Le samedi 30 novembre, ce sera la sixième édition de la soirée Marathon! à la Gaîté Lyrique ! Une soirée qui se propose de mélanger des genres trop rarement mis en parallèle : la musique minimaliste savante et la musique électronique de danse – à comprendre, la house, la techno, et al. Brian Eno et Donato Dozzy côtoieront donc Terry Riley et Steve Reich. Du beau monde, et des rapprochements bienvenus. L’un des clous de la soirée, sans aucun doute, sera le Drumming, l’un des chefs-d’œuvre de Steve Reich, mis en live par l’Ensemble Links. Une pièce qui mérite quelques éclaircissements pour être appréciée à sa juste valeur.
Courte remise en contexte historique, d’abord : la musique minimaliste américaine est née dans les années 60 autour de figures telles que Philipp Glass, La Monte Young, Terry Riley, et bien sûr Steve Reich ; il s’agit d’un courant de musique savante, donc écrite (que l’on appelle communément, et sans doute à tort, « musique classique ») ; courant qui s’inscrit dans une démarche de rupture avec les avant-gardes musicales trop indigestes – type Stockhausen ou Xenakis, pour ne pas les citer. Ainsi, à l’inverse des œuvres inspirées du sérialisme intégral qui travaillent sur tous les paramètres du son pour s’éloigner le plus possible de l’idée de thème, de tonalité, ou de tout type de repère – comme, par exemple, une mélodie reconnaissable & assimilable par l’auditeur – la musique minimaliste se fonde sur le principe de la répétition. Répétition, oui, mais attention : la musique minimaliste américaine n’a en aucun cas influencé les premiers producteurs de techno, et Juan Atkins comme Jeff Mills confessent ne l’avoir découverte que bien après les débuts de la techno.
Quant à Steve Reich, il est sans doute, des minimalistes, le plus subtil. Et cette pièce, Drumming, en est un bon exemple : composée entre 1970 et 1971, elle est écrite pour un ensemble plutôt hétéroclite de percussions et de quelques voix, et comprend quatre parties. C’est aussi une œuvre qui peut sonner assez austère ; en voici donc deux clefs (il y en a d’autres, mais ces deux aspects parleront sans nul doute à un amateur de techno) : il faut être attentif d’une part 1/ aux timbres, et d’autre part 2/ au processus dynamique, fondé sur un principe de déphasage.
Les timbres, d’abord : parmi les percussions, on compte des bongos, un glockenspiel, des marimbas. Des instruments assez étrangers à la tradition musicale occidentale, donc, qui n’ont certainement pas été choisis au hasard, s’inscrivant dans un XXie siècle qui tend de manière générale à donner davantage d’importance aux timbres et à leur mariage. Des instruments qui, aussi, sont classés parmi les percussions mais qui n’en ont pas moins une hauteur. À vous aussi d’être sensible aux mariages des timbres : voix/marimbas, les glockenspiels/le piccolo/sifflements, marimba/bongos/glockenspiels … Car l’oreille du timbre est une oreille qu’on n’a pas encore l’habitude de cultiver, mais il faut ici s’y efforcer, car les accords mets-vins entre sons, pour ainsi dire, y sont très élégants.
Les processus dynamiques, ensuite : toute la pièce est fondée sur une cellule rythmique répétée à l’envi, et se déphasant progressivement. Il s’agit là d’un procédé classique de la musique répétitive, qu’on attribue à Steve Reich, et qui s’inscrit dans la dynamique générale de cette musique : on change une toute petite chose, un tout petit paramètre, pour faire entendre ce changement minime, et créer le mouvement dans une musique qui, strictement répétitive, serait statique. L’intérêt est donc dans l’écoute de ce déphasage subtil et progressif, qui donne à chaque occurrence de la cellule rythmique une saveur particulière. Plutôt que de se perdre dans ce flot musical, il s’agit d’être attentif et d’en écouter les infimes variations pour en saisir la saveur.
Bonne écoute, donc, pour les chanceux qui auront la chance d’observer l’Ensemble Links jouer la pièce (… et dont les musiciens n’en sont pas à leur coup d’essai, puisqu’ils ont déjà fait trembler les murs de la Philharmonie en 2016 puis en 2018 avec cette pièce). Pour les autres, sachez qu’il existe au disque plusieurs interprétations de la pièce, mais la meilleure reste peut-être celle de l’Ensemble Ictus. Et si vous restez sur votre faim, sachez que cette œuvre a inspiré nombre de chorégraphes : s’il fallait n’en choisir qu’une, que ce soit Ann Teresa de Keersmaeker – avec Ictus.
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Marathon!, le 30.11 à la Gaîté Lyrique, à Paris. Malheureusement, c’est complet.