Avec plusieurs sorties remarquées et un catalogue déjà bien rempli, le label toulousain Ritmo Fatale mené par le binôme Kendal Mulla et Paul Guglielmi distille à travers des productions rétro-futuristes un savant mélange d’italo, d’EBM et synthwave… Au gré d’un univers graphique bien ficelé et d’un son survitaminé au rythme endiablé et dans la pure tradition 80’s, les références défilent et s’entremêlent dans l’imaginaire du label. Kitsch, ambiance moite et rouge à lèvres, anciennes et nouvelles recrues, l’axe Bordeaux-Toulouse, on a fait le point sur ce label à suivre de près.

Pour commencer, pouvez-vous chacun vous présenter ? 

Kendal : Je m’appelle Kendal, j’ai 31 ans et cela fait quasiment 15 ans que j’ai commencé la production et le mix il y a une dizaine d’années. Je me suis fait connaître plus largement en sortant mes deux premiers EP influencés italo et EBM : Manifesto en 2019 sur Moustache Record, le label de David Vunk, et Inferno en 2020 sur Dischi Autunno, le label de Jennifer Cardini. Cette même année, on a lancé Ritmo Fatale et depuis j’ai la chance d’être DJ, producteur et label manager à temps plein. Je fais aussi parti d’INFRAVISION, projet ‘Italo Body Music’ que j’ai lancé avec mon hermano Pablo Bozzi. Enfin géographiquement parlant après avoir vécu dans plusieurs villes, je suis désormais un Toulousain à la vie à la muerte !

Paul : Paul, 31 ans également. On fait donc partie de la tranche d’âge dite “Haute-Garonne”… J’ai passé plusieurs années en tant que label manager et programmateur au sein du collectif Boussole, avec lequel on a pu ramener du beau monde à Toulouse et y organiser de belles soirées. Depuis 2020 je me concentre sur Ritmo et j’ai également le plaisir d’accompagner Kendal et INFRAVISION en tant que manager. Via toutes ses activités, on essaye depuis longtemps de mettre notre ville en avant, maintenant que plus de lumières sont sur Toulouse, on va tout faire pour qu’elles y restent.

Vous avez créé Ritmo Fatale donc en 2020, quelle était l’idée de départ à la création du label ? La crise du covid a t’elle modifié vos plans de départ ?

K : J’aurais pu tenter ma chance à Berlin ou Paris suite à mon premier EP mais j’ai préféré m’ancrer à Toulouse. C’était important pour nous de créer un rendez-vous pour défendre les sonorités et esthétiques que l’on aime, 80’s dans un premier temps, mais avec la volonté d’élargir rapidement. De là, est né Ritmo Fatale. On a organisé notre premier event fin février 2020 avec David Carretta, INFRAVISION et nos potes DJ Wrestling et Drama, c’était le feu ! Hélas le Covid nous a forcés à mettre en stand by le projet… L’idée de label a germé pendant le confinement quand j’ai reçu une démo mortelle de Lennart. Pablo avait commencé un banger Italo et je sortais d’une session studio avec David Carretta. On s’est dit qu’avec tout ça il y avait la matière pour sortir notre premier various. Ça a été la compilation Velvet Dream sortie en juillet 2020 avec aussi les potes Arabian Panther et Señor Chugger.

P : Dès l’annonce de cette première sortie il y a eu un réel engouement autour, on a bossé sur ce VA sans trop calculer les choses. Le retour super positif nous a vraiment motivé. À la fin de l’été 2020, Brice Coudert de chez Underscope nous a contacté afin de savoir si on serait intéressés par leurs services, afin qu’ils distribuent notre catalogue et nous aident à nous structurer. Là aussi c’était une belle surprise, et à partir de là on a décidé de se lancer plus sérieusement dans l’aventure. Plus que modifier les plans de départ, on peut dire que le Covid-19 a créé le label.

J’ai lu que votre objectif à l’origine était d’apporter une nouvelle couleur à la scène toulousaine en pariant sur un revival italo disco 80’s un peu kitch, qu’en est-il aujourd’hui ?

P : La notion de pari est juste oui, en 2019 on a senti que ça allait revenir fort sur la scène électronique et en tant que fans de ce courant depuis un certain moment, on était assez enthousiastes à l’idée que cela prenne de l’ampleur. Nous voilà deux ans plus tard, et on peut dire que le pari était plutôt gagnant. Le revival autour de l’italo est bien là, beaucoup d’acteur.ices, producteur.rices, DJs, festivals et labels y participent et nous sommes bien contents d’en faire partie ! On tâche cependant de ne pas tirer sur la corde et d’amener ça intelligemment, en apportant quelque chose de neuf pour justement ne pas tomber dans la copie ou bien le côté kitsch qui tournerait trop en rond. On a toujours écouté énormément de styles différents, c’est normal qu’à terme le label en soit le reflet, autant dans nos programmations de soirées que sur nos sorties. L’italo restera présente mais ce serait trop réducteur de ne proposer que ça ou de nous y réduire.

K : Il y a aussi un énorme revival autour du son et de l’esthétique 80’s au niveau mainstream : que ce soit chez The Weeknd pour le meilleur et Soprano ou Kungs pour le pire… Tout ce rétro-futurisme nous ramène à une époque où l’avenir était excitant et non asphyxiant. C’est sûrement aussi pour cela que le son euphorique et nostalgique de l’italo revient inlassablement de manière cyclique. Pour ma part je suis tombé dedans il y a bientôt 15 ans et c’était déjà l’influence principale de mes premières productions.
Avec Pablo à travers nos projets solos ou via INFRAVISION, on puise dans le côté synthé et mélodique du genre et le rythme plus martial de l’EBM pour en créer une hybridation que l’on aime appeler ‘Italo Body Music’. C’est l’ami Phase Fatale qui a trouvé ce terme et bien qu’on ne souhaite pas s’enfermer dans une case, on pense que ça résume bien notre base sonore.

En tant qu’observateurs privilégiés de la ville rose, comment se porte la scène électronique actuellement? 

P : Comme partout, la scène locale toulousaine a été impactée et va certainement mettre un peu de temps avant de retrouver ses repères. Récemment on a tout de même pu assister à de beaux événements, avec des programmations assez neuves et actuelles, on pense par exemple au festival Girls Don’t Cry de La Petite en novembre dernier, également à l’Electro Alternativ qui a proposé une belle édition en 2021. Le Dada fait un super travail aussi, en programmant pas mal de talents locaux. On sent aussi que les jeunes collectifs qui se sont lancés en 2019 attendent un retour à la normale pour pouvoir mettre en place ce qu’ils ont à proposer. Ce qui fait défaut à Toulouse depuis plusieurs années c’est la présence d’un lieu qui ne se contente pas seulement d’accueillir du public, ça il y en a ici. Mais un club avec une jauge de 500-700 personnes tenu par une équipe passionnée qui a conscience des enjeux actuels, qui assume son statut culturel, met en avant une programmation variée de qualité, bref un endroit qui a une âme, c’est déjà un peu plus compliqué à trouver.

Notre ville a un vivier incroyable de producteur.ices et DJs de talent mais ce qu’il nous manque peut-être pour cimenter toutes les forces en présence et mettre définitivement #toulouseonthemap c’est un club de taille intermédiaire comme Le Sucre à Lyon. Malgré tout nous avons la chance d’avoir une salle comme Le Bikini, qui reste une référence.

K : Il y a une super équipe et un soundsytem dément mais sa jauge de 1400 personnes y rend moins accessible et plus risqué une programmation plus pointue. De notre côté, suite au coup dur de l’annulation de notre soirée avec Jennifer Cardini, The Hacker et INFRAVISION au Bikini fin janvier, on rebondit et on invite Palms Trax le dimanche 17 avril, sur un format Sunday Time de 18h à 00h. On apprécie de plus en plus ce genre de proposition et de plages horaires. Merci au Bikini pour cette belle opportunité !

Sur Ritmo Fatale, on compte déjà de nombreuses sorties (EPs, LPs, various) avec quelques noms connus de la scène électronique française, je pense d’abord à David Carretta. Comment s’est faite cette collaboration ?

P : On doit énormément de choses à David, via ses sorties chez Gigolo, Space Factory. Avant même The Hacker et Kittin, il était déjà là avec ce son, il a posé les bases de l’électroclash. Toutes ses dernières productions sont toujours aussi pertinentes, Nuit Panic en tête, c’est un sacré disque. Le #ToulouseIsOnTheMap que l’on aime bien marteler vient de lui aussi, c’est le nom d’un EP sorti en 1997. Pour toutes ces raisons, il était notre invité de la première (et unique à ce jour) soirée Ritmo à Toulouse.

K : David c’est pour moi à la fois une légende et un pionnier de la musique que j’aime et qu’on propose aujourd’hui. Avant le confinement j’ai eu la chance de passer quelques jours chez lui en Ariège durant lesquels on a composé deux morceaux. Il est prévu que l’on refasse une nouvelle session ensemble très prochainement. Maintenant je l’appelle ‘tonton’ ! 

De même pour Djedjotronic (Boys Noize) plutôt discret depuis la dernière décennie. Tout était calculé à l’avance ou vous avez eu de bonnes surprises ?

P : Djedjotronic fait partie des artistes français qui ont rayonné en Europe et mondialement, on suit son parcours depuis ses débuts il y a plus de 10 ans. On l’a rencontré lors d’une soirée où je l’avais invité en compagnie de Mad Miran et Kendal à Toulouse, en 2019. Il venait de sortir son album R.U.R avec l’énorme tube « Take Me Down ». Son dernier EP chez International Chrome est super bon, pas si discret que ça donc… On a gardé le contact, et suite à notre premier VA on a tenté notre chance en lui proposant de sortir un morceau chez nous. Pas de calcul donc, et surtout une bonne surprise puisqu’il nous a envoyé « The End », un morceau vraiment mortel ! Le symbole était fort de l’avoir parmi nous sur notre seconde sortie. C’était avant tout une main tendue dans l’optique d’apaiser les tensions entre l’axe Toulouse – Bordeaux (ndlr: Djedjotronic est originaire de Bordeaux).

K : D’ailleurs cet armistice va se conclure par un projet commun. Avec Jérémy (Jérémy Cottereau alias Djedjotronic) on a commencé à bosser dans son studio dans le but de mettre sur les rails le “Trans Garonne Express”. Comme David, on peut dire qu’il fait partie de la famille maintenant. D’ailleurs tous ces projets se font naturellement et sans calcul. On apporte beaucoup d’importance à la relation humaine dans notre manière de bosser et jusqu’ici on a eu la chance (ou le flair ?) de rencontrer que des personnes incroyables.

On voit des artistes phares de la scène EBM début 2000 comme le duo Miss Kittin et The Hacker signer leur retour avec un troisième album. Que pensez-vous de ce « revival »  ?

K : Enfin le retour ! Je suis un enfant de l’électroclash, et si je devais citer un label référence ce serait le Gigolo Record dès début. Une musique à la fois 80’s, pop, club et souvent subversive avec une esthétique bien latex et rouge à lèvres. Vraiment dégouté que le Covid nous ait empêché de recevoir The Hacker le 29 janvier dernier au Bikini. Il fait partie des artistes pour lesquels j’ai un immense respect et dont je ne me lasse jamais de ces productions. Donc je suis impatient de découvrir ce nouvel album en entier, les premiers extraits sortis sont vraiment bons.

Chez Phonographe, on a une légère préférence pour l’album ‘Le Martinet’ de Hirschmann & Mimmo. Quels sont vos projets futurs en termes de sorties ? Et vos projets en solo à venir?

P : Ravis que vous reteniez celui-ci ! On est super fiers d’avoir collaboré avec eux et pu proposer ce premier album sur le label. L’ambiance lente, sombre et poisseuse, le chant en français, on y était très sensible, et ça a été le coup de cœur quand on a reçu leurs démos. Cet album traduit bien notre envie de varier les sorties et la couleur musicale du label. Sur ces huit morceaux, on est bien loin de l’italo.

Visuellement aussi l’artwork est super beau ! Il est signé de Viktor H, qui d’ailleurs a travaillé sur la cover du prochain album de Rosalía, Motomami. On accorde toujours beaucoup d’importance à l’aspect visuel du label et donc des covers, on fait souvent appel à des artistes qu’on découvre via Instagram. En terme de sorties, nous avons notre année 2022 bouclée et on commence déjà à préparer les releases de 2023.

Avoir un catalogue rempli une année à l’avance était impensable il y a encore quelques mois, savoir que désormais des artistes nous font confiance et souhaitent bosser avec nous, ça nous fait extrêmement plaisir et c’est clairement notre première source de motivation.

L’EP du producteur anglais Louis de Tomaso est sorti le 11 février dernier, puis ensuite ce sera au tour du français AGLE, déjà présent sur notre VA Mirror Fantasy. On va aussi continuer notre série d’edits Fatale Recall.

K : Il était important pour nous de vite trancher de style pour montrer que Ritmo ne propose pas que de l’italo. Notre définition du rythme fatal s’applique à tout son pour lequel on a un coup de cœur. L’idée, c’est de mettre l’audience que nous génèrent les releases “club” à l’écoute d’autres plus axées sur de la découverte, comme on l’a fait avec l’artiste Cate Hortl. Au-delà des noms plus connus avec qui on reste heureux de travailler, on souhaite avant tout accompagner des artistes émergents comme Mouissie, on est très fiers d’avoir sorti son premier EP. Dans les tuyaux, on a le projet pop et synth-wave Death Parade par le mec derrière Blind Delon, et un EP du producteur italien Amarcord qui oscille entre ambient trance et synth-pop. De mon côté j’ai mon troisième EP Apocalypto à venir chez Dischi Autunno, des collabs avec David Carretta et Djedjotronic, un nouvel EP INFRAVISION avec Pablo Bozzi. Ensuite j’ai très envie de produire pour des artistes plus pop ou même rap.

En 2022, si vous aviez un conseil à donner pour créer son label, quel(s) serai(en)t-il(s) ?

P : Alors il nous reste encore beaucoup de choses à apprendre et de conseils à choper, mais pour nous ce serait avant toute chose : se lancer dans l’aventure pour les bonnes raisons, et surtout savoir être patient et prendre le temps de bien faire les choses. On dit souvent qu’un label c’est beaucoup de boulot pour souvent peu de retour, c’est vrai, mais quand ça fonctionne bien, c’est hyper gratifiant. Pour ça je pense qu’il faut vite trouver le bon équilibre entre le fun et le sérieux, savoir être exigeant, et ne jamais rien prendre pour acquis. Et si vous vous demandez si on peut monter un label sans assurer de sorties vinyles, la réponse est oui.

K : On aimerait vraiment pouvoir tenir fièrement nos releases entre nos mains mais, en plus du coût, c’est très compliqué en ce moment d’en produire dans des délais décents. La demande est là donc on ne ferme pas l’idée, même pour des re-sorties. Le digital nous permet de nous concentrer sur la direction artistique plutôt que de la logistique et de sortir rapidement nos coups de cœur. Je suis convaincu que la qualité et la sincérité finissent toujours par payer. Si je dois donner un conseil, ce serait : « soyez exigeant sans devenir élitiste ». Pour émerger aujourd’hui, c’est hélas essentiel de maîtriser les codes des réseaux sociaux mais pour autant il faut faire les choses dans l’ordre, penser à l’art avant le marketing. Et j’espère que vous kiffez envoyer des e-mails car c’est 80% du job… Minimum.

Prochainement, le 1er avril au Badaboum
Ritmo Fatale Club — David Vunk, DJ Sweet6teen, Kendal.