Kendrick Lamar a surpris tout le monde avec la sortie prématurée, la semaine dernière, de son très attendu troisième album « To Pimp A Butterfly » .

Avec un casting d’exception (Thundercat, Flying Lotus, Georges Clinton, Snoop Dogg, Bilal, Pharell Williams, Ronald Isley et j’en passe) Ce nouveau LP va piocher dans les racines du hip hop contemporain et résume bien les influences musicales de son auteur. Du jazz, de la funk et de la soul en passant par le gangsta rap, le protégé de Dr.Dre nous fait une véritable histoire de la culture musicale West Coast de ces dernières décennies. Tout cela s’inscrit et sert évidemment son propos, politique et personnel.

Ce disque est un véritable pavé dans la mare. Beaucoup d’encre a déjà coulé, à chaud, pour en parler mais beaucoup coulera encore. Car Kendrick Lamar a ici posé les bases de questionnements et dialogues inter générationnels avec finesse et intelligence. La question de l’héritage, du rôle des pères et des frères dans les constructions sociales est centrale, avec celle de la place de la culture noire aux Etats Unis. La démarche du jeune rappeur se fait presque journalistique mais également très personnel. Il y raconte sa vie à Compton, célèbre quartier de Los Angeles, miné par les gangs et la misère, et part de ses constats pour réfléchir a leur sens au sein d’une société tiraillée entre ses identités et ses confrontations.

Loin de l’ego trip que l’on croise souvent dans le hip hop actuel, Kendrick Lamar convoque dans To Pimp A Butterfly une multitude de personnages comme Mandela ou le rappeur Tupac, dont il utilise une archive d’interview où il ajoute ses propres questions pour l’interroger, lui demander des comptes, dans le morceau “Mortal Man”.

Il va jusqu’à nommer également des gangs qui sévissent et déchirent son quartier de Compton. Le rappeur californien rappelle qu’il y a toujours des choses à dénoncer, pour lesquelles se battre, à travers le hip hop. Il s’inscrit de ce fait dans l’histoire de ce dernier et dans la continuité des travaux d’artistes comme les N.W.A ou KRS-One, aux discours déjà très politisés, sur des thématiques similaires.

Cependant, Lamar se refuse à rentrer dans les clichés du genre et, contrairement à ses aînés, se risque même à mettre en cause la responsabilité des communautés afro américaines dans le climat social actuel. Les paroles du rappeur et son analyse des relations raciales aux Etats Unis résonnent étrangement avec de récent faits divers tel que l’affaire Michael Brown (un adolescent afro américain non armé abattu par la police en août 2014 dans la ville de Ferguson, où de violentes émeutes éclatèrent entre la communauté afro américaine et les forces de l’ordre par la suite). Dans son engagement, Kendrick n’épargne personne. Dans une interview accordée récemment au journal Billboard, il dira à propos des émeutes de Ferguson et des rapports entre police et émeutiers: « Ce qui est arrivé à Michael Brown n’aurait jamais du arriver. Jamais. Mais quand nous n’avons aucun respect pour nous même, comment s’attendre à ce qu’ils nous respectent. Ça part de l’intérieur. » pointant ainsi la responsabilité de ses contemporains et la position entretenue par la communauté afro américaine dans sa définition au sein de sa propre culture. Une posture vivement critiquée par certains. Critiques auxquelles il répond par la sortie de cet album, To Pimp a Butterfly, avec sa pochette à l’ironie grinçante (oeuvre du photographe français Denis Rouvre).

Kendrick Lamar semble s’interroger également ici, sur son rôle et sa responsabilité face à ses pairs et au sein de la culture noire américaine, se remettant en cause, faisant apparaître ses propres contradictions. Il questionne le rapport social qu’entretiennent ceux qui participent à cette culture avec une narration des plus saisissantes comme dans les morceaux “The Blacker The Berry” ou “How Much Cost A Dollar?”

 

Avec ce disque, Kendrick Lamar s’inscrit dans l’histoire du hip hop en invoquant ses figures ainsi qu’en utilisant des thématiques présentes dés son origine. Il revient à une forme engagée politiquement et socialement. Mais il ne s’agit pas d’un simple exercice de style, il parvient à remanier tout cela en y insufflant une réelle modernité. Les textes cinglants et son flow inégalé, jouant avec les codes du spoken words et du jazz vocal, font résonner l’ensemble comme une oeuvre contemporaine, un témoignage aux allures de classique instantané et dont on risque de parler encore pendant des générations tant il cristallise les rêves contradictoires d’une Amérique plurielle.