Boss du label POLAAR, figure majuscule de la bass music, la productrice et DJ Flore n’est plus à présenter tant sa musique et son label rayonnent depuis la capitale des Gaules. À l’occasion d’une nuit à haute intensité à La Station ce samedi 17 mars, on a échangé quelques mots avec elle : son actualité, Peder Mannerfelt, ses productions mais aussi la place toujours très relative faite aux femmes dans les scènes électroniques. 

Hello ! Je suis très content que l’on puisse discuter tous les deux, j’ai l’impression que tu suis un peu ce que l’on fait sur Phonographe Corp et que nous aussi. Comment ça va ces jours-ci ? 

Contente aussi que l’on puisse discuter, cela fait un moment que l’on se tourne autour en effet ! Tout va bien dans la capitale des Gaules, il fait beau ce matin et je m’apprête à rejoindre WSK pour ajouter quelques nouveautés au live que nous allons jouer la semaine prochaine à La Station. Nouveaux morceaux, nouveaux visuels, cela fait du bien de remettre les mains là-dedans et d’inclure de nouvelles choses dans le set.

Tu as une belle actualité en ce moment : tu sors un EP sur PM+, le label de Peder Mannerfelt. Comment est-ce que tu l’as composé ?

Cette année j’ai essayé de bousculer mes habitudes. Depuis mes débuts, je compose de la musique sur l’ordinateur directement, avec la souris principalement et même si j’ai toujours utilisé divers outils de contrôle pour gagner en spontanéité, je suis toujours restée très axée sur les logiciels et l’informatique. Ableton Live est un outil génial que je maitrise vraiment très bien, c’est un couteau suisse très puissant dont le potentiel est illimité, mais ces derniers temps j’ai commencé à acheter des machines analogiques beaucoup plus limitées et j’ai trouvé ça très stimulant. 

Ces 2 morceaux sont donc initialement des jams de 15 minutes réalisés avec une petite boite à rythmes modulaire que je me suis montée, avec des effets assez punk comme des filtres résonnants et des saturations. J’ai enregistré ces impros dans Live, en mono, et ensuite j’ai remonté le tout en y ajouter des choses par-dessus. Deux tiers des morceaux viennent de ces enregistrements bruts, avec aucun retour en arrière possible. J’aime beaucoup ce parti pris, c’est assez radical à l’heure où tu peux tout faire sur un ordinateur, éditer à l’infini, corriger n’importe quel détail. Là, tu dois faire avec ce que tu as et ça m’a beaucoup inspiré. Le résultat est donc un EP assez brut de décoffrage, très dansant et plus punk que mes précédentes productions. 

 

 

Tu cites Mannerfelt comme une source d’inspiration : on sent une certaine connexion entre ton travail et le sien – le fait d’être sincère et ‘vrai’. 

Peder est en effet un gars très « pure », qui suit sa passion plutôt qu’un plan de carrière. On ne se connaissait pas personnellement avant que je lui soumette ces morceaux, mais cela fait des années que je surveille ce qu’il fait. Quelque part, je pense que l’on se ressemble pas mal : on ne se met pas de limite niveau esthétique, on essaie des choses. Quand tu regardes sa discographie et tous ces projets annexes, c’est assez fascinant : tu peux y écouter de l’ambiant, comme de la house totalement débile ou encore de la techno ultra-violente à la Perc. Et le truc fou, c’est qu’il fait mouche à tous les coups ! 

Quelles ont été les inspirations quand tu as lancé POLAAR, d’ailleurs ?

Avec Marc, mon associé, on a une fascination sans bornes pour les 10 premières années de Metalheadz, le label de Goldie. Cela reste encore une forte source d’inspiration pour nous, en termes d’ouverture musicale et d’exigence. Ce qui m’intéresse chez POLAAR, c’est de signer des artistes qui ont leur son : les productions de SNKLS et de Tim Karbon n’ont absolument rien en commun, de même pour Esther, Prettybwoy ou Only Now mais tous ensemble, ils représentent tout ce que je trouve de plus interessant dans le large spectre de la Bass Music, selon ma conception. C’est pour ça que j’aime travailler sur le long terme avec les mêmes artistes : mon idée en temps que label manageuse est de les aider individuellement à aller encore plus loin dans la recherche de leur son.

En studio, tu fonctionnes comment ? Beaucoup de préparations, ou de l’improvisation ? 

Franchement, cela dépend des périodes ! Mais le fait de jouer de plus en plus en live a changé ma façon de composer. Quand tu joues en live seule, tu dois te limiter à un certain nombre d’interactions car tu n’as que deux mains pour jouer. J’ai l’impression que ça a radicalisé mes choix et que ma musique est plus directe, plus frontale. Et ça me plait assez.

Tu as été la première femme formatrice certifiée d’Ableton en France – ce qui t’a amené à proposer des formations et des workshops. Le fossé est-il encore grand entre les hommes et les femmes en terme de formations et d’accès ?

Sur cette question, le problème est un monstre à plusieurs têtes. J’ai le privilège d’avoir beaucoup de femmes dans mes formations – cette semaine, j’ai donné deux jours de cours à un groupe de 5 personnes dont 4 étaient des femmes. Globalement, leur profil est très spécifique, assez peu viennent de la scène électronique mais plutôt du spectacle vivant, et – facteur important – sont intermittentes du spectacle. À l’heure actuelle, j’ai assez peu de femmes qui viennent de la sphère électronique car n’était pas (encore) intermittentes, elles n’ont pas accès aux aides pour faire financer leur formation, qui sont assez couteuses. Le problème de l’apprentissage et de l’accès à la formation est étroitement lié à l’accès à l’emploi, dans le fait d’être programmé ou de se professionnaliser.

Heureusement, ses dernières années, on a vu fleurir de nombreuses initiatives féministes autour de workshops de djing et de production, ceux-ci viennent répondre à un manque et aident également les femmes à tisser des liens et un réseau entre elles. Cela reste cependant des initiatives assez fragiles, avec des modèles économiques compliqués à trouver : payer une intervenante, accéder à un lieu, à du matériel, ce n’est en soi pas évident, et les problèmes ne sont pas les mêmes si tu vis à Paris ou dans un petit village de la Drôme. Bref, il y a beaucoup de choses à faire et à imaginer.

Sur la place des femmes dans les musiques électroniques, tu es très investie notamment avec Sisterhood Collection – les mixes et podcasts et la chronique sur Underscope. Quel a été le point de départ, l’idée fondatrice ? 

Lorsque j’ai sorti mon album RITUALS en 2020, j’ai eu beaucoup de demandes de mixes pour la promotion. À un moment, j’ai reçu trois demandes que je ne pouvais pas refuser : Radio Nova, Beatport et Juno. Tout ça sur un l’espace d’un mois. Je trouvais un peu stérile de faire un mix indépendant par média, donc j’ai réfléchi à comment je pouvais rendre le truc plus fun. J’ai d’abord décidé de réfléchir à ces trois mixes comme un seul, avec comme premier projet de jouer tous les styles et BPM que j’aime. Donc de partir de 90 et de finir à 170. À ce moment-là, en plein premier confinement, le sujet de la représentativité des femmes dans le milieu revenait vraiment souvent sur la table et je me suis dit « tiens, c’est bien beau de parler de la présence des femmes sur les lineup, mais qu’en est-il de leur place dans les playlists ? » En creusant le sujet, c’est-à-dire en mettant le nez dans ma propre collection de tracks, j’ai constaté que j’avais assez peu de morceaux composés par des productrices, que c’était globalement les mêmes dont je suivais le travail. J’ai eu envie de creuser le sujet et, au plus j’ai creusé, au plus j’ai découvert des artistes géniales et des morceaux incroyables. 

Cela a donc donné lieu à une collection de mixes, Sisterhood Collection. Ensuite, ça a pris la forme de posts sur Facebook qui mettait en avant une femme tous les trois jours, jusqu’à ce qu’Underscope me propose de faire ça sous format video. Me voilà donc Instagrammeuse malgré moi !

Depuis, les choses se sont sensiblement améliorées – tout en restant problématique parfois en terme de parité et de propositions. Quel est ton ressenti, début 2023 ? 

Franchement, le tableau est vraiment contrasté. On a pu constater en effet un gros effort dans certains clubs – en général dans les grandes villes – et qui voient leur activité comme faisant partie de la Cité, avec une volonté d’amélioration sur les plans éthiques au sens large. Mais quand tu regardes les programmations des salles de concert et des festivals, on est encore loin du compte. Une fois de plus, le problème est multiple : il n’y a pas encore assez de projets artistiques féminins bankables et ensuite, lorsque ceux-ci existent, ils sont très sollicités. Ce sont généralement ceux qu’on voit partout et qui servent parfois le « quota » féminin sur certaines programmations. Le chemin est long. Je crois que la dernière étude sortie il y a quelques semaines faisait état de 17% de programmation féminine sur les programmations de 2022.

La fête maintenant ! À la prochaine édition de Nuits sonores, tu partageras les platines avec Deena Abdelwahed et Glitter55. Un b3b rêvé, non ? 

Je suis absolument RAVIE de jouer avec mes copines ! Déjà parce que je les adore, ce sont des joyaux, et ensuite parce qu’elles sont incroyablement talentueuses. On a testé ce B2B2B en mode surprise aux Nuits sonores l’année dernière et l’on m’en parle encore. Ça va être sauvage ! Très fière aussi de proposer ça sur un plateau POLAAR, en collaboration avec le label SHOUKA. Le reste du line up est bien savoureux à souhait, avec un b2b inédit de Tim Karbon et Nessym et deux lives qui mélangent musiques électroniques et percussions, Frigya d’Imed Alibi & Khalil Epi et celui de Ninos Du Brasil. De la tuerie !

Flore et son label POLAAR seront à La Station – Gare des Mines ce samedi 17 mars, avec Lee Gamble, Sicaria, Esther et Flore en live avec WSK. On vous offre des places par ici !