Boss du label Krakzh, DJ et producteur dévalant une pente raide faite d’ambiances inquiétantes et de kicks abrasifs, Théo Muller est à nouveaux sous nos radars avec Gouzañv Pe Unaniñ, son dernier album sorti peu avant les fêtes. La Bretagne est définitivement une terre de rave.
On est allé demander de l’aide à un traducteur breton-français en ligne. Ce n’est pas glorieux, mais le résultat se tient. « Souffrir Quel Unir », nous annonce-t-il à notre demande de traduction du titre du dernier album de Théo Muller, Gouzañv Pe Unaniñ. On repassera pour la syntaxe, mais l’essentiel y est. Surtout, ce titre cryptique pour les non-bretonnants annonce la couleur des onze titres du disque : rugueux, intenses, corrosifs, mais salvateurs. La violence (relative) des tracks cache une récompense : celle de se sentir vivant à nouveau, traversé.e par des accélérations techno, des riffs post-punk et des virages breakbeat et des infrabass.
De la douleur viendra une sorte de rédemption, de bien-être. On ne file pas plus loin cette idée presque christique de la catharsis musicale, mais on est tenté de croire que Muller a vu, dans son Gouzañv Pe Unaniñ, une échappatoire à nos quotidiens mornes. Ce n’est pas pour rien – si ce n’est un goût pour un second degré prononcé – que le rennais invoque toute la palette d’images bretonnantes : grands espaces, ciel bas, murs d’enceintes, druides maléfiques et teufeurs démoniaques. Un large clin d’oeil à ce que l’on imagine de cette région pas comme les autres – et qui doit être en partie vérifiable – qu’il applique aussi à la musique.
Dub lancinant, relents rock trempés dans de l’acide, nappes synthétiques touchants au drone, un camaïeu de noir, de gris et de vert glisse sous nos oreilles. Inquiétants souvent (le bien-nommé « Les rave party sont interdites », « Dreizh Troy » ou « The Devil Moon »), au ralenti (« Mystère dans les abers ») ou plus énergique comme sur le furieux « Infoline », les tracks invoque une face B de nuits qui n’existent plus que dans des documentaires ou au mieux, dans nos souvenirs. Une musique marginale car trop étrange, trop sombre et pas assez nette. Une musique trop souvent absente des circuits habituels (on parle du monde d’avant) et qui, télescopage dingue de l’actualité et de notre quotidien pandémié, arrive jusqu’à nous par les fenêtres de Bandcamp et de BFM TV.
Une musique vu ici comme une bulle d’évasion qui rappe, griffe et assaille nos oreilles pour ne plus nous lâcher. « Souffrir Quel Unir », donc.