6 juillet 2011, alors que je décide d’aller dîner à la Bellevilloise, un écriteau m’interpelle aussitôt sur place. Il y est écrit qu’un certain Gaslamp Killer jouera le soir même aux alentours de 23h. Si j’avais déjà entendu parler de ce californien et de ses élucubrations scéniques, je n’avais en revanche jamais eu l’occasion d’expérimenter ses lives. Car il faut bien le dire, les Etats-Unis, depuis les grandes heures de Détroit ou de Chicago, ont eu bien du mal à renouveler la musique électronique et à placer de jeunes pousses prometteuses dans le monde de la nuit. Ce renouvellement est plutôt à chercher ces dernières années du côté de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre (voire également, plus récemment, des pays d’Europe de l’est).

William Bensussen aka Gaslamp Killer est un personnage singulier qui est devenu en quelques années l’incarnation d’un genre nouveau de DJ et de performer. Car il s’agit peut-être plus d’un véritable showman que d’un DJ à proprement parler.

Alors que je descends dans le club de la Bellevilloise, quelques morceaux hiphop pour chauffer la salle se font entendre. C’est alors qu’un type de petite taille, barbu, avec une longue chevelure frisée et des lunettes noires monte sur scène. Ce personnage aux allures de metalleux neurasthénique n’est autre que The Gaslamp Killer et avec lui, l’habit ne fait définitivement pas le moine. Car c’est aussi de cela dont il s’agit, une performance de plusieurs heures comparable à une messe bordélique, sacadée, brutale et déroutante sous le signe du dubstep, du hiphop, du rock psychédélique, du jazz…

GLK, comme le surnomment ses fans, se contorsionne, fait bouger ses cheveux dans tous les sens, bondit, scrute son public avec des yeux de professeur fou, comme s’il improvisait en fonction de la réaction du spectateur. Il n’est pas sans rappeler la figure du chaman menant ses auditeurs à une transe salvatrice.

C’est un fait, The Gaslamp Killer fascine. Il agace aussi. Car il est question ici plus de spectacle à proprement parler, que de musique. Si certains saluent l’éclectisme de ses sets, d’autres n’y voient qu’une masse incohérente de fichier mp3 balancés au bon gré du maitre de cérémonie. Ce dernier point est particulièrement notable dans son premier album “Breakthrough” sorti l’année dernière chez Brainfeeder. Il s’agit là d’une compilation de morceaux constitués de samples mis bout à bout, et où l’on pourrait parfois dire que le hasard est de mise. Il y a donc une forme de déception. Si cette incohérence est en live masquée par les agitations de Bensussen, elle laisse souvent place à l’ennui dans cet album dénué quelque peu d’énergie. Rien d’inoubliable donc.

The Gaslamp Killer – Nissim (with Amir Yaghmai)

Gaslamp Killer semble faire ce qu’il veut, comme il le veut, où qu’il soit. Et c’est peut-être ça qui fascine : ce désir de liberté qu’il insuffle à son auditoire plus que ses gesticulations énergiques.

Il représente, malgré lui, une nouvelle génération de DJs pour qui jouer de la musique en club n’est plus soumis à aucune règle, fussent-elles celles du marché.

Depuis ses débuts dans des caves de Détroit ou Chicago, la musique électronique et le DJing s’est fortement institutionnalisé. A un tel point que des aberrations comme David Guetta (pour ne citer que lui), plus business man que véritable DJ, se sont multipliées. C’est dans ce contexte d’institutions, de règles parfois rigides du marché et de l’attente d’un certain public, que William Bensussen apparaît et va trouver son nom de scène.

Au début des années 2000, le jeune Bensussen a 17 ans et, comme beaucoup d’adolescents, aspire à une forme d’émancipation radicale. Fan de musique et inspiré par DJ Shadow, il se met très vite à vouloir mixer dans des club locaux du district de Gaslamp à San Diego (sa ville d’origine).

Jouant un unique set constitué essentiellement de rock psyché et de hiphop cru, il “tue” souvent l’ambiance chic des soirée du quartier d’où son surnom de “Gaslamp Killer”.

Gaslamp-Killer-Live

Sans désespérer pour autant, animé par son désir de liberté, il déménage à Los Angeles où il se lie d’amitié avec un producteur que l’on ne présente plus, Flying Lotus. Au sein du tout jeune label Brainfeeder, plus libre, n’hésitant pas à casser la barrière des genres, il se sent à sa place.

Il participe, avec d’autres DJ des environs (Nobody, Nocando, et le producteur Daddy Kev entre autres) à l’élaboration d’une soirée hebdomadaire désormais mythique auprès d’un certain public : la “Low End Theory” . Le mot d’ordre est liberté, des DJ viennent chaque mercredi mixer sans interruption et sans cadre précis, chacun passe ce qu’il veut avec fureur. Le succès de ces soirées est quasi immédiat et perdure au point qu’elles s’exportent désormais jusqu’au Japon.

Ce succès n’est pas un hasard. Il est tout d’abord le produit d’une révolution, celle des nouvelles technologies et de l’internet où l’accès au contenu musical s’est démocratisé pour devenir presque illimité. Le téléchargement a alors permis à plein d’ados en manque de sensations fortes, aspirant à une forme de liberté individuelle nouvelle, de découvrir et d’écouter énormément d’artistes.

Internet a également modifié notre rapport à la temporalité : d’un coup d’un seul on n’écoute plus un album du début à la fin mais on zappe, on privilégie le single, court, efficace, tout s’accélère, se mélange. Face à l’institutionnalisation de la musique électronique depuis le début des années 2000, la jeunesse en pleine adolescence nourrit un désir de briser la barrière des genres. C’est dans ce contexte que Gaslamp Killer, nourrit lui aussi de cette culture de l’illimité numérique et culturelle, apparaît comme le chef de file de cette génération “mp3” pour qui tout est possible, tout doit être fait.

The Gaslamp Killer – Shattering Inner Journeys

Ses performances deviennent alors un cri d’émancipation, clamant dans les interstices une liberté dont nous jouissons et qui pourrait un jour disparaitre. Revenant au sens premier de la figure du DJ, mixant les genres, les morceaux, puisant dans tout ce qui a constitué l’essence d’une génération (musique de films, de jeux vidéos, de télévisions etc..) qui est la sienne, il nous rappelle que jouer de la musique en club est avant tout une réunion, une communion entre les être désireux d’être libre, par la danse, la sueur et le rire.

The Gaslamp Killer apparait ainsi comme un symbole parmi d’autres d’une génération qui n’accepte plus qu’on lui dicte ce qu’il faut faire, écouter, jouer ou comment il faut vivre.”