Untold - black Light Spiral

Jack Dunning alias Untold, le co-dirigeant du prestigieux label Hemlock Recordings n’a pas fini de nous surprendre. Il revient en ce début d’année avec son premier album intitulé Black Light Spiral. Sous ce titre mystérieux, l’anglais livre une musique abstraite, que l’on pourrait qualifier de post UK bass.

En effet, d’abord ancré dans la bass music londonienne, du dubstep au garage en passant par une forme de techno à l’anglaise, Untold et son label Hemlock sont peu à peu devenus une synthèse de cette culture, cristallisant ses moments de grâce et son énergie à travers une série de maxi impressionnants. Hemlock Recordings compte nombres d’artistes et de sorties symptomatiques de cette scène typiquement anglaise : James Blake, Pangaea, Ramadanman, Sei A, Randomer ou encore le mystérieux Joe. Beaucoup des sorties du label, depuis sa création en 2008, sont déjà des classiques du genre. Et pour cause, celui-ci semble façonner cette scène et cette culture, dans son rôle de synthèse et sa volonté d’en repousser sans cesse les limites.

La musique d’Untold est finalement à l’image de son label. Il débute sa carrière chez Hessle Audio avec un maxi dubstep : Kingdom. Peu de temps après naît Hemlock Recordings sur lequel il assure la première sortie, un maxi intitulé Yukon/Walk Through Walls, résolument dubstep. Ses structures étranges et la qualité de sa production en font cependant déjà un artiste incontournable.

Jack Dunning semble bien décidé à percer les mystères de la musique de club anglaise, qui vit alors une forme de renaissance. Il enchaîne collaborations et remixes comme pour mieux s’imprégner de l’atmosphère et des sonorités du moment, se les approprier et les pousser toujours plus loin. Son EP Gonna work out fine sorti en 2009, mélange de progressive house et dubstep, d’une rare finesse, semble marquer un tournant. Untold développe alors une musique plus industrielle, aux structures toujours plus déconstruites mais d’une efficacité redoutable, en témoigne sa série de EP Change in a dynamic environnement.

S’il lui a fallu un certain temps pour sortir son premier album, préférant les formats plus courts, plus adaptés au clubbing, c’est parce qu’Untold ne fait rien à moitié. Conscient des enjeux que représente un format long dans la vie d’un artiste, il semble avoir pris le temps de développer sa technique et son art, pour livrer ainsi quelque chose de solide et de fort, à la dynamique singulière.

Black Light Spiral ne s’écoute pas, il se vit, s’éprouve. C’est un voyage au cœur d’un univers à la fois industriel et cérébral, qui conduit l’auditeur dans diverses directions. En seulement huit morceaux, Untold nous sert un panel de sons fournis, aux allures de dub techno, d’ambient oppressant, digne des meilleures B.O de film d’horreurs. Les rythmiques, si elles sont terriblement efficaces sur le dancefloor n’en sont pas moins déconstruites, en dehors des sentiers battus, à l’image du morceau « Wet Wool ». L’introduction, « 5 Wheels », est un enchevêtrement de sirènes, qui vient comme pour nous avertir , nous donner un avant-goût de ce qui nous attend, un trip loin d’être paisible, voire dangereux. Untold semble ici jouer avec cette notion de danger , se mettant lui-même en première ligne. Car rien n’est évident. Les morceaux de Black Light Spiral  n’ont pas grand chose des habituels tubes que l’on peut entendre dans les clubs. Tout est ici déconstruit, abrasif, profond et inattendu. Déterminé à sortir de ses méthodes et de ce qui a fait sa réputation pour avancer, il se met également en première position sur scène où il a élaboré son tout premier live. DJ chevronné, il a ainsi choisi d’aller sillonner un nouveau type de performance.

C’est à La Machine du Moulin Rouge, le 22 février dernier, qu’il a ainsi testé Black Light Spiral  et son nouveau live. Il n’y a rien d’anodin dans le fait que le producteur anglais choisisse de faire son premier live avec cet album, car il n’est pas homme à laisser les choses au hasard. En effet, Black Light Spiral semble avoir été conçu spécialement pour cela, les morceaux semblent n’être que matières à différentes incarnations, plutôt qu’un ensemble de tracks figées. Cette approche très jazz, donne un live d’une puissance rare. Cependant, la complexité de la chose et le fait que Dunning ne soit pas habitué à ce type de performance donne parfois quelques maladresses. Celles-ci sont cependant excusables si l’on considère la performance dans sa globalité, tout comme l’album dans son ensemble. Il est également admirable de voir qu’un producteur et DJ tel qu’Untold puisse se mettre dans une telle position d’inconfort et de danger, afin de dépasser ses propres limites et atteindre de nouveaux territoires sonores. Il semble que cela soit chose rare dans l’immense galaxie des DJ actuels.

Au final, Untold réussit son pari et s’offre un nouveau départ tout en nous donnant à entendre et à vivre quelque chose de frais,d’une grande singularité et possédant sa propre dynamique.

4,5/5