S’il fallait présenter M. Fidan, en quelques mots la description serait surement très réductrice. Musicien au parcours atypique, producteur nomade et introverti, mais néamoins prolifique, l’artiste franco-turc possède un son et une manière de l’amener bien à lui. Loin du live dj souvent aride et dopé white noise et au cuts téléphonés, Tolga Fidan fonctionne au groove  généreux et aux mélodies biens amenées. Après de nombreuses recherches infructueuses sur la toile, nous avons décidé d’en apprendre un plus sur l’artiste en s’adressant directement à l’intéressé lors de son dernier passage à la Java.

– Tolga en quelques mots ?

Tolga Fidan : Bonjour je m’appelle Tolga, je suis moitié français, moitié Turc. Je suis né et j’ai grandi en Turquie, j’étais à l’école française d’Istanbul et quand j’ai eu mon bac je suis allé à Londres pour mes études supérieures. Depuis, je vis en Europe, je suis rentré en Turquie pendant un temps, mais cela fait dix ans que je suis sur le vieux continent.

– Qu’est-ce que ce séjour à Londres t’a apporté ?

Tolga Fidan : Londres, ça m’a un peu façonné. Jusqu’à mes 17 ans je vivais en Turquie. A cette époque, on n’avait pas beaucoup de choses là-bas, maintenant ça commence à changer, mais, petits nous regardions toujours à l’Ouest parce qu’il y avait plus de trucs à faire et plus de liberté. L’arrivée à Londres était donc un véritable choc culturel pour moi. D’un point de vue musical, je me tenais déjà au courant de ce qui se passait via internet. J’étais déjà un nerd. Aujourd’hui encore, je suis plus influencé par Londres que par les autres villes ou j’ai pu vivre.

Tolga Fidan & Seuil – Galata (Original Mix)

– Tu as également vécu en France, c’était à quelle occasion ?

Tolga Fidan : J’ai fait mon CP en France, car j’ai suivi mes parents qui se déplaçaient pour leur travail.  Par la suite, je suis revenu en Turquie. A la fin de mes études à Londres je suis revenu voir ma mère en France qui était revenue après le décès de mon père. J’étais parti pour un mois, finalement, je suis resté pour deux ans et demi.

Je me suis réconcilié avec mes racines françaises, j’allais à l’école française d’Istanbul, qui était un microcosme constitué d’enfants de diplomates et auquel je n’appartenais pas du tout. Mais beaucoup de gens sont Franco-turques comme moi car ils sont issus d’un père turc qui a choppé une jeune femme française en vacances. J’allais tous les noëls voir mes grand parents mais je n’y avais jamais vécu, j’ai pu découvrir le pays. J’y ai découvert toute une scène musicale, c’était une superbe expérience. D’ailleurs, il y a quelques mois je réfléchissais même à revenir ici et re-déménager mais, c’est plus compliqué qu’à Berlin. On n’a pas le même confort qu’Outre-Rhin.

– Pourquoi as-tu voulu vivre à Berlin ?

Tolga Fidan : Initialement je bouge beaucoup, je change d’endroit tous les deux ans. Mon label est à Berlin, et j’avais de nombreux amis sur place donc ils m’ont tous entrainé et je suis parti sur un coup de tête. La ville est sympathique, mais je ne m’extasie pas dessus. Ce n’est pas si dément. N’importe quelle personne à Paris ou à Barcelone peut prendre un low cost et passer son weekend au Panorama Bar. Mais il y a plein d’autres choses à faire dans cette ville que d’aller en club. L’avantage, c’est aussi que financièrement on vit très bien là bas.

Tolga Fidan  – Alright

– Comment as-tu atterri sur Vakant ?

Tolga Fidan : À l’époque, je faisais du Hip Hop expérimental, j’étais très inspiré par l’écurie Warp. Mon petit frère me tannait pour que j’envoie des démos, il me disait que si je ne le faisais pas j’allais finir par moisir sur place. Mais je ne l’ai jamais fait.

Un jour j’ai composé trois tracks dans un esprit un peu techno, j’étais influencé par Akufen et Luomo. Avant je pensais que la house c’était pour les péquenots. A ce moment-là j’ai redéménagé à Londres après mon passage à Paris, et mon frère m’a demandé 3 labels que j’appréciais à l’époque, dont ce label qui venait de signer sa seconde sortie. Il y a avait Alex Smoke et Robag Wrhume. Mon frère envoyait mes démos aux 3 labels, il y en a un qui n’a jamais répondu les deux autres ont répondu. L’un était un très gros label à l’époque mais j’ai senti qu’avec Vakant il y avait un gros potentiel, et je pense avec le recul que grâce à mon frère j’ai fait un très bon choix. A l’époque je bossais dans un magasin de dvd je nettoyait des chiottes c’était loin d’être glamour, cette initiative a été un réel tournant pour moi.

– Vous êtes deux turques sur Vakant, avec Onur Özer, y-a-t’il une scène Turque à Berlin ?

Onur et moi, en Allemagne, on est ce qu’on appelle des « Homegrown », c’est à dire des turcs qui ont grandi là-bas, en Turquie, et je crois que l’on est les seuls. A côté de ça, il y en beaucoup qui sont turcs d’origine si tu fais attention, Butch est Turc, Sis, Len Faki, et Elif Bicer aussi mais ils sont natifs d’Allemagne.

– Tous ces artistes forment-il une communauté?

Tolga Fidan : Non, on se connaît tous un peu. On parle la même langue mais on vient d’univers très différent. Quand certains ont grandi à Francfort en allant au Robert Johnson, nous on trainait dans Istanbul. On a une culture similaire, mais si tu emmènes un natif allemand en Turquie, il sera perdu, même s’il est bilingue.

– Y a t’il une scène de musique électronique en Turquie ?

Tolga Fidan : Oui il y en a une, mais elle n’est pas aussi puissante qu’elle ne l’était avant. Lorsque j’avais 16 ans elle était très développée, j’avais le passeport français donc je rentrais en tant que touriste, et à ce moment là il n’y avait pas d’âge pour rentrer dans les clubs. Je me souviens avoir vu Derrick May à 15 ans, c’était une énorme claque.

Maintenant il faut considérer le fait que c’est un pays en développement, les clubs changent très rapidement et les propriétaires de clubs (pas les gérants) sont souvent liés à la mafia. C’est un système qui n’a rien à voir avec ce que l’on connait ici. C’est plus compliqué.

-Faisais-tu déjà de la musique électronique en Turquie ?

Tolga Fidan : Non parce qu’on n’en avait pas les moyens. Je jouais dans des groupes de Post Rock des trucs dans la veine de Mogwai, et même des trucs plus punks à la Sex Pistols, je ne baignais pas dans cet univers. Plus tard j’ai commencé à m’intéresser au Hip Hop expérimental, mais je ne savais pas sampler.

 En Turquie, je ne connaissais pas les MPC et les samplers. Je pensais que ces artistes savaient jouer de tous les instruments. Je ne savais pas qu’ils samplaient, donc je me suis mis à apprendre à jouer de plusieurs instruments. Je ne pensais pas qu’on pouvait répliquer ces sons via des VST’s. Aujourd’hui encore, je ne sample pas, je joue, j’ai découvert le sampling bien plus tard.

Tolga Fidan – All Pleasure is Relief (Original Mix)

– Si tu devais choisir un seul de tes instruments et abandonner les machines lequel ce serait ?

Tolga Fidan : La guitare sans hésitation. J’ai commencé avec une guitare électrique. D’ailleurs, je sors bientôt mon album, et je me suis vraiment limité sur les machines et je fais pas mal de truc à la guitare électrique, je suis revenu sur mes bases. J’essaie de mieux jouer, je peux faire résonner la guitare pour jouer sur certaines sonorités et après sampler mon son pour le jouer comme un pad. J’ai appris ce genre de technique bien plus tard. J’avais vendu ma guitare électrique je ne jouais plus que de l’acoustique, mais maintenant, je suis à fond là-dedans.

– Ton album sera-t-il orienté vers une musique acoustique ?

Tolga Fidan : Non pas du tout, cet album ne sera pas du tout organique, je me suis vraiment imposé des contraintes. Je n’ai pas utilisé toutes mes boîtes à rythmes. J’ai fait l’album avec trois boites à rythmes, ma guitare et un synthé.

– As-tu un cadre propice pour produire ?

Non pas spécialement, je ne suis pas difficile, il faut juste que j’aie mon matériel avec moi. Parfois, lorsque je suis dans un aéroport je vois des gens sur Ableton avec leurs casques en train de produire, il m’est impossible de travailler comme ça. Il faut que je sois chez moi, dans un studio que je connais ou chez un pote chez qui j’ai pu installer mon studio. J’ai produis mon album sur mon canapé et ma table basse avec mon ampli ma guitare et mes machines. Je ne peux pas faire de musique dans une chambre d’hôtel.

– Comment as-tu construit ton live ?

Tolga Fidan : J’avais un autre live initialement, mais j’ai perdu mon ancien ordinateur que j’avais dédié uniquement au live, et comme je suis très organisé je n’avais pas de sauvegarde. J’ai perdu plus de 7h de musique que j’avais préparé et travaillé depuis des années, et ce, une semaine avant une date. A ce moment là j’ai composé 10 track que j’ai travaillé et remonté petit à petit. De fait, le live que j’ai joué ce soir n’est pas vraiment construit, et j’ai également joué quelques tracks de mon album en entier que je voulais essayer.

Normalement je coupe tout en petit morceaux, que je peux jouer différemment à chaque fois, cela me permet de contourner le problème des modulations. Il faut savoir qu’un live en musique électronique c’est jamais vraiment un live car on n’a que deux mains et que l’on joue avec des machines. Même si maintenant, je ne les transporte plus car ça me coute trop cher en terme de pertes, le problème c’est qu’avec deux mains, le live c’est vite limité.

Quand tu essayes de mettre une chord sur le synthé, que tu tripotes ta boite à rythmes et que tu essayes de passer une barre sur Ableton tu bloques rapidement. C’est la raison pour laquelle je suis obligé de préparer certains trucs. J’apprends toujours mais le live devient de moins en moins évident.

Lorsque j’ai commencé le live, les gens attendaient du live maintenant la musique est devenue beaucoup plus consommable les gens et les clubs s’en foutent. Si en club tu ouvres un ordinateur les gens ne savent pas ce que tu fais si c’est Traktor ou si c’est un live. Les gens ne savent pas ce qui se passe et ça m’arrive souvent pendant mon live qu’on me demande de passer un track de Paul Kalkbrenner. Déjà même si je mixais je n’en mixerais pas et surtout je joue live.

Dès fois je me demande si les gens et les clubs ne veulent que du son pour consommer de l’alcool et faire marcher le bar. Je ne sais pas à quoi c’est du, la crise peut-être. Qui sait ? Quand tu fais un live tu fais le choix d’être bloqué. Quand tu es dj tu as le choix de passer un track, mais tu ne joueras pas le dernier tube qu’untel t’as demandé si tu as un minimum d’estime de toi. Cependant tu as ce luxe tandis qu’avec un live tu es prisonnier du début à la fin et si les gens ne rentrent pas dans ton live c’est fini.

Tolga Fidan – Double Edge Sword (Jin Choi Remix)

– Le djing ne t’a jamais intéressé ?

Si, d’ailleurs, à Berlin je fais quelques petites dates en mixant, mais pour faire des grosses dates ça ne sert à rien si je ne maitrise pas la technique sur le bout des doigts. J’estime qu’il faut faire les choses bien. A 19 ans, je savais mixer même si je jouais du Madlib et des trucs comme ça, après je me suis concentré sur la production pendant longtemps donc je réapprends.

– Y a t’il un type de date que tu préfères ?

Non pas plus que ça, il y a certaines atmosphères. Ça dépend du public. Il y a des endroit communs ou l’on se fiche de qui joue, il sont là pour danser pour draguer ou se droguer c’est un peu blasant. Quand tout le monde est tourné vers toi généralement c’est bon signe car ça veut dire qu’ils t’écoutent et ça te touche.

– On te sent un peu en retrait de tout ce système du milieu de clubbing, est-ce une volonté de ta part ?

Tolga Fidan : Oui en effet, pour évoluer dans ce milieu il faut vraiment être monsieur connexion. Il faut faire l’after avec untel, la soirée ici et le before là. Etant plutôt timide de nature, je ne vais pas aller naturellement vers les autres. Dans ma jeune carrière, j’ai eu l’occasion de jouer plusieurs fois sur la même scène que Ricardo Villalobos, et pourtant je ne l’ai jamais rencontré car je ne suis pas le genre de personne qui va dire, «  Salut, c’est moi, c’est Tolga ! ». Je n’y arrive pas. Certaines personnes prennent cette timidité pour de l’arrogance, mais c’est juste que je ne suis pas très extraverti, et que je ne veux pas tomber dans ce travers du tout à la communication. C’est sur que ça ne m’aide pas, mais je ne vais pas me renier.

J’aime bien l’idée d’avoir une vie privée. Je ne suis pas fan du fait de donner des interviews, je suis plus à l’aise à rester chez moi et composer de la musique. J’ai la chance de vivre de ce que je produis maintenant et ça me suffit. Ça me ferait plaisir de toucher 10000 euros de plus que je ne gagne pas aujourd’hui, mais pour ce que je fais, pas en passant ma saison à serrer des mains à Ibiza.

– Tu joues souvent là bas ?

Ça fait 5 ans que j’y joue, ma première fois là bas c’était la plus dur. C’était lors d’une soirée Cocoon, c’était la vingtième date de ma vie, Sven Vath, m’a fait jouer au Cocoon de Frankfort puis il m’a emmené à Ibiza et quand j’ai vu la foule sur place j’était paralysé c’était très dur.

– Tout à l’heure tu parlais de Madlib, si t’avais un disque de hip hop à garder tu choisirais quoi ?

Oh putain, non ça c’est pas faisable… bon un Madlib ou Aesop Rock peut-être aussi un Clouded. En old school peut-être les premier Dre, mais non c’est pas possible de répondre ça ne sert à rien.

–       Un dernier mot ?

Normalement j’en sors des conneries, mais là je sais pas. On peut rester la- dessus ?

Merci à Tolga, à l’équipe BIM!, et à l’équipe Lola Ed pour l’interview de Tolga.