Parmi celles et ceux qui ont été nourris à la Chicago house, personne ne niera que la contribution de Dance Mania fut primordiale. Au sein de cette école légendaire, le newbee citerait directement des gars comme Dj Funk, Dj Deeon, Dj Milton, mais l’initié citerait définitivement Victor Romeo. Grâce à la magie des réseaux sociaux, vous pouvez faire des rencontres incroyables. En ce qui nous concerne, c’est à travers le profil d’un ami que nous avons découvert que Victor Romeo était toujours dans le métier.
En deux mots, Victor est l’une des figures phares de Dance Mania. Si l’on regarde ses nombreux pseudonymes, chacun est associé à l’incontournable label de Ray Barney. Manifestement Chicago n’est pas la destination la plus proche, et la différence entre ce qui se fait là-bas et ici en Europe est grande. Mais cet écart se réduit jour après jour ; toute la nouvelle vague d’artistes de Chicago submerge les dancefloors européens, y insufflant un air frais, alors que les anciens sont toujours actifs et pleins de projets. Parris Mitchell – aka Victor Romeo – a récemment sorti du matériel sur Wicked Bass et Deep Moves, et il est désormais de retour sur la scène house. Nous avons saisi l’opportunité de le contacter sur le web pour lui poser un tas de questions sur son travail et sa vision de Chicago !
Bonjour Victor, peux-tu nous décrire ton parcours ?
Je m’appelle Victor Parris Mitchell. J’enregistre professionnellement depuis l’âge de 16 ans avec Generation, un groupe dont je faisais partie. Nous avons enregistré un 45’ de Disco appelé « Time Square », avec une ballade, « Hide-A-Way », sur la face B. Après quoi j’ai enregistré de nombreuses démos de R&B. 7 ans plus tard, j’ai commencé à enregistrer des disques House sous le pseudonyme de Victor Romeo avec Dance Mania Records.

De quelle partie de Chicago viens-tu ? Quelle est sa particularité (musicale) ?
J’ai grandi à Beverly, un quartier au sud de Chicago, puis j’ai déménagé dans l’un des quartiers les plus difficiles de la ville : Englewood. Vous pouvez le lire dans n’importe quel journal. Il y a le taux de criminalité le plus élevé du pays. Plus de personnes sont tuées à Englewood que n’importe où ailleurs. C’est également d’ici que viennent Jennifer Hudson, Derrick Rose et une foule d’autres artistes et célébrités. Je pense, pour une raison que j’ignore, qu’être issu de certaines communautés défavorisées vous fait travailler dur.
Quand j’étais enfant à Beverly, il semblait que chaque foyer avait un enfant jouant d’un instrument. Je me souviens avoir observé, par la fenêtre du sous-sol, l’un des amis de mon grand frère jouer « Sara Smile » de Hall & Oates. Je n’avais encore jamais entendu le disque à la radio, et ils le jouaient et chantaient si bien que lorsque ce fut le cas, j’étais convaincu que c’était mes voisins qui avaient fait l’album ! Inutile de dire que cela m’a totalement influencé ensuite. J’ai demandé à mes parents de m’acheter un instrument jusqu’à ce que ma mère me paye une guitare-jouet. Mais ça ne suffisait pas, alors j’en ai demandé une vraie à mon père, qui m’a suggéré de prendre des cours de musique. J’ai étudié le solfège pendant un certain temps, et appris à lire et écrire la musique. Je ne sais pas s’il existe une réelle différence musicale entre les différents quartiers de la ville. Mais je sais que dans les années 80, tous mes amis sortaient au Music Box, au Wharehouse, etc.
Peux-tu nous présenter tes différents pseudonymes ? comment fais-tu la différence avec tous tes projets ?
J’ai enregistré sous de nombreux noms aliases tels que Parris Mitchell, The Track Stars, Victor Romeo, Rhythm II Rhythm, Dance Kings, JC & The Party Boy, Victor Mitchell avec Diva (« Get Up » sur Express Records, et « Sexy Dancer »). J’ai aussi fait des dizaines de remixes, comme pour Janet Jackson « You Want This (Disco Theory) » qui est devenu mythique, Whitney Houston, et d’autres sous le nom de Victor Romeo. J’ai également été membre d’un groupe nommé Love Tribe dans lequel nous avons remporté un ASCAP Rhythm & Soul Award avec le titre « Stand Up ». La différence entre Victor Romeo et Parris Mitchell est que mon travail en tant que Victor Romeo est plutôt de style House, et Parris Mitchell, Ghetto House. Il était logique de les séparer parce que le public qui pouvait adhérer au style, plus musical, de Victor Romeo n’aurait sans doute pas accepté une telle différence.
Comment es-tu entré en contact avec Dance Mania ? Y a-t-il un esprit de famille entre les membres du label ? Sont-ils toujours dans la musique ?
J’ai rencontré Ray Barney au printemps 1987. Vince Lawrence me l’a présenté. Il m’avait invité à une soirée qu’il organisait dans un studio appelé Chicago Trax Recording Studio (à ne pas confondre avec Trax Records). J’enregistrais pas mal de morceaux R&B à l’époque. Je manquais d’argent mais le propriétaire de Chicago Trax m’a accordé un moment pour terminer mon projet et j’ai décidé de faire un disque de House au lieu de continuer mon projet R&B.
Avec Dane Roewade-Stewart, nous avons posé les bases d’une chanson intitulée « You Can’t Fight My Love », que nous avons apporté au label Trax Records. Celui-ci nous a demandé de le terminer, moyennant finance. Mais une fois le morceau terminé, ils n’ont pas voulu maintenir l’accord verbal original que nous avions conclu. Je me suis retrouvé avec un disque fini, mais sans fonds pour le sortir moi-même.
Vince m’a alors emmené chez Ray. Le reste appartient à l’histoire, disent-ils. Je suis toujours en contact avec Waxmaster, mais je n’ai plus beaucoup entendu parler des autres. En réalité, je ne connaissais pas bien les autres artistes de Dance Mania, du moins dans les années 90. J’ai surtout connu et travaillé avec Waxmaster, Gerald et DJ Funk. En revanche, je connaissais tous ceux de la première génération, dans les années 80, quand j’ai commencé à faire des disques.
Il y avait d’autres grands labels à Chicago : TRAX, Cajual, Relief. Certains ont-ils établi des connections entre ces entreprises ?
Oui, au début, il y avait Mitchbal Records, Jes Say, Trax, Brightstar Records et DJ International. Et ils sont tous passés par Ray Barney pour la distribution. C’est ce qui faisait le lien entre tout le monde.

Quel regard portes-tu sur la scène de Chicago aujourd’hui ?
Les projecteurs sont toujours encore braqués sur les producteurs et DJ’s de Chicago, et d’autres artistes du monde entier, et cela fait sens étant donné que Chicago a vu naître de nombreux genres et styles. C’est une toute petite communauté qui a vu naître un grand nombre de talents. Malheureusement, il y a encore beaucoup de débats stériles autour de la question de savoir qui est le roi, le parrain ou le meilleur, etc. Je dirais qu’il y a une concurrence malsaine. Detroit est beaucoup plus unie, les gens y travaillent plus dur, ensemble.
Tu as fait une pause de plusieurs années avant de produire à nouveau. Qu’as-tu fait pendant ce temps ?
Je n’ai pas fait de pause dans la musique. Uniquement dans la House. Ma passion s’étend à toutes les périodes, genres et styles. Être musicien m’amène aussi à vouloir explorer un peu plus en dehors des sentiers battus. De 1997 à aujourd’hui, j’ai travaillé avec de nombreux artistes et labels : sur Death Row Records avec Jewell et Legail Gillespie, avec le rappeur canadien K-OS sur son single « Take You There », avec le label indépendant M.O.B. Records qui a eu un énorme succès grâce au disque « The Cha Cha Slide », avec quelques artistes R&B comme Johnny P. J’ai aussi collaboré avec Bump J, un autre rappeur de Chicago. Donc j’explorais simplement d’autres genres.
Qu’est-ce qui t’as fait revenir à la House ?
J’y suis revenu lorsque j’ai été contacté par Jamie Fry du label Deep Moves en 2010, à propos de la réédition de morceaux de mon EP « Life In The Underground ». J’ai eu de nombreuses offres pour en sortir avant Jamie et Deep Moves Records, mais j’aime particulièrement leur intégrité.
Était-ce plus facile de sortir un disque lorsque tu débutais ? Qu’est-ce qui a changé ?
En fait, il est beaucoup plus facile de sortir un disque aujourd’hui. Quand j’ai commencé nous n’avions même pas le MIDI ! Il fallait donc savoir jouer d’un instrument ou chanter. Même en ce qui concerne les sorties physiques, c’est beaucoup plus facile maintenant aussi. En fait, c’est tellement simple que c’est écrasant, la quantité de musique et de DJs qui existent maintenant. Le numérique a permis à tout le monde de sortir un disque. L’astuce consiste désormais à créer une base de fans.
Comment as-tu écrit les paroles de tes morceaux en tant que Parris Mitchell ?
Reggie Hall, Derrick Mussashi Pittman, Waxmaster, Ray Barney, Brian Frazier et moi-même, … nous avons tous collaboré, parfois sur des morceaux différents. C’était très amusant. À cette époque, le contenu explicite était une nouveauté. Un peu comme Nate Dogg et N.W.A. Les gens étaient plutôt concernés par des sujets sérieux, et non par des choses superficielles, des conversations quotidiennes normales. You know ?
Aujourd’hui, beaucoup d’artistes de Dance Mania ont été oubliés, mais il y a un renouveau de la Ghetto House avec des repress et rééditions. Comment expliques-tu cela ?
Cela vient des cycles qui existent. Tous les 15 à 20 ans environ, je remarqué une tendance qui découle de quelque chose du passé. Je ne veux pas dire que la Ghetto House est la tendance du moment, mais, comme la mode, la musique subit cela. Elle revient de temps en temps, avec une nouveauté ajoutée par la génération actuelle. C’est bien car c’est une excellente façon de rendre hommage à la génération précédente.
Quel était pour toi le sens du mot « underground » à tes débuts ? A-t-il encore un sens ?
Underground pour nous, c’est quand la culture, le mouvement ou la musique ne sont pas soutenus par ou ne suivent pas le statu quo. Mais il est presque inévitable d’en faire partie, à terme, et c’est une nécessité pour exister.
Quels sont tes prochains projets ?
J’ai une réédition à paraître de « Life In The Underground », précédemment publié sur Dance Mania, maintenant sur Ghetto House Records. J’ai aussi une réédition de « All Night Long » aussi sorti à l’origine sur Dance Mania, maintenant sur Wicked Bass Records en Ukraine, avec un nouveau morceau appelé « Bounce » (ft. Shinoby). Je viens de terminer mon deuxième EP pour Deep Moves Records à Berlin, avec uniquement des nouveautés. C’est ma sortie la plus récente à ce jour.
Avec ces nouveaux éléments, prévois-tu bientôt une tournée en Europe ?
Il y aura certainement des tournées à venir cette année. J’ai parlé avec Jamie Fry de Deep Moves, qui s’occupera des bookings, et Nazar de Wicked Bass, ainsi que quelques autres agents/agences.
Si tu avais quelque chose à refaire d’une autre manière, que serait-ce ?
J’aurais probablement inclus plus de tournées live lors des premières sorties sur Dance Mania. Mais le fait que je n’étais pas facilement accessible a probablement ajouté un peu à la mystique autour de mon personnage.
Un dernier mot pour clore cette interview ?
Gardez un œil sur mes nouveaux projets, il y aura des inédits avec Ray Barney de Dance Mania. J’ai aussi un protégé nommé Shinoby avec qui je travaille en étroite collaboration actuellement. Une autre collaboration très intéressante est également en cours.
Merci à Victor Romeo !