Depuis 2017, l’énigmatique Apollo Noir s’est fait une place sur de beaux labels, comme Tigersushi Records et OOH-sounds, et évolue derrière les machines de vos artistes préférés. Loin de se cantonner à la production, il partage son expérience aux artistes de son entourage via son label Santé Records et performe en live dans l’église du coin (St Eustache) ou des festivals exigeants. Apollo Noir se produira en live pour notre édition 2023 du Disquaire Day, il était indispensable de vous présenter ce personnage hors normes et d’une gentillesse rare.

Avant toute chose, précisons-le, Rémi et moi sommes amis depuis près de 2 ans. Dépassant la trentaine, on se met à avoir des loisirs chelous et des envies bizarres, du type courir à l’heure où l’on se serait couché 10 ans avant. La logique aurait voulu que je rencontre Apollo Noir devant la scène d’un rade poisseux jouant du drone sans pied, mais la vie en a fait autrement. Notre rencontre s’est faite au détour d’une sortie running avec l’équipe du magasin Distance (big up à eux) et, depuis, nous n’avons eu cesse de chercher un moyen de collaborer. Aujourd’hui, un beau projet va voir le jour qui vous sera dévoilé dans les lignes qui suivent. Conversation à bâtons rompus avec l’auto-proclamé “homme le plus heureux au monde” !

Bonjour Apollo Noir, qui es-tu ?

Merci de me recevoir ! Je m’appelle Rémi Sauzedde, j’ai 36 ans, je suis artiste musicien sous le nom de Apollo Noir. J’ai commencé ce projet en 2015 et j’ai sorti mon premier album en 2017 sur Tigersushi, le label de Joakim. Depuis, j’ai sorti 4 albums, j’ai fait beaucoup de collaborations avec d’autres artistes en tant que producteur ou co-artiste, notamment avec Adrien Pallot — avec qui j’ai sorti un album d’ambient l’an dernier. J’ai aussi mon propre label, très hétéroclite et très alternatif, Santé Records. Ma musique va de l’ambient à la musique club, IDM et expérimentale. Elle se manifeste par les albums mais aussi par le live et vraiment très peu en DJ. Mon son est très mutant en fonction des ambiances et des dispositifs que je peux exploiter. Par exemple, je ne jouerai pas la même musique pour un concert assis ou debout.

On va remonter un peu les origines de ces projets, tu n’as pas mentionné un élément important : tu es Auvergnat, tu es basé à Vichy en ce moment, comment un jeune grandissant dans les années 90 dans ce coin découvre la musique électronique ?

Je suis de Thiers à l’origine, un coin très rural, marqué socialement et peu favorisé. C’est une zone extrêmement marquée par les délocalisations d’entreprises dans les années 90 qui se sont ensuivies par du chômage de masse. J’habitais vraiment à la campagne. Mes grands-parents étaient agriculteurs et mon père était coutelier, je viens d’un milieu modeste mais j’ai eu la chance d’avoir eu des parents très intéressés par la musique, la philosophie et l’art en général. Mon grand frère et moi avons grandi avec de la musique en permanence. Le fait d’avoir un frère 5 ans plus vieux que moi dans ces années-là m’a beaucoup apporté. Lorsqu’il avait 16 ans, il a commencé à jouer dans des groupes de punk rock et ça a changé ma vie.

On a découvert les cultures skate, roller, snowboard ensemble ainsi que des tonnes de musique à travers les vidéos que l’on regardait : hardcore, punk rock, hip-hop. Ça nous rendait dingues ! J’ai écouté beaucoup de musiques avant de savoir que j’allais en faire. À 16 ans, il y avait pas mal de groupes dans les villages alentours et il manquait souvent un batteur. Le jour de mes 16 ans, je suis rentré dans ma chambre et mon cadeau d’anniversaire m’attendait : une batterie que je n’avais même pas commandé ! J’étais comme un fou. À partir de ce jour, je n’ai jamais lâché la musique. Je me suis mis à jouer dans tous les groupes du secteur et je faisais déjà beaucoup de concerts. À 18 ans, je me suis installé à Clermont Ferrand et j’ai joué avec des groupes plus confirmés, malgré mon faible niveau. Mais pour faire du punk c’était suffisant.

À 19 ans, j’ai quitté la ville pour Paris ce qui a changé beaucoup de choses car habiter dans un appartement de 20m2 change la donne pour un batteur. Je me suis donc acheté mes premiers synthétiseurs. La chance que j’ai eu c’est que j’ai toujours été ouvert d’esprit, donc je ne me disais pas du tout que je ferai du punk toute ma vie en méprisant les autres styles. C’est comme ça que j’ai switché de la batterie au synthé, le plus important était de faire de la musique avant tout. J’étais seul et a priori, je pouvais faire de la musique électronique en solo. On est alors en 2005, je n’ai pas beaucoup d’argent, je suis étudiant et je navigue entre différents jobs alimentaires. Il n’y a pas la même documentation que maintenant pour se former, mais j’explore, j’apprends la MAO et je tombe dans la musique électronique, avec cette culture punk rock et DIY qui me marque encore aujourd’hui. Je suis plus du côté des squats et salles de concerts que des clubs, déjà à l’époque et encore aujourd’hui, bien que je sois dans la musique électronique. Au final, ça reste la même énergie.

J’ai grandi dans une ville moyenne également et on avait aussi cette culture skate et punk au début des années 2000, c’était ce qu’il y avait de plus accessible via les médias de l’époque et Myspace par exemple. Vingt ans plus tard, on se rend compte qu’énormément de DJs et producteurs de notre âge ont été influencés de la même manière et eu un déclic avec la musique électronique par la suite. Comment as-tu eu ce déclic ?

Il y en a eu plusieurs. Mes parents étaient fans de Jean-Michel Jarre qui tournait beaucoup à la maison, avec Kraftwerk, Klaus Schultze… J’étais fasciné : comment ces sons pouvaient sortir d’une seule personne ?

Il y a eu un gros choc aussi, via Radiohead. Je n’étais pas spécialement fan mais je lisais une interview de Thom Yorke mentionnant LCD Soundsystem. C’était au moment de leur premier disque en 2004, ça m’a mis une grosse claque. Je connaissais les références du groupes, du post punk à Talking Heads en passant par le Disco, mais je ne connaissais pas de groupes actuels réussissant à aussi bien mélanger ces influences. Ça m’a retourné la tête. Forcément, j’entendais du synthé et de la boîte à rythmes, ce qui m’a convaincu qu’il est possible de faire un truc fun avec de la musique électronique qui ne soit pas forcément de la dance, de la techno ou de la musique atmosphérique à la Jean-Michel Jarre, on peut aussi sortir une musique avec une attitude punk.
J’ai commencé à être boulimique, à réécouter des classiques électroniques, découvert la house, l’acid, la jungle… Me retrouver seul à faire de la musique sans trop avoir la culture m’a vraiment amusé. Avec énormément de naïveté, j’ai commencé à développer ma musique.

Je me mutais en homme-orchestre, c’était génial. C’est si simple, tu es chez toi, tu allumes tes enceintes et c’est parti. Quand tu as un groupe, tu dois t’organiser selon l’agenda des autres, il faut que tout le monde soit de bonne humeur pour jouer correctement. Le chanteur a son égo, le bassiste n’est pas content car le chanteur prend toute la place…

Tu es donc à Paris avec tes moyens du bord, à faire du son. Tu as mentionné des jobs alimentaires, quand as-tu dépassé ce stade et t’es-tu professionnalisé pour en vivre ?

Ça a pris beaucoup de temps et maintenant je comprends pourquoi. Comme je te le disais, je viens d’un milieu rural. Par exemple, je savais ce qu’était un concert mais je n’avais pas accès à ce type d’événement, personne dans mon entourage n’était dans la musique ou un domaine artistique. C’était inimaginable pour moi de devenir musicien.

Mes jobs alimentaires sont devenus de plus en plus intéressants et je commençais à avoir un pied dans la musique. Je rencontrais du monde et je produisais de plus en plus de musique, sans aide extérieure, à mon rythme. Et petit à petit, ce que je faisais commençait à sonner de mieux en mieux.

Un jour un ami me dit qu’il est ami avec le chanteur Sliimy. Il avait sorti son premier album et il cherchait à faire un second disque. Mon ami m’a proposé de rencontrer Sliimy pour voir si l’on peut travailler ensemble. A vrai dire, Je n’étais pas très confiant car je n’avais jamais fait de musique pour qui que ce soit autre que pour moi et encore moins de la pop, un univers qui m’était inconnu. Mon pote me pousse à essayer et finalement on se rencontre avec Yanis (aujourd’hui Janis) et le courant passe très très bien, on fait un test. On a fait 2 titres dont un sorti immédiatement, “Hypnotized”. Il y a eu un clip dans lequel joue Charlotte Lebon qui a fait 2 millions de vues en 1 jour. Le lendemain, l’éditeur Sony ATV m’a appelé et m’a offert la possibilité de commencer à gagner de l’argent avec ça. En parallèle, j’ai eu l’opportunité de faire de la musique à l’image et de faire des musiques de pub pour Louis Vuitton, Chanel ou d’autres marques de luxe. C’est arrivé presque par hasard, très vite, en l’affaire de quelques mois, donc forcément tu ne te sens plus pisser (rires). Je me suis immédiatement dit que c’était une chance de faire ça et qu’il ne fallait pas oublier d’où je viens et pourquoi je fais de la musique. Il faut s’amuser avant tout. Par sécurité, j’ai conservé mes activités de graphisme et développement web. Petit à petit, je faisais plus de musique et je n’avais plus de temps pour le reste. En 2016, la bascule vers la musique à plein temps s’est naturellement faite. Je me sens béni. Je garde en tête que ça peut s’arrêter du jour au lendemain mais je serai tout de même le plus heureux au monde d’avoir eu cette opportunité.

Quand tu commences à faire écouter tes sons à tes potes et à des inconnus, tu passes une grosse étape ! Tu écoutais Joakim donc, et en 2017 tu t’es retrouvé sur son label, comment s’est faite la connexion ?

Ça s’est fait grâce à Facebook ! Ce disque qui allait devenir mon premier album était prêt. Je l’avais fait écouter à mon ami Serguei Spoutnik (également sur mon label Santé) qui m’a dit de l’envoyer à des labels. J’avais commencé à faire ma liste, le premier label était Tigersushi. J’ai envoyé un message sur la page Facebook de Joakim. En finissant l’album, je m’étais fait un mini mix de 2 minutes avec une vidéo. Je lui ai envoyée et il m’a tout de suite répondu qu’il voulait qu’on se rencontre. Le courant est passé, il a adoré l’album et validé l’intégralité. Aussi simple que ça !

Mon album est arrivé à un moment où Tigersushi ne sortait pas beaucoup de disques. Je dirais donc j’ai eu de la chance de les contacter à ce moment-là.

Je le vois avec mon label, plus on sortait de disques, plus on était sollicités. On avait un planning mais on ne pouvait pas travailler avec certains artistes car les disques allaient sortir 2 ans plus tard, c’est dommage. En étant une petite structure, c’est délicat. On n’a pas nécessairement la force de frappe requise.

Justement, parle-nous de Santé Records.

Le label est une sorte d’entité mythique. Quand tu connais le catalogue d’une maison, tu achètes les disques quand ils sortent car tu sais que c’est une valeur sûre.

On est entourés de gens talentueux qui font de la musique. J’écoutais beaucoup de disques d’ami.e.s qui ne sortaient pas toujours. La création du label s’est faite en 2 temps, d’abord par la rencontre avec Clément aka Botine avec qui j’ai créé l’entité. Ensuite, Serguei dont je parlais, avait un groupe qui s’appelait QDRPD, un espèce de art rock hyper barré. Ils avaient envoyé les démos à leur label en Belgique qui n’a pas aimé ce nouvel album… En écoutant, on a adoré, on s’est décidé à créer la structure puis de le sortir. Ensuite, on a sorti le disque de Adrien Pallot, de l’ambient qui n’avait rien à voir, puis Peanuts, de la techno saturée lente. En 3 releases, on avait 3 styles différents.

Se sont ensuivis Claude Violante, S. Diamah, Plastre, Glass, HVSVH, des compil… Actuellement, on est en pause à cause de nos projets perso, mais je suis très fier de ce label dont les sorties sont très variées, mais c’est ce qui finalement fait sa cohérence. Je ne me suis jamais senti appartenir à une scène en particulier. Les communautés ne m’ont jamais attiré.

Sans connaître tous les artistes, il y a un aspect DIY et beaucoup d’expérimental qui en ressort. Ça se voit seulement avec les pochettes.

On a fait ce label car je connaissais l’envers du décor, les majors. Être un label aujourd’hui est souvent hyper précaire. Tu n’en vis pas, sauf si tu as eu la chance de signer un artiste fer de lance. Ça tire les autres artistes. Autrement, ça fonctionne avec des subventions par exemple. On s’est dit qu’on ne demanderait pas d’aides et que les seuls bénéfices réalisés seraient réinvestis. On ne s’est jamais payé quoi que ce soit avec ce label. Je crois que l’argent pollue l’artistique, autant on peut l’éviter, plus pure sera la musique.

Maintenant le label n’est plus une source de revenus directe, c’est plus une externalité positive sur ta carrière d’artiste. Le financement vient indirectement par des label nights ou du merch par exemple.

Exactement, si on fait une soirée, on se retrouve et on joue ensemble, on est là pour ça ! On n’est pas là pour faire du business mais pour s’amuser. Je ne crache pas sur les gens qui font de l’argent, je respecte totalement, mais j’ai un certain plaisir à me dire que mon label ne créé pas d’argent. Peut-être qu’un jour je créerai un label où l’argent coulera à flots, mais Santé Records n’a jamais été calibré pour et ne le sera jamais.

Je réalise que tu as une carrière inversée : tu as commencé par du mainstream, placement TV, radio et syncro, musique à l’image pour finir par une musique expérimentale et underground. Ton premier disque solo est sorti en 2017, après avoir commencé à vivre de la musique.

Malgré moi, je me suis retrouvé à faire des boulots commerciaux dans la musique qui m’ont aidé à me professionnaliser, mais au fond de moi j’ai toujours été dans une musique plus exigeante. Vers 2005, J’écoutais Warp, Joakim, Bot’Ox, I:Cube, Versatile… Je n’étais pas dans cette scène, c’était un monde opaque et inaccessible pour moi.

J’ai eu un gros déclic en 2015 lors des attentats. Je me suis mis à faire du son dès le lendemain et tout s’est aligné. Tout m’a semblé clair. Apollo Noir était né. Dans l’album que tu mentionnes, A/N, il y a 2 morceaux qui datent de 2007. Ils sont sortis 10 ans plus tard ! J’assumais tout à fait tous ces tracks, je n’avais plus peur de les faire écouter et je pensais pouvoir en faire quelque chose sur scène par exemple.

Tu veux continuer à faire de la pop ?

Avant toute chose, il est primordial et intéressant pour moi de sortir de ma zone de confort, travailler avec quelqu’un que tu ne connais pas et que tu apprends à connaître. C’est enrichissant. Jeune, j’ai très peu écouté de pop finalement, j’ai découvert Michael Jackson à 25 ans. Et aujourd’hui j’en écoute beaucoup, j’adore ça. C’est une opportunité d’injecter de ma personne et de ma culture (plus en marge) dans la pop. Cet entrisme est très intéressant. Je ne prétends pas faire de l’excellente musique, mais j’essaye de m’amuser le plus possible dans ce que je fais. La bonne pop c’est ça pour moi : réussir à faire un son universel avec une musique qui ne l’était pas au départ. Ce son va être incarné par une chanteuse ou un chanteur qui a cette aura de pop star qui va attirer tout le monde, mais la musique derrière peut avoir un caractère étrange et barré. Rosalía est un exemple parmi tant d’autres : elle est allée chercher des producteurs et productrices d’autres horizons pour faire le son de demain. J’adorerai faire ça !

Tu peux être force de proposition en étant en studio avec ces personnalités ?

C’est très dur. Je ne vise aucun artiste en particulier, mais souvent on vient te voir avec de grandes idées, puis au final mon apport créatif représente une mini partie de l’ensemble. Il faut un certain cran pour lâcher prise sur ce que les gens attendent et être capable d’aller plus loin. Quand on me dit que je dois sonner comme FKA Twins , Frank Ocean ou Lana Del Rey je trouve ça inutile car d’autres l’ont déjà fait…

Il faut du nouveau ! Ai-je trouvé la bonne façon de communiquer avec les artistes pour dépasser ce stade ? Je dois surpasser cette peur de blesser les gens en les orientant. De mon côté, je ne veux pas être que dans la technique et la reproduction pure. Je veux créer, inventer, diriger et proposer. Offrir l’opportunité aux artistes de s’assumer.

Tu n’as peut-être pas dépassé le stade de producteur exécutif pour arriver à celui de DA ?

Effectivement, j’ai la casquette technique et producteur car je maîtrise les outils de studio, mais je dois encore avoir cette vision globale, comprendre qui sont les personnes et voir ce que l’on peut faire ensemble pour arriver à un vrai résultat pop.

Apollo Noir - YPLC
Apollo Noir - YPLC

Je voudrai montrer le grand écart des artistes avec qui tu as travaillé : Buvette mais aussi Jeanne Added ?

J’ai aussi produit pour ​​Silly Boy Blue, qui va sortir son deuxième album. Avec Sam Tiba on a produit sur son premier album, c’était très intéressant. Maintenant avec le recul, je me dis qu’on aurait pu aller encore plus loin ! Lorsque tu produis un album, tu es souvent très pris par le temps, on a 2 semaines de studio et il faut avancer vite. J’ai également travaillé avec Bagarre, Jean Felzine, 7 Jaws, Laylow…

Pour 7 Jaws, on était allés au bout de l’expérimentation, mais les morceaux n’ont pas été retenus sur l’album car il a préféré d’aller sur une orientation beaucoup plus conventionnelle pour son premier album. J’ai aussi bossé avec Laylow, c’était sur L’Étrange Histoire de Mr. Anderson. On s’est rencontré car il voulait un son futuriste et différent. Malheureusement, ça n’a pas fonctionné car il voulait un beat trap très 2020 avec un son d’ambiance dessus, on n’a pas pu pousser jusqu’à créer un morceau entier. Lui pour le coup, c’est un vrai D.A, il sait très bien ce qu’il veut et ce qu’il fait. Ce qu’il voulait, c’était ses maquettes c’est ce qu’il a sorti. J’aurai adoré travailler sur un projet rap intéressant comme celui-ci qui puisse voir le jour.

De ce que je connais du rap français, on n’a pas encore suffisamment expérimenté. Aux US ou en Angleterre, ils sont novateurs, en France, le son n’est pas encore différent.

Selon moi, sur les derniers albums qui sortent, tu gardes souvent 3-4 morceaux et le reste tu ne l’écoutes plus. Et dans ce contexte, c’est dommage qu’il n’y ait pas des sons chelous faits par des producteurs venant d’autres univers, une vraie prise de risque.
Il y a une formule avec un kit drums, une 808, un sample et c’est parti. Parfois, ça tourne vers la musique au kilomètre. Le rappeur est encore trop prépondérant, c’est lui qui fait la musique, plus que le producteur.

En parlant de Sam Tiba, j’ai écouté son émission avec Jean Morel, Vulgate, dans laquelle il dit qu’il commence à avoir des requêtes de rappeurs qui veulent les sons cachés sur son disque dur.

Ça fait un moment qu’il fait ça et il est respecté. Il a une culture extra large, ça va finir par faire la différence et créer un nouveau son. C’est bien d’avoir des bangers, mais en effet, sur 15 titres de l’album, il faut que certains titres soient plus expérimentaux.

Je n’ai pas l’impression que tu te produis beaucoup. Tu parlais de ne pas faire de DJ set. Te connaissant personnellement, je sais que tu ne sors pas en club jusqu’à 6h du matin. Comment est-ce que tu vois cela ? Pourquoi n’as-tu jamais voulu être DJ ? C’est pourtant une source de revenus évidente pour toi dans le sens où un producteur de musique électronique aura plus facilement des propositions de DJ sets que de live.

Je pense que tu es mieux payé en tant que DJ que lorsque tu te produis en live. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais trimballer une clé USB est totalement différent qu’un set up live qui risque de planter et qui coûte un bras. De ce point de vue être DJ est un peu plus confortable. Mais je reconnais que ça reste dur : il faut se déplacer, jouer longtemps, tard, plaire aux gens… Ne venant pas du milieu de la nuit, je ne me sens pas légitime en tant que DJ. J’ai mixé plusieurs fois, c’était sympa, mais je ne me sens pas à ma place. J’aime jouer ma musique mais pas celle des autres. Je n’ai pas ce rôle de connaisseur qui fait découvrir de la musique meilleure ou plus pointue. J’ai besoin de m’exprimer pour la musique live. Récemment, on m’a proposé un DJ set et j’ai refusé. Le gars ne comprenait pas !

Je sais que ça fait 2 ans que tu es dans le running, est-ce que ça influence ta musique ?

Ça fait partie du projet. Ma musique, c’est moi. Si je suis dans une pratique ou un mode de vie plus sain, ma personnalité suit et ma musique aussi. À nos âges, 35 ou plus, tu peux commencer à te questionner sur le fait de brûler la chandelle par les 2 bouts. Revenir au sport a été une évidence, comme quand j’ai commencé à faire de la musique. Je suis un passionné, donc quand je commence à faire quelque chose, je le fais à fond. Il y a eu une phase où je faisais du son et je courais à côté, sans connecter les 2. Aujourd’hui je ne les dissocie plus. Pratiquer une activité physique me fait me sentir mieux, beaucoup mieux que lorsque je sortais tout le temps et que je buvais des bières jusqu’à pas d’heure. Forcément, ma musique est en train d’évoluer car je me sens bien dans mes baskets et je suis positif. Je n’ai plus envie de faire des choses torturées comme j’ai pu le faire par le passé, je me sens trop bien dans ma peau pour ça. Le running a énormément contribué à ça. J’aurai toujours mon identité artistique, sombre et complexe, mais je tends vers un son plus serein. C’est la sagesse de l’âge !

On peut remercier Guillaume Pontier de Distance de nous avoir connectés ! Tu peux nous parler de ton projet YPLC ?

YPLC veut dire : Yoga Power Love Connection.

J’aime que les choses se fassent naturellement. C’est un projet que l’on a initié à l’été 2022 avec Marjorie Picard qui n’est autre que ma petite amie et professeure de yoga. Elle m’a fait découvrir cette discipline. En tant que jeune “athlète”, j’ai apprécié l’apport de cette pratique en parallèle de la course à pied et du velo. Lors de ses cours, j’ai aussi découvert qu’elle passait de la musique ambient vraiment super bien sélectionnée. Marjorie a de son côté découvert que je fais de la musique electronic variée, notamment ambient. L’été dernier, elle est venue me voir en Suisse sur un festival (Haute Fréquence) et à la fin du concert, elle me confie avoir adoré l’expérience en live. C’est ainsi que l’on a décidé de connecter nos 2 univers.

Le projet en a découlé : on a lancé un bain sonore, mais au lieu d’utiliser des instruments traditionnels, c’est moi qui fais ma propre musique avec mes synthétiseurs. Ce sont des sessions qui durent 1h30 avec 45 minutes de pratique de yoga hyper douce, puis 45 minutes d’immersion sonore. On s’allonge, on se détent, je monte le son et je fais voyager les gens ! Pour avoir fait plein de concerts sur différents formats, c’est incroyable pour moi d’avoir des personnes aussi réceptives dans un moment de détente profonde et déconnectées. Les gens sont là uniquement pour la musique, plus qu’un concert classique, ils n’ont pas leur téléphone dans leurs poches par exemple. On peut se laisser embarquer. On va sûrement aller plus loin dans le concept, en s’intégrant à des programmations de festival ou des événements de running.

Apollo Noir Phonographe Corp
Apollo Noir release day

En effet, quand je suis allé te voir à La Boule Noire sur un format classique de concert, type vendredi soir, entre potes, la semaine encore en tête, tout le monde boit un coup. Ton live avec Adrien Pallot n’est pas adapté à ce type de situation où le public est debout et dans une optique festive.

C’est l’écueil des concerts ambient : il faut choper les gens au bon moment. Il faudrait faire ça le matin avant le début de leur journée. Il faut accepter que quand tu vas voir un concert d’ambient, il faut lâcher prise. C’est une musique de contexte, il faut se mettre dedans.

Tu as parlé de ce que tu souhaites que ça devienne, on peut dévoiler maintenant que l’on a ce projet commun de sortir cette musique que tu joues sous forme d’album…

Je suis trop content de sortir ce disque avec la team Phonographe Corp. On s’est donc rencontré toi et moi par le running et pour moi c’est tout un chemin vers un parcours plus serein. J’aime que les choses soient fluides et se fassent de façon organique, ce qui est le cas avec vous ! Concernant la musique en elle-même, une grande partie a été faite au moment de mon retour en Auvergne. C’est la première fois que je fais de la musique ici. Le disque est beaucoup plus apaisé que ce que j’ai pu faire par le passé. À l’exception de 2 titres, tout s’est fait en 6 mois, car je savais que j’allais faire ces sessions de sound bath. Ce disque est la collection de cette période.

Il y a une autre surprise : tu vas jouer en live sur la scène du Mini Club le soir du Disquaire Day. Pour le coup, ce sera un autre registre, plus club. Tu as différents lives, tu travailles avec Thomas Pons, Adrien Pallot ou en solo. Tu peux jouer de l’electro, breakbeat ou de l’ambient, comment scindes-tu tous ces projets live ?

En général, suivant les lieux, j’ai une idée de ce à quoi ressembleront les publics. J’ai plusieurs lives et set ups. Parfois je suis booké pour de l’ambient car c’est la DA du festival. Par exemple, à l’Eglise St Eustache, c’était supposé être de l’ambient mais je n’ai pas hésité à jouer très expérimental. Avec Thomas Pons, il y a de la vidéo très cadencée, donc ça a du sens de jouer une musique rythmique dessus. Pour le 22 avril au Disquaire Day, ça me semble logique de jouer plus rythmé car c’est le thème de la soirée. C’est ce que j’ai envie de donner à ce moment-là.

Dernière question pour les nerds, tu as une collection de synthés de dingue. As-tu le syndrôme du producteur qui a trop de synthés et qui ne sait pas terminer ses morceaux ?

Avec les synthés modulaires, il y a tellement d’options que tu peux te perdre. Je connais des gens qui n’arrivent pas à faire de musique tellement ils sont perdus dans les machines ! Ils trippent sur l’outil plus que sur le résultat. Pour moi, la finalité a toujours été le son, pas l’outil. Quand j’achète un synthé, je sais ce que je vais faire avec et ce qui en sortira. Je me limite avec ça. Comme sur l’ordinateur, même si je ne m’en sers pas beaucoup, j’arrive à l’utiliser sans être dépassé par les presets.

On a parlé très longtemps, c’est maintenant ton moment ! Que veux-tu exprimer ?

Aimez ce que vous faites ! Pas forcément votre travail, mais au moins vos passions. Moi je suis un kiffeur. Ne jamais oublier d’où l’on vient, ni pourquoi on fait les choses !

Apollo Noir se produira en live pour notre Disquaire Day le 22 avril, jour de la sortie de son album Yoga Power Love Connection, à retrouver sur notre stand, notre Bandcamp et en streaming !

Un grand merci à studio rose pour la direction artistique, Maxime Maurel pour le mastering, Marjorie Picard pour le projet, Guillaume Pontier de Distance, Tommy de Satisfy Running & slash athlétique pour le soutien lors du release day, Apollo Noir pour la musique et la force. 

Apollo Noir - Yoga Power Love Connection