Lors de notre exercice de best-of et de rétrospective de l’année 2019, nous écrivions ceci à propos de Slipping, dernier EP en date de Joy Orbison : « Intimiste, familial même – la voix de son père sur l’intro de « w Dad », une photo candide de sa tante sur la pochette du disque – cet EP explore, joue, densifie le son pour n’en garder qu’une chaleur bienveillante. À l’exception notable du « Breathe In », dancehall robotique & clinique. Et partout, une infiltration pop. »

Deux ans plus tard, Joy O. poursuit son aventure intime et l’augmente sur un plus long format. still slipping donc, en référence à son projet précédent et vol.1, parce que la famille et l’intime ont cette force d’être des sources intarissables d’énergie et d’inspiration. Comme en 2019, le DJ et producteur anglais, pilier de tout ce qu’il se joue outre-Manche, glisse entre ses productions ses proches. Des notes vocales et des appels de son père, sa mère, sa sœur et ses oncles – dont l’un, Keith, récemment disparu. Des cousins aussi, des tantes, enregistrés à distance cette fois-ci, crise sanitaire oblige. Dans cet arbre familial vocal, une personne ressort jusqu’à se trouver sur la pochette du disque. Il s’agit de Leighann, sa tante qui la première lui fit découvrir des océans de musiques – drum’n’bass et garage en tête. 

Une découverte qui tourne à l’obsession, un passe-temps adolescent se change en carrière et voilà Joy O figure incontournable d’une scène protéiforme. On emploierait le même terme pour désigner le contenu de ce premier long format en plus de dix ans d’activité. Multiple, mouvant mais regardant clairement autour de lui, still slipping vol.1 est une ode magnifiée à l’Angleterre et à tout ce qu’elle a pu apporter aux musiques électroniques. 

Clairement downtempo, ce disque peut-être apprivoisé comme une mixtape ; les interludes chassent les titres et tout s’enchaine avec élégance. Inutile de préciser que la production est au cordeau, nous sommes chez Joy O. Un travail d’orfèvre qui le rapproche de James Blake, mais en plus proche, plus humain. Un souffle traverse le disque, pas seulement celui des proches du musicien. Un bruit blanc diffus, en fond, qui donne un grain aux choses – qui les date, aussi. C’est étrangement comme si l’on ouvrait des petites capsules temporelles. 

R’n’b douceâtre, garage ralenti, two-step moelleux : ajouter à cela les voix de ses proches et c’est un résultat étonnamment nostalgique et doux-amer que l’on a sous les oreilles. Même « bernard? », titre trap, est traversé par des cordes lancinantes. Le sommet du disque est atteint dès la troisième piste, sur l’intro du « swag w/ kav » : sur des nappes flottantes, imprécises, James Massiah pose sa voix en équilibre, vite rattrapé par un cliquetis rythmique puis un beat. Une intro « en l’air », puis des beats. Cela n’a l’air de rien mais cette petite opération – un flow attrapé par une pulsation – propulse le morceau vers une autre dimension. Le BPM donne un cadre et s’occupe de la suite du titre mais le plus beau est fait : celui de capter une parole et de l’enchâsser dans un entrelacs voluptueux de beats et de claviers. Une émotion simple, que l’on peut réécouter à l’envi. 

Joy Orbison, still slipping vol.1
Hinge Fingers/XL Recordings