion de l’espace du futur et du big bang  dans le jazz que tu retrouves par la suite dans la techno avec l’idée sous-jacente qu’« il doit y avoir un au-delà, si on est noir et que c’est la merde ici, l’au delà c’est peut-être mieux ».

Aux Etats-Unis, le Jazz c’était quand même quelque chose d’un peu contestataire pour les minorités noires et encore les courant intellos n’étaient pas écoutés par les minorités. Aujourd’hui c’est cette partie là du jazz que les gens affectionnent particulièrement en Europe. Cet été encore, j’étais à un célèbre festival de Jazz Français et c’était fatiguant. T’as que des mecs qui toisent et qui applaudissent après chaque solo, ils ont une manière d’écouter la musique qui est insupportable.

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Tu as souvent inclus des musiciens dans tes prestations ?

Lorsque je suis en live oui. Lorsque je suis passé sur scène il y avait une incompréhension sur le métier de DJ. Si je voulais dire : « les DJs ça peut être aussi des musiciens », chose inconcevable il y a 15 ans, puis rajouter «les producteurs de musique techno sont aussi des musiciens », on pouvait préparer l’échafaud. Ça a été très compliqué d’expliquer aux gens que ce n’étaient pas les machines qui composaient pour nous mais qu’on composait vraiment.  Donc pour défendre ma propre musique sur scène avec des  platines c’était mon arrêt de mort. C’est là que j’ai fait la distinction entre les deux, les lives avec des musiciens, des DJ sets avec des platines.

Grâce aux musiciens avec qui j’ai travaillé, j’ai pu découvrir le jazz, et c’est là que j’ai compris que je pouvais réinventer mes morceaux à chaque fois que je montais sur scène. Pour moi il y a plusieurs casquettes bien définies dans ma tête, il y a eu le live, le DJ, puis d’autres choses comme Fcom. Quand je suis sur scène, c’est une prestation live donc on se doit de réécrire chaque soir, de ne pas se répéter et de créer sur scène.

A la Concrete tu jouais après Recondite qui jouait un live. Quelle vision as-tu du live en musique électronique ?

C’est compliqué pour moi d’en parler car j’ai toujours voulu éviter de me retrouver seul sur scène derrière mes machines. Je trouve assez difficile même moi en tant  que spectateur d’aller voir un live et de regarder un mec devant son ordinateur pendant une heure. J’ai beaucoup de mal avec ça. Il y a quand même une prestation scénique aussi, on te met avant sur une scène et les gens regardent ce qui se passe.  C’est d’ailleurs pour ça que je n’aime pas mixer sur une scène en tant que dj car je ne pense pas que ce soit excitant de regarder quelqu’un perché sur  une scène qui passe des disques. Dans le live, j’aime le fait de réécrire chaque fois quelque chose de nouveau et c’est pour ça que j’aime être accompagné d’autres personnes. Cela ne veut pas dire que je ne ferai jamais de live solo avec mes machines mais ça n’est jamais arrivé pour l’instant.

Après dans un club comme à Concrete je comprends tout à fait que l’on puisse faire un live comme l’a fait cet artiste, ce n’est pas perçu comme un live. À la Concrete, que ça soit un dj, son live, celui qui est au bout de la salle ne peut pas forcément percevoir la différence il ne voit pas ce qui se passe. C’est un mec qui fait de la musique pour danser, donc que ça soit un live ou un dj set, ce n’est pas gênant. Lorsqu’en revanche il y a une personne sur scène, là il me semble vraiment important d’emballer le spectacle un minimum.

Même quand je faisais LBS, j’avais Scan X aux machines, Benjamin Rippert aux claviers, et chaque soir on jouait 3h à 3h30 de live mais on jouait vraiment. Rien n’était écrit, c’était de toutes petites boucles, donc il y avait de véritables variations. C’est important de conserver ce risque du live où tu ne sais pas où ça va aller.

Tu penses qu’il y a une prise de risque aujourd’hui chez les DJ ?

Non, globalement je ne pense pas, il y a tellement de DJs qui ne regardent pas leurs salles. Ils font le boulot, ils vont mouiller la chemise et vont faire lever les bras en l’air et ne jamais se répéter. Aujourd’hui il y en a trop qui sont rentrés dans ce truc de spectacle. Déjà il ne jouent pas longtemps et le vrai plaisir d’être dj c’est d’avoir plusieurs heures pour pouvoir emmener les gens dans un monde différent et les faire voyager, sinon ça ne sert à rien. Le dj est là pour donner de sa personnalité et compter une histoire qui lui est propre. Trop souvent j’écoute des mecs qui me donnent l’impression de ne même pas vibrer sur la musique qu’ils jouent. Il pourraient jouer n’importe quoi, il ne vivent pas leur musique. La base d’un musicien, qu’il soit en studio, sur scène ou en dj, c’est d’être retourné par ses morceaux sinon c’est inutile.

Pour répondre à la question, il y  en a trop qui vont foutre les bras en l’air, jouer des trucs efficaces et très souvent bien préparer leurs sets, le risque est de moins en moins présent dans les dj booths. En même temps, le monde des dj a beaucoup changé. Avant les dj se faisaient connaître par leurs compétences, s’ils étaient bons, ils n’avaient pas besoin de produire, deux ans plus tard ils allaient voyager et vivre de leur art. Aujourd’hui t’es un bon dj, si tu ne sors pas de disques, tu ne vivras pas de ton art, donc ça change complètement la donne. Tu ne peux plus arriver de but en blanc  et exploser sans jamais sortir un disque, avoir un label ou se promouvoir différemment.

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Tu as fait Fnac Dance Division et FCom, mais aujourd’hui si tu ne sortais pas de disques ça ne t’empêcherait pas de tourner. Qu’est-ce qui te pousse à sortir des disques ?

J’ai toujours été excité par la musique. Tout ce que je fais n’est pas forcément destiné à sortir sur des labels. J’ai fait beaucoup de disques au départ, puis j’ai fait du live, puis après j’avais envie de bosser dans la danse contemporaine donc j’ai sorti un album « Cloud Making Machine » qui était assez mal perçu. Pour moi, c’était une BO non-existante d’un film non-existant, c’était ma BO perso. J’ai perdu beaucoup des mes supporters techno avec cette sortie, mais d’un autre côté j’ai pu en toucher d’autres. Ça m’a permis de rencontrer Pietragalla avec qui on a bossé sur une pièce autour du Marquis de Sade. Puis Preljocaj, j’ai fait de la musique pour l’ouverture du pavillon noir à Aix-En –Provence. La Pietra est revenu donc je refais un spectacle avec elle. Bref, pendant toutes ces années-là j’ai fait de la musique qui n’était pas destinée au Dancefloor et j’ai un peu disparu.

Un jour j’ai commencé à refaire un morceau dancefloor, le mec d’Innervisions l’a entendu lors d’un de mes sets au Panorama Bar. On a signé le track au coin du bar, je ne me prends pas trop la tête pour ça. Je fais de la musique quand j’ai le temps et quand j’ai envie de faire de la musique. Je pourrais complètement arrêter de faire des disques et continuer juste en tant que dj. Je me suis fait connaître en tant que dj et aujourd’hui je défends un truc en tant que dj, sûrement l’histoire que je raconte. Les gens se foutent de si je vais jouer mes tracks ou pas. Lors de cette dernière date à Concrete j’en ai profité pour essayer pas mal de nouveaux morceaux à moi pas encore sortis.

C’est mon djing qui me fait vivre, le reste c’est que du plaisir, surtout faire des disques car il n’y a aucune notion de gagner de l’argent avec cette activité aujourd’hui. Il faut au moins les faire pour t’amuser sinon ça ne sert à rien.

En tant que dj, le fait d’avoir travaillé avec des gens comme Bugge Wesseltof ou certain ballets de danse, est ce que ça a changé ton approche du djing ?

Pas mon approche du djing, ça a changé ma manière de faire de la musique. Ce que j’aime avec les danseurs contemporains c’est que tu n’as plus besoin de marquer le temps. Quand on fait de la techno on rentre dans une pseudo construction où tu comptes les temps tu sens les breaks arriver, il y une sorte de chronologie un peu mathématique.

Avec la danse contemporaine, ou un Jazzman, tu exploses tout ça, tu n’as plus besoin de marquer les rythmiques, tu n’as plus besoin de travailler sur du 4/4 ou sur des choses définies dans le monde de la techno. Ils peuvent danser sur du White Noise comme sur n’importe quoi d’autre. C’est un retour à la liberté totale où tu te dis que tu n’as plus besoin d’avoir un truc soutenu pour avoir de la folie sur scène. Musicalement tu peux faire juste une nappe et les danseurs peuvent arriver et danser comme des dingues. Ça a un impact énorme, ils ont une lecture totalement différente de la musique. C’est très excitant de travailler avec des gens comme ça. Si je fais un « Crispy Bacon » ou un « Colored City », je sais pertinemment qu’après le break ou lorsque les snares rentreront, les gens vont réagir. Si tu fais ça pour un ballet, ce n’est pas forcément les moments qui vont être les plus intenses. Ça m’a donné beaucoup plus de liberté qu’avant.

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Lorsqu’on regarde les productions actuelles, la techno qui était une musique qui s’affranchissait de plein de codes est quand même plus codifiée maintenant qu’avant.

Oui mais c’est normal, elle a 25 ans. Je trouve que musicalement, il y a un vrai retour de l’underground. Mais la musique underground aujourd’hui n’est pas une musique nouvelle, ça n’a rien de novateur. Tous les nouveaux acteurs aujourd’hui qui sont des musiciens brillants et qui font de la musique que je veux jouer, ne sont pas complètement différents de ce que faisaient les Derrick May etc. etc. il y a 25 ans. Tu peux facilement prendre les premières sorties de Transmat et les sorties de labels pertinents tels que L.I.E.S. et te rendre compte qu’il n’y a pas forcément de différences entre aujourd’hui et il y a 25 ans. Le rock est complètement codifié aujourd’hui aussi.

Contrairement au Rock, la techno est une musique qui reprenait certaine notion du futurisme, une certaine vitesse, une volonté de progrès…

Ça c’était très lié à l’image de la techno jusqu’à il y a 10 ou 15 ans. Après,  il y a eu une nouvelle vague de gens qui se sont intéressés au package et ont oublié le contenu. Au départ, c’était le contenu qui primait vraiment dans cette musique, le package on s’en fichait pas mal. Après il y avait une imagerie, la vitesse, le futur, l’espace… Après il y a eu quelques personnes futées qui se sont dit qu’il y avait beaucoup d’argent à faire, que le contenu en fin de compte on s’en branlait un peu et que le packaging c’était l’avenir. Les mecs ont commencé à faire des logos avec leurs noms ils ont tous un peu pété les plombs.

Aujourd’hui on a un retour au basique et à ce qui était important au départ, la musique. Ils ont oublié l’image, ils sont revenus au vinyle et donc à l’objet, ce qui est une très bonne chose. Dépenser 15 euros pour un vinyle s’est s’investir pour un artiste, acte qui avait disparu depuis longtemps. Cependant on est tellement reparti dans une idée d’underground qu’il y a un rejet de l’emballage. La connerie de l’emballage a tellement été poussée à son paroxysme que là, le vinyle vendu avec une simple pochette papier est mieux qu’avec une véritable pochette. On verra où ça va aller.

L’image a beaucoup moins d’importance dans cette nouvelle génération même si certaines personnes savent encore en jouer et se mettre en image. Toute l’imagerie d’avant, le futur, la ville, l’urbanisme, le design a disparu car ça a été important à un moment puis détourné à mauvais escient.

Le côté du jeu ultra-limité 300 copies pas de repress, c’est un marketing dans l’air du temps.

C’est une forme de militantisme, mais ça peut être perçu comme tel.

C’est comme pour les baskets, tout le monde a des baskets en édition limitée aujourd’hui, est-ce que ça signifie encore quelque chose ?

Je parlais récemment avec Paranoid London, et je lui disais : “tes disques son très durs à trouver”. Il m’a répondu “oui les vinyles sont durs à trouver mais finalement si tu veux les musiques tu peux les trouver gratuitement”. C’est une façon de se commercialiser mais c’est un détail négligeable, c’est la musique qui est importante. Faire du crado pour être underground ça me fait doucement rire, les mecs qui préfèrent ressortir des versions ou des édit inconnus de tracks toutes pourris et ressortir ça pour dire « ouais mais ça ce n’est pas connu c’est underground » c’est vraiment de la masturbation intellectuelle finalement.

L’underground doit absolument continuer d’exister, c’est vital pour tous les courants musicaux. Un petit label, c’est comme une planche à voile, elle va vite elle peut tourner facilement, les gros labels ce sont les paquebots, ils ont peut-être pas la réactivité d’une planche à voile par contre ils emmènent beaucoup plus de gens. Les deux ont besoin d’exister et ne devraient pas se dénigrer les uns les autres. L’underground doit être un moteur.

Quel bilan tires-tu de l’expérience Fnac Dance Division et  FCom ?

On a ouvert un label car comme beaucoup on avait envie de défendre quelque chose, on a été les premiers à décider de vendre à l’étranger. Avant FCom, lorsqu’on est arrivé à la Fnac, ils nous ont dit « On aimerait bien que vous fassiez un petit label » on leurs a dit « oui mais on ne va pas  se concentrer sur la France ».  On leur a dit : « nous c’est l’étranger et si ça marche à l’étranger ça reviendra chez nous ». C’était une sorte de boomerang et ça a marché car on a fait Wake Up et Lunatic Asylum qui se sont bien vendus à l’étranger. Après Fcom s’est monté, c’était une vraie famille ou l’on avait envie de faire du développement d’artistes donc on n’était pas là pour faire des coups marketing. Pour dire, on a même refusé un maxi des Daft Punk car lorsqu’ils ont signé chez Soma, on discutait avec eux et on a refusé car on sait très bien qu’après ça n’allait pas fonctionner sur le long terme mais être juste un one shot. On n’avait pas envie de travailler comme ça. Le but c’était de faire des albums, de prendre des risques, des mecs peut-être un peu bancales au départ mais qui allaient se développer on avait aussi envie d’investir.

On préférait donner du blé à nos artistes pour qu’ils achètent du matos et qu’ils produisent chez eux, on impliquait tout le monde. C’est un peu la façon dont travaille ClekClekBoom. T’en bookes un ils arrivent à 20, ils sont super marrants, ils ne parlent que de matos, c’est une vrai famille. Fcom c’était pareil, il y a des gens qui se sont barrés, il y a des gens qui sont venus, il y a eu des hauts et des bas. Fcom est monté assez haut car avec Mr Oizo, on a vendu plus d’un million de disques, ça a fait vivre FCom pendant 2 ans. Par la suite l’industrie du disque s’est effondrée, et on avait quand même 6 employés. On a du les licencier les uns après les autres jusqu’au moment où Eric (Morand) a travaillé pendant un an et demi sans toucher de salaire. Moi je n’ai jamais eu de salaire de FCom, je jouais déjà beaucoup, mais après 1 an et demi comme ça on a arrêté les frais. On a perdu tellement d’argent sur les dernières sorties qu’on a mis la clé sous la porte.

On a mis ça sur pause.  Ce qui me touche aujourd’hui c’est de rencontrer un mec comme S3A à la Concrete et qui sort un vinyl et sur le vinyl il remercie Ludovic Navarre et Shazz. Ça m’a tellement touché que je l’ai rappelé et qu’il va remixer un de mes prochains morceaux. Sa musique est incroyable, le premier morceau  de son Ep on dirait vraiment du Saint-Germain !

Aujourd’hui la jeune génération n’a pas vraiment connu FCom mais pour certain ça fait tout de même partie de leur catalogue malgré leur jeune âge, alors qu’ils étaient trop jeunes lorsqu’on a fermé boutique.  On en parlait avec Eric aujourd’hui et on se disait que ça serait peut-être pas mal de refaire une sortie un jour, de revoir les artistes et de leur demander un truc. Juste pour le plaisir, les gens qui nous ont suivi et qui nous aiment bien. Après rien n’est fait. On ne se rend compte de l’impact du travail fourni sur Fcom que maintenant. C’est le genre de message et de reconnaissance qui te montre que tu ne t’es pas battu pour rien.

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Justement, St-Germain c’est sûrement une des plus grandes légendes de Fcom.

Pour moi c’est le plus grand producteur qu’on ait eu en France, en House comme en Techno. Ses projets techno aussi sont supers, lorsqu’il faisait Deepside c’est digne de Derrick May. C’est une légende qui n’a pas très bon caractère mais un producteur inégalé. Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de ce qu’il fait, il vit peut-être toujours à Saint-Germain ou à Chatoux.

Parmi les plus belles rencontres que tu aies faites dans le monde de la techno, si tu devais en retenir une laquelle ce serait ?

Je pense que les deux personnes que j’aime le plus dans ce milieu-là qui sont toujours restées très intègres et depuis le début mais sont très différentes l’une comme l’autre, ce sont Dj Deep et Scan X.

Cyril je le connais depuis le début et il a toujours été très intègre que ce soit lorsqu’il écoutait du Garage de New York ou que ce soit dans UR ou la House de Chicago ou même ses Ben Klockerie. C’est un mec qui en a bavé, qui a tout arrêté pour cette musique-là, il a mis énormément de choses en jeu pour sa passion. C’est une personne que j’adore, c’est mon pote. L’une des rares personnes avec qui je peux parler musique mais aussi de la vie, des enfants, des parents ou de la maladie. C’est l’un des rares mecs avec qui je suis proche depuis le début et pour qui je n’ai aucun secret. Scan X c’est exactement pareil, on se soutient mutuellement, on travaille ensemble c’est pas toujours rose mais c’est un véritable ami. Ce sont deux superbes rencontres de par leurs longévités et parce qu’elles n’ont jamais changées.

Après il y a eu plein de belles rencontres avec des gens super sympathiques avec qui tu fais des petits bouts de route  mais après 25 ans, garder ces deux personnes-là comme amis c’est super.

Donc dans les prochains mois quels sont tes projets ?

Il y a le prochain ballet de Pietragalla qui sort. J’ai un maxi qui sort chez Still Music le label de Jérôme Derradji à Chicago.  J’ai plusieurs autres maxis qui vont sortir courant 2014, un sur 50 Weapons, il y en a un downtempo qui sortira sur un label Français avec un remix de S3A puis d’autres choses qui sont prêtes ou à finaliser.

Je travaille également assidument sur le film, là on est sur la version dialoguée du film donc ça prend forme.  J’aimerais que le tournage commence en 2015. Le cinéma est un monde assez compliqué.

Un dernier mot pour les lecteurs ?

« Stay true to what you believe in » Underground Resistance.

Merci à Laurent pour sa disponibilité et sa gentillesse.