Une série en quatre épisodes, un aperçu subjectif mais festif d’une ville où les musiques aventureuses résonnent avec force : Nantes et sa douceur de vivre en trompe l’œil, Seattle et ses hangars bondés, Marseille où le béton brule au soleil et Saint-Étienne, foyer d’une renaissance techno.

Béton, soleil et débrouille pourrait être le mot d’ordre d’une scène électronique indépendante et engagée, une sorte de trio inamovible. On pourrait même y rajouter DIY, clandestinité et esprit de rébellion. Mis bout à bout, tous ces termes dessineraient alors une ville chaotique, belle et dysfonctionnelle, ouverte mais secrète. Affirmer cela n’est pas faux, mais le faire sans nuances reviendrait à plonger avec une facilité déconcertante dans les clichés qui marquent notre imaginaire sur la cité phocéenne. Pleine de contrastes, tentaculaire et impersonnelle, mordue en permanence par ce soleil bienfaiteur et accablant, Marseille abrite des scènes fortes aux tempéraments bien trempés et n’est pas que cette ville de cocagne à l’accent chantant. 

Vitrine la plus visible d’une scène locale en demande de lumière, nous avons choisi comme point d’ancrage le Festival le Bon Air – étendard de la maison Bi:Pole, agence de booking et société de production. Aux confins du printemps, l’événement convoque depuis 2016 têtes d’affiche et seconds couteaux et met un point d’honneur à intégrer les locaux. Après une première édition très ouverte musicalement, l’équipe change de braquet et décide « de se recentrer sur les musiques électroniques » et de pousser les curseurs plus loin. Aurélie Berducat et Olivier Kerdudo nous détaillent le projet : « une parité stricte imposée sur chacune des scènes, l’envie de représenter tous les courants esthétiques et une forte volonté d’inclure la scène locale et régionale. » Une implication qui passe par l’invitation d’acteurs locaux à prendre part à la programmation d’une scène ou d’une nuit, à l’image d’autres festivals hexagonaux ou européens de cet acabit. Hier, Abstraxion et Tropicold et aujourd’hui, un trio électrique : Goldie B, TTristana et Lisa More. 

« L’équipe de programmations était très masculine, et c’est le seul de nos pôles à ne pas être paritaire » nous explique-t-on. L’heure des changements, donc. « On voulait pousser les curseurs en offrant une stage encore plus grande à trois des artistes féminines et locales de notre catalogue d’artistes. » Un bon moyen de « corriger cela, tout en bossant en mode collégial pour sortir du train-train » Un travail à plusieurs paires de mains qui puisent ses inspirations dans le vivier local, tout en offrant « une caisse de résonance assez puissante, des conditions spectaculaires et l’occasion d’échanger avec des têtes d’affiches » détaillent-ils. Un accord de confiance, où la visibilité est partagée et où les publics, parfois peu à même de se rencontrer durant l’année, vont évoluer ensemble. « On connait notre scène locale, ses collectifs, ses artistes, ses lieux, on les suit toute l’année : on a besoin de leur créativité mais aussi de leurs fidèles publics ! »

Inclure toujours plus une scène et ses acteurs aux dépens de têtes d’affiche internationales ? Une direction dans laquelle nombre de festivals s’engagent depuis plusieurs éditions mais qui reste sujette à d’autres réalités, économiques notamment. Comment s’assurer du remplissage de son événement sans gros noms ? Une réflexion de fond, initiée principalement par la crise sanitaire et aux restrictions de déplacements liées et qui a permis de regarder autour de soi. Une prise de conscience que n’a pas attendu le Festival le Bon Air mais qu’il pousse plus loin en cette édition 2023. 

Goldie B, TTristana et Lisa More, donc. Trois ambassadrices qui ont chacune eu pour tâche de programmer une scène, de l’ouverture au rideau final. Des propositions plurielles, multidimensionnelles, inédites parfois, à leurs images. Soit, pour tenter de résumer : une nuit riche en (UK) bass par Goldie B, une scène club multiple et inclusive par TTristana et une stage que Lisa More qualifie elle-même de « tunnel ». En ligne de mire, un brassage des publics et des interactions entre les acteurs.trices locaux, qui reflèterait au mieux la vitalité d’une ville. « Marseille bouge de plus en plus et de plus en plus vite » nous raconte Goldie B. « Elle a toujours été un bouillonnement de culture, mais c’est peut-être encore plus vrai aujourd’hui de par le nombre croissant de nouveaux arrivants. » Un constat que partage le festival : Marseille est « un grand port, et on se nourrit de ce qui vient de l’extérieur ». Un extérieur parfois plus lointain qu’imaginé ; les « néo-marseillais.es » viennent de plus en plus de capitales européennes, Paris en tête. Un exode estival au départ qui devient plus massif sur la durée, et dont Lisa More fait partie. Clermontoise, elle s’est installée sur la Corniche il y a peu. « C’est une ville qui m’a toujours fasciné », nous raconte-t-elle. « J’ai rarement vu un endroit aussi riche en art et en culture. » Une créativité intrinsèque à la cité phocéenne bien sûr, mais qui doit aussi son essor aux nouveaux arrivants et à leurs pratiques culturelles. Aurélie Berducat et Olivier Kerdudo du Festival le Bon Air vont dans ce sens. « Les néo-marseillais qui affluent depuis peu amènent de la créativité, mais aussi de bonnes habitudes sociétales comme les safe places ! » Un impact forcément bénéfique sur la ville et ses habitant.e.s ? 

Hors culture, c’est plus compliqué selon Goldie B. « Évidemment, cet exode crée du bon, comme du mauvais. » On pense à une gentrification à marche forcée, une romantisation de la seconde métropole de France et une vie « hors-sol », dans une bulle où le soleil brille toujours. « Mais sur le point de la richesse culturelle » poursuit-elle, « de la création et des rencontres, je pense qu’une dynamique positive est en marche et qu’elle rend notre ville encore plus vive, florissante, unique et belle qu’elle ne l’était déjà. » Pour TTristana, l’appel de la curiosité reste le plus fort. « La culture marseillaise a toujours prouvé qu’elle était curieuse, et a toujours laissé sa chance à la nouveauté, à l’expérience. »

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Marseille est unique car multiple et éclectique, avec une propre identité : celle de la débrouille face à des pouvoirs publics peu à l’écoute, de l’inventivité en réaction à une absence de structures et d’espaces. Du chemin a pourtant été parcouru depuis le milieu des années 00’s et la (très) faible part des cultures électroniques dans la vie culturelle. Une évolution « loin d’être suffisante » pour le Festival le Bon Air qui par sa taille et son envergure, est plus en direct avec les institutions que d’autres collectifs et associations. Un autre dialogue, plus formel et moins « en réaction » qui n’empêche pas la débrouille. « Une méthodologie de développement ! » affirment Aurélie et Olivier. « Marseille est vivante, c’est ce qui fait qu’on l’aime. » Un constat que partage Lisa More, phocéenne d’adoption. « Ce que j’aime vraiment, c’est que tout le monde est très différent et qu’il y a quand même une belle osmose générale dans toutes les disciplines et dans tous les styles. Je trouve ça merveilleux. » 

C’est que plusieurs festivals et événements rythment la saison estivale : Marsatac bien sûr, pionnier parmi les tauliers, mais aussi Acontraluz, Au Large, Delta Festival, Marseille Jazz des Cinq Continents… Une diversité qui tend, petit à petit et d’éditions en éditions, à représenter la ville et tout ce qu’elle abrite d’initiative et d’engagement. C’est l’une des caractéristiques qui nous sautent aux yeux : la force du social et du politique, voire du militantisme dans les musiques électroniques indépendantes, est très présent. TTristana, musicienne et artiste engagée, nous prend l’exemple d’Error TPG, collectif « queer engagé, qui propose en plus d’évènements à la programmation pointue et innovante, un réel impact sur les personnes de la communauté LGBTQIA+. Un soutien et une voie forte pour la communauté à travers un militantisme qui passe par la fête. » Cette vision inclusive, sociale et militante de la fête traverse beaucoup d’autres initiatives et prend corps dans les lieux de vie et de fête : on peut citer bien sûr la Friche de la Belle de Mai, mais aussi des lieux comme le Meta ou bien le Makeda. Parfois non revendiquée car apparaissant comme naturelle, ces prises de parole dessinent l’identité d’une ville qui, selon Olivier du Festival le Bon Air, n’a « rien à envier à la capitale. Une scène engagée qui propose des événements justes, écologiques, inclusif. » À rebours des images où la douceur de vivre prendrait le pas sur la vie culturelle et festive, Marseille vibre et résonne – et cela commence par le Festival le Bon Air. 

Festival le Bon Air, du 26 ou 28 mai à La Friche de la Belle de Mai. Retrouvez-y Goldie B, TTristana et Lisa More, et plein d’autres ! 

crédits photos : couverture : Naïri, Annaëlle Peyre et Robin Plus.