Le mois dernier s’est tenue une nouvelle edition du Be Street Festival qui affichait, au beau milieu d’un line-up des plus impressionnants, le premier album de Golden Rule. Par un lundi soir pluvieux, nous avons rejoint le groupe au Mellotron pour nous entretenir avec eux.

En 2014, Paul White sortait Shaker Notes (qui figurait dans notre top des meilleurs albums de l’année) sur R&S Records : un album downtempo empreint d’une pop mélancolique sur laquelle le producteur s’était essayée à poser sa voix. Les 11 pistes avaient été entièrement enregistrées dans le studio du londonien, sans tierce personne. Mais c’est plutôt pour les beats expérimentaux et avant-gardistes utilisés par une certaine frange du rap contemporain (Danny Brown, Guilty Simpson) que nous connaissions Paul White. Cette année est sorti le premier album de son projet Golden Rules mené avec le rappeur Eric Biddines. Nous nous sommes interrogés sur leurs motivations et leurs méthodes de travail peu conventionnelles.

Non French speaking fellows, please check our English version out !

Comment s’est opérée la rencontre ?

P : J’avais un des albums d’Eric que j’aimais beaucoup. J’ai plus tard découvert qu’il aimait aussi mes productions, donc nous avons commencé à travailler ensemble. Avec mon manager, nous lui avons envoyé des sons et en moins d’une semaine il m’a renvoyé 4 morceaux terminés, ce qui est assez exceptionnel pour être souligné ! En principe, tu reçois des couplets ou une chanson complète. J’étais impressionné. Deux morceaux ont d’ailleurs terminé sur l’album. L’un d’eux parlait d’une histoire d’amour et à ce moment-là je venais tout juste de rompre avec une fille, je me suis senti impliqué. Dès le départ, nous avions une vraie connexion. Nous avons continué à nous envoyer des morceaux. Je lui ai balancé des instrus, il m’a renvoyé des vocals. Ca s’est passé très naturellement.

Avez-vous été en studio ensemble ?

P : Non, tout s’est passé de chaque côté de l’Atlantique, par mail !

Eric, comment as-tu vécu cette situation ? Recevoir tous ces beats et rapper dessus seul ?

E : Je l’ai très bien vécu ! Je ne collaborais pas avec grand monde à ce moment, donc j’ai apprécié travailler avec un producteur différent alors que j’étais aux US et lui à Londres. C’était excitant de faire ça et ça sortait de mes habitudes. C’était un défi. Je voulais tenter l’expérience, je l’ai fait et c’était incroyable.

Quand avez-vous décidé que l’album était terminé ? 

P : Nous avions beaucoup plus de morceaux que prévu. A un moment donné, nous en avions 17 ou 18. Nous voulions faire un album que tu écoutes de bout en bout et dont tu te souviens constamment du début. C’est un voyage. Si cet album avait été trop long, nous aurions perdu l’impact que nous voulions créer. Nous avions besoin de morceaux que nous aimions vraiment. Nous avons décidé que 10 à 11 morceaux étaient assez. Encore une fois, tout s’est fait naturellement, c’est pourquoi ce projet est si spécial à nos yeux. Au début, l’album devait être totalement Hip-hop mais nous aimons tous deux différents styles de musique et j’aimais la façon de chanter de Eric donc nous avons décidé d’avoir de la Soul et du R’n’B en fil conducteur. Le rendu sonne très bien.

Sur scène, défendez-vous l’album uniquement ? Comment avez-vous répété ?

P : Nous défendons cet album seulement, pour le moment du moins.

E : Paul a son studio dans le sud de Londres. C’était très simple. Nous avons un groupe pour répéter avec nous : choristes, saxophoniste, batteur… Notre but est d’étendre encore cette équipe.

Paul, comment as-tu décidé de revenir au hip-hop ?

P : Je ne l’ai jamais quitté ! Je produisais l’album en même temps que Shaker Notes. Ce n’est pas parce que j’ai commencé ce projet quelques années auparavant que j’ai abandonné les beats. J’aime faire autant de choses que possible. Je n’aime pas mettre les choses dans des cases et tout séparer. La musique, c’est la musique. Si tu le sens, fais-le ! Je suis très chanceux de pouvoir faire toutes ces choses, donc je continue de produire du Hip-hop et de m’investir sur d’autres créneaux. Un jour, je joue de la guitare, le suivant je suis plus d’humeur à jouer des sons africains, puis retourner sur ma MPC.

Dans ta Boiler Room, tu joues de plusieurs instruments. Quel est le premier ?

P : Il s’agit tout simplement d’un piano doublé d’une guitare. Je joue de ces 2 instruments depuis que je suis gosse. J’ai composé mes premiers morceaux sur un piano. Je regrette de ne pas les avoir enregistrés car j’avais 10 ou 11 morceaux et je ne m’en rappelle pas. J’aimerai tellement les entendre même si ce ne doit pas être très abouti… Le Hip-Hop m’a vraiment inspiré car il vient de plusieurs musiques. Plus jeune, j’étais à fond dans la musique de rave, le hardcore, le jungle… Je suis arrivé à un point où je voulais faire la même chose. Je voulais jouer de la guitare, de la batterie et de beaucoup d’autres instruments. Je voulais tellement en faire que j’ai été limité à un moment donné. Je me réveillais et je voulais faire tellement de choses qu’une vie entière n’aurait pas suffi. J’ai eu besoin de me discipliner.

Vous êtes ensembles sur l’album mais vous travaillez chacun de votre côté. Seriez-vous prêts à travailler en groupe dans un studio ? Vous avez l’air tellement autonomes…

P : Pour être honnête, je me sens bien plus à l’aise tout seul. Je prends mon temps, je fais ce que je veux, je peux passer la journée en chaussons… Être avec quelqu’un dans la même pièce en revanche peut être très motivant. Avec Eric, nous nous sentions comme des frères perdus de vue : nous avons le même esprit, donc ça marchait ! C’est variable en fonction des personnes. Si tu te sens plus à l’aise seul, pourquoi pas ? Au final, tout ce qui compte c’est le son.

Qu’en penses-tu Eric ? Préfères-tu être avec un producteur ou rapper seul ? Qu’est-ce qui te motive ?

E : Je sais faire les deux mais je préfère le faire moi-même. Je pense que je suis plus créatif dans mon espace personnel, pour faire des expériences par exemple. Foutez-moi la paix !

Oui Paul, laisse le tranquille !

P : C’est comme sur scène, il peut essayer des trucs vraiment fous.

E : Oui, c’est vrai, je peux faire le ouf en studio mais c’est mieux quand beaucoup de gens sont là pour regarder !

Comment s’est fait le choix de Lex pour distribuer le disque ?

P : Nous voulions une grande plateforme. C’est toujours compliqué avec les labels car avec les gros, tu risques d’être pieds et poings liés, et avec les petits, tu n’as pas forcément les moyens de servir tes ambitions. Avec Lex, nous nous sentions intégrés à une famille. Tout s’est passé très naturellement. Ils ont beaucoup aimé l’album et nous étions heureux de travailler ensemble. Nous nous sentions soutenus et c’est exactement ce dont nous avions besoin. Ils se sont chargés du côté promotionnel de la chose, ce qui nous permettait de rester créatifs de notre côté

En parlant de cet esprit familial, Paul, tu as signé sur R&S qui était à l’origine une petite structure qui a connu de profondes mutations depuis sa création, jusqu’à devenir une plateforme incontournable des musiques électroniques. L’esprit originel du label est-il toujours présent ?

P : Je pense que oui, du moins de ce que j’en connais. C’est une famille unie et managée par un couple (Renaat Vandepapeliere & Sabine Maes). Ils m’ont même invité chez eux ! Tu peux voir lorsque quelqu’un fait les choses avec passion. Nous avons besoin de ça car nous sommes tous passionnés. C’est pourquoi je suis heureux de travailler avec Eric ou Lex. C’est aussi simple que ça ! Nous sommes très reconnaissants d’avoir des gens comme vous. Nous avons besoin d’aide et de gens passionnés. Nous sommes une grande famille !

Peux-tu nous parler de ton processus créatif ?

P : J’ai travaillé entièrement seul sur mon dernier album. La musique est un jeu et je me challenge continuellement. J’essaye de ne pas réfléchir quand je fais des beats. Je m’asseois et je m’inspire de mes sentiments, de mon état d’esprit du moment ou des images que j’ai en tête. Avec Eric, ça a vraiment cliqué, donc c’est encore autre chose. C’est presque de la magie ! Cette collaboration a eu lieu à un moment de ma vie où elle avait réellement un sens.

Tu produisais ton dernier album solo au même moment que l’album de Golden Rules. As-tu eu à faire des choix ou est-ce que tout s’est fait naturellement ?

P : Tout s’est passé le plus naturellement du monde : il y a des beats sur Shaker Notes que je ne donnerai jamais à un seul rapper ! C’était un challenge personnel. Il faut grandir et étendre ses capacités.

Se challenger est très important. Quel sentiment as-tu envers tes anciens albums et EPs ?

P : La vie est une progression constante. J’ai toujours rêvé d’avoir un chanteur à mes côtés, donc cette collaboration avec Eric tombait à point nommé. Je suis fier de tout ce que j’ai pu faire avant et je suis heureux de voir que je progresse constamment. Je veux continuer cette progression. Néanmoins, je dois dire que je n’écoute pas vraiment mes disques à la maison, ce serait bizarre…

Mos Def est le seul invité sur l’album. Comme cela s’est-il passé ?

P : Mos Def a voulu prendre part au projet. Evidemment, nous sommes tous les deux de grands fans. Nous avons envoyé nos travaux à un ami qui travaille chez Because à Paris et il s’avère qu’il connait le manager de Mos Def à qui il a envoyé son beat préféré. Lui aussi a beaucoup apprécié. C’était un réel honneur, comme dans un rêve. Ce mec est incroyable. Il a une telle énergie ! Il a également avoué avoir été bluffé par le flow de Eric.

E : Mec, quand on m’a annoncé ça j’ai pleuré de joie ! Surréaliste.

A ce propos, souhaites-tu collaborer avec d’autres rappeurs dans le futur ?

E : Généralement, je n’essaye pas vraiment de pousser les collaborations. J’adore Big Krit, Cee-Lo, Erykah Badu…

Paul, à propos de ton album The Purple Brain : a-t-il été réalisé exclusivement à base de samples du même groupe ?

P : Oui ! Les samples viennent de ST Mikael , un groupe suédois. Leurs travaux sont incroyables. Egon m’a envoyé un disque dur avec leur musique. J’ai fait l’album en 3 semaines, je n’arrivais pas à y croire moi-même. Egon m’a répondu en me disant qu’il l’adorait et qu’il voulait le sortir sur Now Again. C’est l’une des expériences les plus magiques de toute ma vie. J’ai finalement eu des nouvelles du groupe : le leader m’a envoyé un mail me disant qu’il adorait le disque. C’était fou ! Quand tu samples quelqu’un, tu t’attends à ce que ce mec te déteste pour ce que tu as fait de son travail. Mais il a apprécié l’idée.

Paul et Eric sont 2 personnes incroyablement bienveillantes, agréables et intéressantes, un immense merci à eux pour leur temps et à MPC Prod pour avoir arrangé l’interview.