Actress est de retour avec Karma & Desire sur l’immortel Ninja Tune. Le sixième long format de Darren Cunningham est, dans le désordre : torturé, lumineux, aérien, contemplatif, magistral.
On reçoit toujours une annonce d’un nouvel album d’Actress avec une certaine excitation. C’est que la musique créée depuis une décennie est l’une des plus singulières du circuit ; elle s’affranchit des époques et des modes, des contingences d’efficacité et de nos sensations d’auditeur. Rien n’entre en ligne de compte, le plaisir n’est qu’accessoire et c’est ainsi. Seule compte la créativité débordante de son auteur, Darren Cunningham. Depuis le sémillant Hazyville en 2008, il n’a cessé de nous dérouter, sur disques et sur scène. De nous malmener même, avec le très abscons et difficile Ghettoville. Une forteresse imprenable, un magma futuriste et sombre de signaux électroniques à destination de nos cortex construite d’albums en albums, de lives en DJ sets.
Alors, quand vient l’écoute de Karma & Desire, toutes nos attentes sont une nouvelle fois balayées. Les 17 titres qui le compose ne ressemblent en rien à ce que l’on a connu du Cunningham des dernières années. Cet album est lent, doux, aérien, introspectif et apaisant. Et par-dessus tout, il y a des guests, des collaborations et des featurings, des paroles. Sampha, Zsela, Aura T-09 viennent s’introduire sans effraction dans la psyché de l’artiste et c’est une première dans sa carrière. Il en résulte des titres étonnant de simplicité, comme si par diffusion, la formule pop du chant de ses invités ont infusé chez Actress. Simple mais construit, Karma & Desire est traversé par des superpositions de beats, d’effets et d’expérimentations. « Angel Pharmacy », qui suit la lumineuse intro « Fire and Light », reprend des motifs deep house, des ritournelles synthétiques. Un souffle, un « woosh », emplit le titre. C’est un effet bien sûr, mais il donne la solidité d’un enregistrement analogique, le « bruit blanc » d’un studio imparfait.
Il y a des accélérations et des pulsions très Actress-iennes, telles que « Leaves Against The Sky », le très club « Loveless », le saturé « Fret » et le carrément juke « Loose ». Ce que l’on retient surtout, ce sont les huit minutes d’apesanteur du « Many Seas, Many Rivers » avec Sampha. Un piano, de l’écho, la voix haut-perchée du londonien, des nappes : on tient le titre le plus mélancolique, beau et triste de notre automne.
La musique d’Actress reste délicate à développer. Non-pas que l’on ne trouve pas les mots à apposer sur ces constructions électroniques. C’est qu’elle se ressent plus qu’une autre, et encore plus Karma & Desire : c’est un album d’ambient fait par quelqu’un qui ne voulait pas en faire. Un album qui étrangement, fait du bien et nous soigne, alors que son auteur a toujours cherché à nous malmener. C’est un album magistral d’Actress, qui accompagnera nos trop longues soirées d’automne avec délicatesse et retenue.
Actress, Karma & Desire
Ninja Tune
crédit photo : Jaxon Whittington