C’est en étudiant l’ethnomusicologie que Brian Shimkovitz s’est découvert un violon d’Ingres peu commun : les cassettes et la musique africaine provenant du Ghana. Originaire des États-Unis, Brian a de par son cursus universitaire été amené à voyager au Ghana pour y étudier le mouvement Hip Hop local : la Hiplife. Un sujet peu commun qui donna le jour au projet Awesome Tapes From Africa, une initiative multisupports qui se traduit aujourd’hui par un site internet, un label et des tournées de shows au cours desquels Brian partage avec son public les cassettes qu’il a accumulées au fil de ses voyages au Ghana. En juin dernier, Phonographe Corp l’accueillait à la Rotonde de Stalingrad afin de proposer une vision élargie du Djing et de la musique festive. Après un set épique, nous avons eu la chance d’échanger avec l’intéressé pour mieux comprendre sa démarche. Bonne lecture !
Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Salut, je m’appelle Brian Shimkovitz, je suis à l’origine du projet Awesome Tapes From Africa. Derrière ce nom se cachent un blog, un label et mon pseudonyme de Dj.
Comment cela a-t-il commencé ? Fut-ce après ton premier voyage au Ghana ?
Mon premier voyage au Ghana remonte à 2002. Lorsque je suis retourné aux États-Unis pour finir mes études, j’ai demandé une bourse académique pour étudier la culture Hip Hop là-bas. Après ça, je suis revenu à New York et j’ai commencé ce projet.
D’une certaine manière le mouvement Hiplife était très inspirant car il n’y avait aucun travail académique à son sujet. C’était très motivant d’écrire dessus. J’ai passé beaucoup de temps avec les rappeurs et les producteurs ghanéens. Lorsque je suis revenu à New York, j’ai réalisé que ces cassettes que j’avais accumulées contenaient de la musique de toute l’Afrique de l’ouest et qu’il était difficile, voire impossible de les trouver en Amérique du Nord car personne ne connaissait les artistes.
J’avais besoin d’un hobby, et c’était une bonne opportunité de montrer aux geeks et à mes amis diggers comment est la musique en Afrique. C’est complètement différent des produits calibré pour le marché occidental.
Ce projet était également une réaction à l’ethnomusicologie, c’était un façon pour moi d’apprécier la musique sans m’encombrer de tout l’aspect académique de mes études. Durant mes week-ends je postais des trucs pour m’amuser sur mon blog qui s’adresse à toute personne qui écoute ou porte un intérêt à la musique.
Qu’écoutais-tu avant de partir au Ghana et de découvrir la Hiplife ?
C’est un peu banal à répondre mais j’écoutais de tout J’ai grandi en jouant du jazz. J’ai joué dans un orchestre, j’ai donc développé un intérêt pour la musique classique et la musique contemporaine. A côté de ça, j’écoutais beaucoup de Hip Hop et de rock indie. Pendant mes études supérieures j’ai passé beaucoup de temps à aller à des concert de musique expérimentale.
En ce qui concerne la musique africaine je n’avais que les références évidentes comme Fela (Kuti), King Sunny Ade, Youssou N’Dour. J’ai un ami à l’université qui m’a montré des cassettes du Ghana et j’ai été surpris par la diversité de leur musique.
Qu’as-tu trouvé au Ghana ?
Avec l’ethnomusicologie, je prêtais attention à la musique dans les endroits urbanisé du Ghana. Avant ce premier voyage, je n’avais jamais quitté le continent américain, je cherchais à subir un choc culturel. Lorsque je suis arrivé sur place, j’ai vite constaté que le mouvement Hiplife n’était plus le mouvement le plus en vogue.
Comment les rappeurs et producteurs locaux se sont-ils approprié la culture Hip Hop ?
Ce phénomène d’appropriation advient lorsqu’un style musical se développe hors de son berceau. Cela commence avec des processus d’imitation et de copie, puis cela se traduit par un mélange d’influences locales et étrangères. Finalement, l’acculturation atteint un point ou les influences extérieurs sont totalement assimilées et deviennent locales.
Lorsque j’étais au Ghana, la scène en était encore entre le premier et le second stade. Les artistes s’habillaient comme des rappeurs américains et essayaient d’agir en tant que tel. A côté de ça, il rappaient à propos de leurs mère, de leurs familles et de l’amour qu’ils portent à leurs petites copines. C’était marrant car ils ne parlaient pas de vendre du crack ou de fusillades.
Les paroles étaient principalement en Twi qui est la langue principale du Ghana même si le pays compte 25 dialectes. Avec le temps, le phénomène s’est adapté aux particularismes régionaux et aux langues ce qui a donné un ancrage très fort au niveau local à cette culture. Beaucoup d’effets positifs ont découlé de ça.
Il y a quelques semaines, je suis revenu de mon dernier voyage au Ghana. Il semble que maintenant le phénomène se développe de manière autonome. Il y a toujours des artistes qui s’inspirent du rap américain mais finalement le rap, si l’on remonte aux origines, pourrait découler de la musique africaine. Pour moi, ces métissages font sens, de toute façon on ne peut pas contrôler ces échanges culturels avec internet et la mondialisation, la seule certitude c’est que les cultures sont en mouvement permanent.
Pour quelles raisons la cassette a-t-elle survécu en Afrique ?
Il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui, mais le support a perduré du fait du manque de lecteurs CD qui étaient chers avant que les fabricant chinois ne pénètrent sur le marché. Cela peut s’expliquer également du fait de la résistance du support et également du type de support.
La cassette, c’est le premier MP3 jamais mis en circulation. C’était une façon d’échanger et de répandre la musique. Il y avait le vinyle mais avec les cassettes on peut se mettre à côté d’une enceinte et enregistrer. Il ne faut pas oublier que le vinyle n’était pas fonctionnel avec la poussière, la chaleur et le manque de bonne platines et de cellules. Ce n’était pas ergonomique non plus. Qui peut se targuer d’écouter des vinyles en voiture ?
Ça explique partiellement pourquoi le format a survécu. Ce que j’aime le plus à propos des cassettes c’est que cela a permis à de nombreux microcosmes musicaux d’exister et d’être distribués. Économiquement parlant, ces scène n’auraient pas de raison d’être sur un vinyle mais la cassette leur permet d’avoir un ancrage local voire national.
Même dans un petit pays comme le Ghana, il y a de nombreuses régions, de Ouagadougou à Accra, on passe d’une langue à une autre, il y a des gastronomies et des terroirs très différents. En revanche il y aura toujours un petit magasin où tu trouveras un homme vendant des cassettes de ta ville natale. C’est comme si j’allais à Belleville pour acheter une cassette de Guinée.
Pourquoi avoir conservé ce format ?
Pour être honnête, ce n’était pas une idée ou le résultat d’un fétichisme pour le format. C’est juste que de 2002 à 2006, c’était la façon la plus simple pour moi d’accumuler et de découvrir le plus de musique possible. A cette époque un CD coutait 10 fois le prix qu’il coûte maintenant, donc si tu voulais t’immerger comme il se doit dans cette culture t’avais intérêt à te mettre aux cassettes.
De plus, je n’avais jamais vraiment arrêté d’écouter les miennes donc c’est une démarche plutôt naturelle. En revanche, cela ne signifie pas qu’en Afrique ils sont encore bloqués aux cassettes, c’est juste le fruit de l’histoire et d’une contingence technique. Les cassettes ont duré plus longtemps, donc la majorité du contenu produit sous ce format n’est pas sortie sur CD. D’un côté, ce projet a pour but de préserver une partie de cette musique, mais c’est la dimension idéaliste d’Awesome Tapes Of Africa. Je ne suis pas un musée et je n’ai pas les moyens de payer des gens pour numériser ces cassettes. Une petite partie de ma collection est numérisée mais j’en détruis une partie au cours de mes tournées.
Lorsqu’on parle de musique exotique, on peut parfois entrevoir une résurgence du « mythe du bon sauvage » de Rousseau. Il semble qu’il y a un désir de conserver cette image archaïque du pays lointain dans la manière dont la musique est diffusée en occident. Avec toutes ces repress de musique africaine qui surgissent de toutes parts, qui dispose de la bonne posture pour les diffuser d’un point de vue éthique et déontologique ? Comment évites-tu ce genre de clichés ?
Ce concept a commencé pour moi à partir d’une obsession pour les musiques actuelles. C’est de la musique qui a été produite récemment par des gens encore en vie. Les gens pensent que l’Afrique c’est juste un grand truc, mais c’est un continent énorme et l’on ne peut pas généraliser du tout, chaque région a ses spécificités. J’ai essayé de regarder à chaque endroit où j’ai été pour aller au niveau le plus fin et gagner en profondeur dans mes recherches.
Il y a aussi une sorte de rapport de puissance, j’étais « le petit blanc des USA » qui prenait la musique pour aller la diffuser Outre-Atlantique. Ma priorité c’était de présenter la musique de la manière la plus pure possible sans en altérer le contenu, c’était donc les cassettes que j’avais. C’est très représentatif de ce qui se joue là-bas. Je voulais montrer aux gens qu’on ne peut pas mettre la musique dans des cases ou dans un musée, qu’elle reste toujours la même. Il y a des gens sur Soundcloud qui m’ont traité de « suprématiste blanc » alors que j’essaye de faire l’inverse, de faire sortir les gens de leur approche standard et chauvine de la musique.
L’Afrique, comme les autres continents, est également en mouvement, mais ces personnes persistent à croire qu’elle est bloquée dans une époque archaïque. La musique ne peut pas rester la même et les musiciens ne sont pas habillés en pagne en train de jouer des tambours dans la savane. Awesome Tapes From Africa est un projet qui tente de leur montrer que les choses bougent. C’est dommage qu’un jeune homme blanc prit l’initiative. Il y a beaucoup d’Africains, qui savent où chercher, et qui représentent très bien leur culture sur internet. En fait, certaines personnes ne prennent pas le temps de regarder ce qu’il se passe et supposent que, parce que je ne suis pas Ghanéen ou Burkinabé interviewé par Fact Magazine je ne suis pas légitime. Mais Fact ne peut pas atteindre les Africains dont je parle, même si je suis certain qu’il le souhaiteraient, et vice versa. Le message que je voudrais faire passer est de dire aux gens d’aller en Afrique et de dépenser de l’argent et voir les choses par eux-mêmes. Il existe une culture fétichiste de collectionneurs qui ne vont jamais y aller car ils ont trop peur et préfère acheter des disques plutôt que vivre la musique et affronter les gens sur place. Je n’ai pas de problème avec ce que je fais. Je vais au Ghana, je parle la langue locale, j’ai des amis et frères là-bas. Il sont fiers du travail que j’accomplis en diffusant cette culture grâce aux moyens (« privilege ») que j’ai à ma disposition : construire quelque chose et reverser de l’argent dans la poche de ceux qui le méritent.
Tu as également ressortis des cassettes ?
Lorsque je ressors quelque chose je le fait sur tous les formats, cassette, CDs, vinyle et digital. Le label était la suite logique, beaucoup de gens demandaient des sorties. C’est une bonne chose si je peux aider les artistes à toucher un peu d’argent et à choper des dates. Un distributeur m’a contacté et m’a demandé si je voulais continuer à ruiner ma vie car si c’était le cas il pouvait m’aider à commencer un label.
Je travaillais déjà dans l’industrie musicale en tant qu’attaché de presse à New York, j’étais assez confiant pour me lancer. J’avais travaillé avec un grand nombre d’artiste dans le Jazz, dans les musiques africaines mais également des groupes comme Battles…
Je pense qu’une des raisons du succès d’Awesome Tapes From Africa est que parmi tout les gens qui sortent des disques, peu d’entre eux font en sorte de communiquer sur leur production. Vous pourriez mettre tous les disques parus au Mali sur iTunes, personne ne serait au courant et donc personne n’achèterait. Il faut créer de la visibilité et de l’intérêt. C’est ce que j’essaye de faire avec Awesome Tapes From Africa, j’essaye de construire une plateforme pour donner plus de visibilité à ces artistes.
Attaché de presse est un travail ingrat, n’as-tu jamais été déçu par cette industrie ?
Faire la transition de l’ethnomusicologie à la promotion était étrange car je suis passé d’un monde fait de détails et de nuances à un monde stressant plein de désenchantement. Lorsque je suis revenu du Ghana, j’ai bien compris que je ne continuerai pas mes études, je ne voulais pas faire de doctorat et je ne voulais pas enseigner ni écrire. Après un an passé là-bas, j’ai réalisé que cela n’aiderait pas plus les gens sur place d’écrire un ouvrage supplémentaire sur la musique en Afrique. Je voulais contribuer à ma façon. J’ai fait ce travail d’attaché de presse pendant sept ans, et cela m’a déprimé, terni mon âme, mais c’était le job dont je rêvais et j’ai déménagé à New York pour le faire.
Merci à Awesome Tapes From Africa d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Retrouvez-le sur Facebook ou son blog.