On est très content de vous présenter le second épisode d’une toute nouvelle série d’articles, « sur la pochette ». Comme son nom l’indique assez fidèlement (on l’aime beaucoup, pour tout vous dire), on va s’attarder sur le visuel : la pochette. Première de couverture et premier contact que l’on a avec une oeuvre, la pochette (ou sleeve) est d’une importance capitale. Encore plus que l’affiche d’un film, le visuel, l’artwork d’un disque en est sa carte de visite, son représentant pour l’éternité : aucune autre image ne suivra, contrairement au 7ème art. Elle doit intriguer, attirer, susciter l’envie, la curiosité – une émotion doit se dégager. 

Virtuelle ou bien physique dans les bacs de notre disquaire de quartier, la pochette est la porte d’entrée d’un univers parfois inconnu. Souvent balisé par des codes propres aux genres de musiques contenus derrière l’image – par exemple, le portrait, si possible séducteur de l’artiste dans la pop et la variété, des abstractions dans les musiques électroniques et indépendantes… – les records sleeves se doivent de représenter, d’une manière ou d’une autre, la musique, l’univers et les aspirations de l’artiste derrière. Elle doit entrer en résonance avec l’espace musical sur lequel elle est adossée. 

Carte de visite, on l’a dit : pour l’artiste mais aussi la maison de disques, le label, qui produit et distribue les disques. La pochette peut servir de marqueur visuel, de pilier iconographique vers lesquels les auditeurs se tourneront, une fois la confiance dans la « marque » établit. On pense tout de suite aux signatures visuelles emblématiques de l’histoire de la musique – de Deutsche Grammophon et son macaron jaune fluorescent (au passage, il s’agit de la plus vielle maison de disque en activité, since 1898) à la Stax, en passant par Warp Records ou, plus proche de chez nous, Central Processing Unit. 

Dans cette série, nous allons rendre hommage aux labels qui, à travers leurs esthétiques visuelles – souvent en accort avec la musique qu’ils défendent – nous touchent, nous émeut, nous attendrit ou nous choque, aussi. Une exploration subjective haute en couleurs ou minimaliste, graphique ou photographique, des images sans qui la musique ne serait pas la même. 

Souvenez-vous, c’était en juin dernier : nous avions ouvert les entrailles de Dark Entries. Un véritable laboratoire visuel et sonore, une esthétique DIY, presque punk, tournée vers les 80’s et les minorités LGBTQI+, dirigé avec brio depuis presque 10 ans par Josh Cheon et dont les visuels sont presque tous réalisés par Éloise Leigh.

Pour ce second épisode, on retourne sur nos terres avec Antinote ! Un label en forme lui aussi de laboratoire, autant musical que visuel que nous raconte Quentin Vandewalle aka Zaltan, responsable de la direction musicale et Nico Motte, responsable avec son associé Mathias au sein de Check Morris, studio de design graphique, de la direction visuelle. Vous pouvez suivre leurs travaux pour la musique ou bien le cinéma et la mode ici.

« On a monté le label en 2012 suite à la rencontre de Gwen (Iueke), Nico et moi. L’idée à ce moment-là était, pour Nico et Mathias, d’avoir un laboratoire : pas de contraintes, une immense liberté de faire ce qu’ils voulaient. Je m’occupe de la direction artistique musicale à côté – je leur fais écouter les disques bien sûr, mais s’ils n’accrochent pas, je sors quand même le disque. (rires)

Nico a vraiment carte blanche, il me montre ses travaux bien sûr et me demande mon avis, mais c’est vraiment une totale liberté pour lui. C’est ce que j’annonce aux artistes. Ils ont souvent une vision, une envie pour la pochette et j’essaye de les détendre là-dessus en leur disant « vous avez fait la musique, laissez-nous faire le reste ». Il y a des artistes qui sont un petit peu plus control freaks que d’autres, forcément. Quand on travaille avec des artistes qui sont plus relax avec ça, on obtient les meilleures pochettes, et ça s’est vérifié tout au long du label. Le postulat de départ reste de faire un maximum confiance à Mathias et Nico sur les pochettes. » — Zaltan

Je vois vraiment le label comme un laboratoire, ça se sent. Toi Nico, comment tu appréhendes chaque pochette, chaque sortie ? J’imagine que tu écoutes le disque d’abord. 

Nico Motte : J’écoute le disque, c’est certain. J’aime bien que l’image ne corresponde pas forcément à la musique. 

Zaltan (Quentin) : Il y a une grande influence, c’est Factory et les pochettes de New Order par exemple. Une peinture à l’huile qui représente un bouquet de fleurs, c’est à l’opposé du disque.

N : Je vois ce que tu veux dire. J’ai des obsessions, et j’essaye de les placer en fonction des musiques que Quentin (Zaltan, ndr) me proposent. C’est évidemment plus technique que ça, le label ne s’est pas fait en un coup et en un jour et il y a des anecdotes pour chaque pochette. J’aime bien ce côté « artistique », qu’il n’y ait pas une patte de directeur artistique d’une major, mais plutôt d’un label indépendant. Avec Mathias et Quentin, on aime énormément l’art contemporain ou l’art tout court, et si nos pochettes peuvent être une petite oeuvre, on est content. 

Z : Au-delà de la distinction majors vs indépendants – on est indépendant, c’est clair, c’est cool que tu parles d’Art. On peut aussi parler de cinéma et de plein d’autres choses : on n’est pas un label de musique électronique qui fait référence à la musique électronique. Il n’y a jamais eu de pochette blanche avec un macaron noir ou inversement. Quand on est arrivé dans les bacs en 2012…

N : C’était mon postulat. Je t’avais dit : « On ne fait pas de macarons, on fait des pochettes. ». 

Z : Voilà, l’idée était de faire de la musique qui ne soit pas une référence à la norme des musiques électroniques d’alors, et les visuels non-plus. Je ne veux pas être de ceux qui disent qu’ils étaient en avance, mais je me souviens très très bien qu’en allant chez un disquaire en 2012, si tu venais acheter un maxi d’électronique au sens global, il n’y avait que du blanc et du noir. Les pochettes étaient réservées aux albums. 

On s’appliquait à faire des vraies pochettes, même si c’était seulement un EP-deux titres. Ça s’est démocratisé maintenant, il y a beaucoup plus de labels qui font des efforts pour créer des pochettes même pour un maxi, mais à l’époque, on était assez peu. 

N : C’est un vrai postulat, tu as raison de le dire. 

Z : Aller puiser nos influences tant pour la musique que des pochettes dans l’Art, le cinéma, les voyages… dans plein d’autres choses qu’un auto-référencement. 

PC : Encore une fois ça se sent, musicalement aussi. On passe de tout au tout suivant les artistes mais on reste dans un univers graphique précis pour chaque artiste.

N : C’était pensé oui. J’ai dit à Quentin qu’il fallait qu’on ait une empreinte visuelle forte. Pour Gwen (Iueke), j’ai voulu me rapprocher d’une idée de l’orfèvrerie pour sortir du côté macaron. Ce n’est pas non plus une révolution, mais je me dis qu’il fallait qu’on s’éclate sur les pochettes. 

À la sortie du premier disque, celui de Iueke, on ne savait pas du tout que ça allait devenir un label avec 50 références, que des artistes comme Syracuse ou Geena allaient s’y greffer. Dès que Geena est arrivé, il fallait un style graphique particulier. 

Z : C’est vrai que Geena cela se voit très bien avec Geena, D.K. aussi… 

PC : Tolouse Low Trax, aussi ? Il y a ces trois disques presque identiques.

N : Oui, ça a été compliqué sur ces disques. Il avait déjà fait des disques qui avait cartonné ailleurs, avec des visuels cool. Quand Quentin m’a dit qu’on allait faire trois disques dans la volée, j’ai voulu faire quelque chose de très simple, de très Suisse. Les visuels les plus simples sont les plus compliqués à fabriquer, ça m’a prit un temps considérable. 

Z : J’adore, je trouve qu’elles font partie des meilleures. Je vois le temps que ça peut prendre pour Nico. C’est comme la musique : quand on m’envoie quelque chose d’hyper simple et que ça fonctionne, je sais que c’est ce qu’il y a de plus dur. C’est valable pour tout, le cinéma, l’Art, la sape aussi. Un t-shirt basique, bien coupé, blanc, c’est hyper dur à faire. 

PC : On peut revenir sur une ou deux pochettes ? Si je pioche dans mes préférées, je pense par exemple à Studiolo

N : C’est pas de moi celle-là. rires

Z : Je suis arrivé en « renfort » sur ce projet pour que le disque se fasse. Tout était fait mais il n’y avait pas de distribution, de fabrication, de promo, tout le travail d’un label. J’ai proposé mon aide là-dessus, mais le visuel était déjà là.

N : Je n’ai pas de pochettes favorites moi, c’est celle qui arrive peut-être. 

PC : La meilleure est toujours la suivante ? 

Z : Oui, et c’est top. Ça veut dire que Nico s’éclate et essaie toujours de faire quelque chose de nouveau et d’encore mieux. Dans les dernières, j’aime beaucoup la numéro 50. Ou tout simple, la Inoue Shirabe avec un énorme tapon, le Slowglide aussi(big up à Victor, proche de Phonographe Corp)

Ça nous plait vraiment quand il n’y a pas grand-chose. Allez, s’il faut se prononcer, c’est la compilation des cinq ans, Five Years Of Loving Note. 

N : Moi je les aime vraiment toutes, pas de préférés. 

PC : Il dénotait un peu ce visuel avec son côté « summer love »vis-à-vis de la musique que vous sortiez qui était peut-être un peu plus brute.

Z : On parlait de ce côté noir et blanc très marqué, autant du côté des pochettes que de la musique : elle était très identifiable à l’époque. On a mis 15, 20 références à me demander « tu veux en venir où en fait avec la musique que tu sors ? » C’est un label, on sort la musique que l’on veut, des trucs qui me plaisent. Il y a un côté incertain, il faut cibler le bon public. On a la chance d’avoir un public assez ouvert avec des gens qui vont écouter de l’indie et qui aiment bien le label, d’autres qui écoutent de la techno et pour qui le label est indie… 

C’était pas très facile à identifier aux débuts pour le public, car tout était soit noir soit blanc, encore une fois sur les pochettes et dans la musique. C’est quelque chose qui a beaucoup changé en huit ans – et ce n’est pas que moi bien sûr. Le fait de ne pas avoir de style précis c’est démocratisé. On a un style qui nous est propre, une identité propre, mais pas de style précis. 

PC : Est-ce que vous aviez déjà eu envie de faire des rééditions ?

Z : Il n’y a jamais eu de rééditions – mis à part Studiolo, mais encore une fois le projet était là et déjà fait – toute la musique est inédite. Iueke, ses tapes avaient été enregistrées dans les années 90 mais elles restaient inédites. Que des musiques originales et aucun remixes.