On est très content de vous présenter le premier épisode d’une toute nouvelle série d’article, « sur la pochette ». Comme son nom l’indique assez fidèlement (on l’aime beaucoup, pour tout vous dire), on va s’attarder sur le visuel : la pochette. Première de couverture et premier contact que l’on a avec une oeuvre, la pochette (ou sleeve) est d’une importance capitale. Encore plus que l’affiche d’un film, le visuel, l’artwork d’un disque en est sa carte de visite, son représentant pour l’éternité : aucune autre image ne suivra, contrairement au 7ème art. Elle doit intriguer, attirer, susciter l’envie, la curiosité – une émotion doit se dégager. 

Virtuelle ou bien physique dans les bacs de notre disquaire de quartier, la pochette est la porte d’entrée d’un univers parfois inconnu. Souvent balisé par des codes propres aux genres de musiques contenus derrière l’image – par exemple, le portrait, si possible séducteur de l’artiste dans la pop et la variété, des abstractions dans les musiques électroniques et indépendantes, … – les records sleeves se doivent de représenter, d’une manière ou d’une autre, la musique, l’univers et les aspirations de l’artiste derrière. Elle doit entrer en résonance avec l’espace musical sur le(s)quel(s) elle est adossée. 

Carte de visite, on l’a dit : pour l’artiste mais aussi la maison de disques, le label, qui produit et distribue les disques. La pochette peut servir de marqueur visuel, de pilier iconographique vers lesquels les auditeurs se tourneront, une fois la confiance dans la « marque » établit. On pense tout de suite aux signatures visuelles emblématiques de l’histoire de la musique – de Deutsche Grammophon et son macaron jaune fluorescent (au passage, il s’agit de la plus vielle maison de disque en activité, since 1898) à la Stax, en passant par Warp Records ou, plus proche de chez nous, Central Processing Unit. 

Dans cette série, nous allons rendre hommage aux labels qui, à travers leurs esthétiques visuelles – souvent en accort avec la musique qu’ils défendent – nous touchent, nous émeut, nous attendrit ou nous choque, aussi. Une exploration subjective haute en couleurs ou minimaliste, graphique ou photographique, des images sans qui la musique ne serait pas la même. 

Pour ouvrir le bal, on s’est tourné vers un incontournable du travail bien fait : Dark Entries. Véritable laboratoire visuel et sonore, le label de Josh Cheon, qu’il fonde en 2009, alterne rééditions et projets inédits avec, comme ligne de fuite, une esthétique DIY tiré des scènes underground électroniques des 80’s. Porte-parole des minorités LGBTQ+, Dark Entries a réédité les oeuvres de l’immense Patrick Crowley, inventeur du Hi-NRG, accélération synthétique et érotique de la disco. Il compte aussi au compteur des disques de Helena Hauff, Lena Platonos, Parade Ground, Miss Kittin & The Hacker, Red Axes, Photonz et beaucoup d’autres. On a échangé quelques mots avec Josh Cheon et Éloise Leigh, designer et illustratrice, qui travaille avec le label depuis les débuts. 

Vous pouvez suivre le travail d’Éloise sur Instagram, et la soutenir sur son shop en ligne.

« La plupart des artwork originaux sont fait par Eloise. Elle réalise aussi la mise en page si l’on réutilise l’artwork pour une réédition. » nous dit Cheon. « Eloise est mon baromètre. Elle équilibre minutieusement les références rétro avec une direction artistique soignée ou désordonnée, créant à chaque fois de magnifiques images qui me font bondir. » Et s’il est source d’idées et d’inspirations, le plus souvent Leigh propose directement ses envies. « Chaque sortie a sa propre idée éphémère en-elle, qui reste cohérente. Eloise est responsable de tout : même les images des groupes que je reçois, les paroles, elle réalise toute la mise en page et le design. »

Éloise Leigh : « J’ai besoin d’écouter la musique, ou d’avoir une idée du genre avant de créer la pochette – cela m’aide à replacer dans une histoire, un contexte, avec les esthétiques de son époque ou bien à préciser d’où cela vient si c’est une oeuvre nouvelle. La plupart de la musique sur Dark Entries est créée avec des synthés analogiques : cela en devient presque logique que l’artwork reflète ces créations analogiques. »

Josh Cheon : « J’aime beaucoup la pochette de Maxx Mann de leur album éponyme de 1982 que nous avons réédité cette année. C’est un dessin au trait noir et blanc qui respire une esthétique des années 1980 que mon label s’efforce de préserver. »

Eloise Leigh (EL) : « J’utilise souvent des médiums comme le dessin, la peinture ou le graphisme pour avoir un aspect artisanal, harmoniser l’art avec la musique qu’il illustre. J’utilise les mêmes techniques que les musiciens utilisaient dans le passé – le collage et la photocopie – pour créer leur propre artwork et diffusaient eux-mêmes leurs vinyles ou cassettes. On essaye aussi d’inclure d’autres éléments imprimés lorsque c’est possible, comme des fanzines ou des autocollants, pour rendre hommage à la culture DIY, du bricolage, qui a donné naissance à cette musique. »

EL : « Parfois, mais je n’ai pas non plus une idée précise de ce que cela sera. C’est vraiment un effort mutuel entre nous et le musicien pour décider quel style et quel contenu fonctionnent, ou non. Les designs les plus réussis se font quand le musicien explique bien son propre travail – les d’idées, les concepts derrière sa musique. Je réponds bien à cela : je crée des visuels qui incarnent leurs concepts. On ne se contente pas de l’œuvre d’art tant qu’on n’est pas tous les deux heureux. Parfois, les musiciens peuvent être un peu trop passifs et être d’accord avec tout et pour moi, cela n’est pas satisfaisant non plus. Il faut que l’œuvre soit conceptuellement forte pour être visuellement forte, et faire quelque chose de « joli » pour répondre aux tendances du design n’est pas suffisant. J’essaie de creuser plus profondément pour rendre l’artwork aussi personnalisé que possible pour le musicien, ce qui, je l’espère, aide d’une certaine manière sa musique à se démarquer parmi le flot de sorties. »

EL : « Le processus de réédition est bien sûr très différent de celui d’une nouvelle version. S’il y a des illustrations originales en bon état, nous les utiliserons pour la pochette. Je fais de mon mieux pour nettoyer les scans des albums originaux, ou pour ajouter de nouvelles informations dans un style ou une police de caractères respectant les illustrations originales. Il peut aussi y avoir des parties manquantes, comme des étiquettes qui doivent être mises à jour pour correspondre à la pochette. Dans les inserts (les feuillets explicatifs glissés avec le disque dans la pochette du vinyle, ndr), nous rendons hommage à d’autres types de contenus que les musiciens ont pu archiver, comme de vieilles photos et des prospectus. Cela donne un contexte historique à l’ensemble de la réédition. C’est donc vraiment un mélange de production graphique, d’archivage et de travail d’édition pour représenter une réédition correctement et respectueusement. »

EL : « Tout suit la compréhension historique derrière la musique et les esthétiques de leur époque. Cela détermine beaucoup de styles graphiques, de polices et de couleurs auxquelles je peux faire appel. Pour les disques de Patrick Crowley, on a fait appel à Gwenaël Rattke, un artiste dont le style analogique incarnait parfaitement l’esthétique rétro-disco de l’œuvre et l’époque de Cowley. »