Figure de proue d’un underground décomplexé, jeune, explosif et charismatique, Valentino Mora a eu plusieurs vies avant de partir en solo avec son label IDO. Il se nommait French Fries et, avec Bambounou entre autres, a fait décoller toute une scène parisienne.  

Depuis, il a changé de nom, a vécu au Japon puis à Berlin. Il a lancé IDO, pour International Dance Organization, son label il y a quatre ans déjà et surtout, il n’a pas arrêté la production. Comme un fil rouge à ses débuts, il crée une house d’une grande délicatesse. Laidback, duveteuse, suave même, sa musique explore les confins d’une nuit où les corps s’oublient et se mélangent, sans entrave. Un havre mélodique racé et minimaliste, qu’il pousse à son paroxysme dans Transcendental Movements Vol.1, la première compilation d’une série sur l’ambient. Tout naturellement, on a eu envie d’explorer ces mouvements avec lui.  

Hello ! Comment ça va, en ce moment ? 

C’est un moment très compliqué pour tout le monde actuellement. Ça va mais je suis quand même un peu perdu, c’est difficile pour moi d’imaginer comment la scène va reprendre…

IDO, ton label lancé en 2016, marque déjà ses quatre ans d’existence. Est-ce que tu peux m’en dire plus sur la genèse du projet ?  

À Paris, j’ai toujours fait partie d’un collectif, j’ai toujours collaboré avec des amis, ce qui était vraiment magique. En revanche, même si j’ai toujours eu beaucoup de liberté, je n’ai jamais pu m’exprimer vraiment à 100 %. En 2015 je me suis installé au Japon et j’ai fini par déménager à Berlin. Il était temps pour moi de lancer mon propre projet. À cette époque, j’étais vraiment passionné par l’Ambient House. Un son très particulier, entre 1991 et 1993. Un style qui venait de New York mais qui était étonnamment connecté au Japon et à l’Italie. La House a évolué tellement vite que le mouvement a disparu très rapidement, à l’exception de quelques artistes qui l’ont maintenue en vie jusqu’à aujourd’hui comme Terre Thaemlitz ou Joe Claussell, et qui ont permis à ma génération de découvrir cette musique. L’idée du label était donc de retrouver cette énergie si particulière d’un point de vue plus contemporain. 

J’ai lancé IDO pour sortir mes disques, car je ne voyais aucun label qui avait vraiment le même esprit, et au fil du temps, le concept s’est de plus en plus développé. C’est maintenant devenu une plateforme pour les artistes autour de moi qui partage une même sensibilité. D’ailleurs, quand on m’envoie des démos, les artistes me parlent plus du concept de leur projet, en m’expliquant pourquoi IDO les a inspirés, que de leur son. Je suis vraiment surpris de savoir qu’il y a des gens qui ressentent vraiment ce que j’essaye d’exprimer, ça me touche beaucoup.

Si je ne dis pas de bêtise, la création du label concorde avec un changement de nom d’artiste : French Fries devient Valentino Mora, ton vrai nom. Que voulais-tu dire, à travers ce changement ? 

Oui, avec le recul j’ai vraiment l’impression d’avoir eu deux vies. Quand j’ai commencé French Fries j’avais 14 ans, ce projet c’est toute mon adolescence, mon passage à l’âge adulte, et la recherche de mon son. Maintenant je trouve ça assez bizarre que tout ça soit sur Internet. Mais bon, c’est notre époque… En tout cas, le son d’IDO a commencé des années avant que je change mon nom. D’ailleurs IDO001 est sortie en 2016 mais il a été produit en 2014. Durant cette période, quelque chose de radical avait changé dans ma manière de faire de la musique. Je ne faisais plus de la musique pour les clubs, je faisais de la musique pour exprimer quelque chose. Je suis vraiment devenu très connecté émotionnellement avec ma musique. Donc avec mon départ à Berlin et mon nouveau label, il était naturel pour moi de terminer ce chapitre et d’utiliser mon vrai nom. 

Les différentes sorties du label explore les liens entre la musique et les corps, le mouvement ; est-ce que ton activité de DJ, qui par essence doit faire bouger les corps, a une influence sur ta production ? Ou bien ce sont deux mondes à part ? 

Ce sont vraiment deux mondes à part. Le concept d’IDO est très inspiré par le corps et la danse : le corps dans le sens de la sexualité, l’expérience du corps et de l’esprit et la danse contemporaine. Pour ce qui est du DJing, je suis plus intéressé par l’émotion et l’expérience mentale que je peux transmettre plutôt que de faire danser les gens. Ma vision du club est assez particulière, pour moi la musique est aussi importante que le lieu et le public. C’est la création d’une atmosphère collective ; la danse est l’un des fruits de ce phénomène mais c’est loin d’être le seul.

La crise sanitaire et ses conséquences nous pousse à se tourner vers l’ambient, qui aide et nous relaxe : la compilation est on ne peut plus d’actualité, non ?

Oui la compilation a pris plus de deux ans pour sortir et c’est vrai qu’elle coïncide étrangement avec la situation actuelle. J’espère qu’elle aidera des gens à trouver un peu de paix.

Comment s’est déroulé le processus de création avec les artistes invités sur cette compilation ? 

L’idée a germé en découvrant de vieux morceaux de Marow et Olaf Tonstein qui n’étaient pas officiellement sortis. Ensuite, j’ai commencé à contacter des artistes que j’affectionne en leur demandant de contribuer par un morceau en réponse au concept. Lou Drago a composé un texte qui se trouve à l’intérieur de la pochette, elle-même une oeuvre réalisée par Raphael Lecoquierre qui est aussi la moitié de Ligovskoï. Le design de l’ensemble a été fait par Maison C.C. qui s’occupe du visuel du label depuis le début. 

La suite, pour IDO et pour toi, c’est quoi ? 

Il y a déjà deux prochains EPs de nouveaux artistes qui sont prévus pour l’année prochaine, et ensuite une nouvelle compilation qui continuera la série de Transcendental Movements. En ce qui me concerne, je vais bientôt sortir un album expérimental et ensuite je sortirai quelques EPs techno.

V/A, Transcendental Movements Vol.1
IDO

crédit photo — Spyros Droussiotis