Un an. Un an à se tourner les pouces, se mettre au jardinage, faire son levain, finir Netflix, se terminer devant des live streams, télétravailler, commander sur les plateformes de livraison, dormir, répéter. Nos habitudes sont passées à la trappe pour en créer d’autres. Mais une chose nous manque terriblement : l’expérience musicale comme elle devrait se consommer, en club. On ne va pas vous faire un dessin et un énième pamphlet sur la situation. De belles initiatives ont fleuri pour se rappeler au bon souvenir de notre vie d’avant ou maintenir la pression en attendant la vie d’après. Parmi ces dernières, une nous a particulièrement marqué : le livre Ten Cities.

Les ouvrages dédiés au clubbing et à la musique électronique, que ce soit sous forme de récits, de photographies ou de documents sont légion. Une vie entière ne suffira pas à tous les découvrir. Cependant, on remarque généralement une certaine homogénéité des sujets traités : l’âge d’or du Disco de Manatthan, les premières raves françaises, la musique anglaise, l’axe Chicago-Détroit, la déglingue berlinoise… Et cela a eu tendance à s’exacerber en 2020 lorsque notre petit monde fut mis en congés forcés, chacun en a profité pour faire son petit ménage de printemps et ressortir de belles archives. Des choses incroyables ont ainsi été (re)mises au goût du jour. On pourrait presque parler d’externalité positive de la pandémie. Seulement, quelque chose continuait de manquer.

C’est donc là qu’intervient le salvateur Ten Cities, Clubbing in Cairo, Kyiv, Johannesburg… D’une densité certaine (600 pages), le livre contient de magnifiques photos de scènes de clubbing à travers l’Europe et le trop oublié continent Africain, lorsqu’il s’agit de musiques de danse. On y retrouve des scènes de danse et transe spontanées, libres et réelles. Loin d’être un simple recueil de photos, le livre est composé d’essais (21) sur l’évolution des clubs – comme institution – dans les villes citées. A mi-chemin entre art et sociologie, on apprend comment la culture club a évolué depuis les années 60 dans ces différentes villes, et comment elle a constitué un art de vivre pour des nébuleuses dont j’ignorai personnellement l’existence jusqu’à présent. 

Soulignons également le choix original des villes mentionnées, délaissées par la hype dans les médias spécialisées, qu’il s’agisse de Nairobi ou de Naples. On y parle de création musicale, certes, mais le focus est également mis sur la façon de représenter son territoire, revendiquer son appartenance à une ville via la musique (et plus largement la culture), sujet ô combien sensible en France pour qui a vécu dans des villes de tailles moyennes (moins). Certes, on retrouve Berlin dans la liste des capitales, ce qui contredit mon point précédent. Néanmoins, la mise en exergue de la nation arc-en-ciel par exemple, arrive à point nommé à une époque où de grosses soirées franciliennes mettent le curseur sur le gqom, le kuduro ou l’amapiano. Dans le monde normal, “Gabadiya” aurait dû être un tube de club, et ce n’est pas notre confrère Etienne Menu qui nous contredira !

Sur le fond, Ten Cities se démarque par l’originalité de sa démarche avec comme Leitmotiv “le clubbing n’est pas que berlinois”. Sur la forme, ce sont des textes fouillés et des images d’archives incroyables qui viennent renforcer ce mantra. En reposant le livre sur la table de chevet, nos yeux se ferment avec une furieuse envie de tourisme festif. Fantasmons sur un nouveau type de voyage qui n’imitera pas la fameuse “Easyjetset” des années 2010 qui a contribué à l’asceptisation de l’offre clubbing occidentale, mais plutôt à une tournée des clubs respectueuse de ses habitués, de la population locale, de ses lieux. Découvrons, rencontrons, respectons, cessons les comportements d’occidentaux en terrains conquis, amusons-nous ! Est-ce la promesse du clubbing d’après ?