Disquaire et label sans genre ni frontière, Les Disques Bongo Joe navigue là où on ne l’attend pas : dans des vents contraires qui sillonnent la Suisse et traversent les quatre coins du globe. Basé à Genève, le label distille un savant mélange d’idées et de rencontres : la psyché-pop turque d’Altin Gün ou de Derya Yildirim & Grup Simsek navigue à merveille avec la poésie réunionnaise et les productions suisses d’avant-garde. On part à la rencontre de l’un des labels les plus toniques et exaltants du moment avec son créateur, Cyril Yétérian. 

Pour commencer, parle nous un peu de Bongo Joe, de la genèse du projet.

Après avoir tourné comme une hélice aux quatre coins de la planète avec mon ancien groupe Mama Rosin, le besoin de mettre à disposition dans ma ville, entre quatre murs et un coin de trottoir, une espèce de lieu culturel où se mélangent disques, tables, concerts, conférences, etc … J’avais depuis 2008 un label, Moi J’Connais Records, qui mélangeait déjà artistes actuels (surtout suisses) et des rééditions de musiques inconnues. Je faisais des échanges avec pleins d’autres labels. Ça a été la base de la sélection qu’on pouvait trouver au shop, à son ouverture en décembre 2013. Le label est né sur les cendres encore chaude de l’ancien. Cela m’a paru évident de donner le nom du magasin à ce nouveau label, né en décembre 2015.

En 2018, vous sortez le premier album d’Altin Gün qui connaît un grand succès. Comment s’est fait cette rencontre ?

Jasper Verhulst et Nic Mauskovic (guitariste et batteur d’Altin Gün, ndr) étaient en tournée avec Jacco Gardner et sont venus au magasin après leur soundcheck. Ils avaient entendu parler du magasin, le label Bongo Joe avait déjà sorti des disques qui trainaient dans les bacs de Rush Hour à Amsterdam, le QG de Nic et Jasper, notamment la réédition du poète réunionnais Alain Peters, la compilation Soul Sega Sa! vol.1, et celle du flutiste martiniquais Max Cilla. Également le premier EP de Derya Yildirim & Grup Simsek, première signature « psych turque » sur le label.

Avec Altin Gün et Derya Yildrim & Grup Simsek, le label a participé à ce qu’on peut appeler un revival du psyché turc. Quel est ton regard à ce sujet ?

Dans le monde des diggers et amateurs de grooves mondiaux la musique psyché turque est connue depuis longtemps et c’est toujours une énorme surprise de voir sortir une scène musicale du cercle des initiés. La découverte récente par le grand public de l’âge d’or de la musique anatolienne, à travers (entre autres) les groupes qu’on a sur le label (Altin Gün, Derya Yildrim & Grup Simsek et plus récemment Lalalar) a été une grande surprise. J’ai un peu l’impression d’avoir été au bon endroit au bon moment. La musique de ces groupes est fantastique, et je connais également plein de groupes fantastiques qui n’auront jamais accès à une telle reconnaissance. La roue de la fortune …

À côté du label, il y a la partie disquaire et café, installée à Genève. 

L’aventure Bongo Joe a commencé avec le magasin il y a bientôt 7 ans. Des disques, des CDs, des livres et des cassettes partout, une sélection large mais pointue dans quasi chaque style de musique et aussi petit café, lieu où l’on organise régulièrement des concerts, in-store, DJ sets, conférences, vernissages, etc. C’est un petit lieu dans lequel les gens se rencontrent, se parlent, échangent. Des groupes se sont formés après une rencontre au magasin. Avec la notoriété croissante du label on voit passer depuis plusieurs années plus des touristes qui viennent voir le QG du label et y acheter des disques.

Aujourd’hui avec la crise actuelle, comment gère t’on un disquaire ?

On a fermé pendant deux mois. On rouvre mardi (il y a deux jours, ndr) ! Soulagement … Entre temps on a mis sur pied une heure de livestream quotidien qu’on a appelé Résiliences Sonores. Nous avons invité les DJs mais aussi les acteurs culturels qui font notre ville et qui tournent en rond dans leurs salles vides, leurs festivals annulés … Les 3 dernières semaines, on a senti la pression des charges, le compte en banque quasi vide, et on a commencé à livrer des disques à vélo. La réponse a été super positive et ça nous a sauvé !

Vous mettez à l’honneur la scène locale, peux-tu nous parler un peu de la scène genevoise ? Des références à nous citer?

La scène genevoise est effervescente. Beaucoup de styles de musique s’exportent désormais loin de chez nous. La scène rap cartonne, la scène expé-inclassable-groove-rock-funk-folk a révélé des groupes incroyables comme Hyperculte, L’Eclair, Cyril Cyril, Massicot, L’orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et d’autres labels font honneur à ce qui se passe ici, je pense à Colors Records, Le Pop Club, Cheptel Records ...

Vous avez créé dernièrement Innervisions, un projet de conférences sur l’histoire de la musique très intéressant, organisé au magasin. En quoi ça consiste ?

Il nous tenait à coeur de parfaire nos connaissances sur la musique. Nous avons mis un point d’honneur à inviter celles et ceux qui racontent les histoires de traverse, les histoires de scènes musicales peu connues, les parcours de perdants magnifiques, les damné.e.s du music business. Ça ne nous intéressait pas trop d’organiser des conférences comme tu peux en trouver dans les universités. On préfère mettre l’invité au centre du magasin, les gens autour. C’est, des fois, parti en grosses discussions houleuses et on adore ça ! La musique nous réunit, nous fait réagir, nous garde vivants.

Des sujets sur l’histoire de la musique, de ses niches musicales, à retrouver ici.

Un peu de psychédélisme suisse avec le dernier EP de L’Eclair sur les disques Bongo Joe !