On avait laissé Domenique Dumont avec Miniatures de auto rhythm, sorti il y a deux ans déjà sur Antinote et qui contenait une renversante collection de chansons de poche, délicate et mélancolique. Depuis, le musicien et producteur originaire de Riga, en Lituanie, a pris du temps pour composer des choses et d’autres, toujours avec délicatesse. C’est ainsi que né People On Sunday, bande-son du film du même nom sorti en Allemagne en 1929.

Un film muet, réalisé par Robert Siodmak et Edgar G. Muler qui met en scène un groupe de jeunes gens qui passent un dimanche au bord de l’eau. Les Hommes le dimanche, dans sa version française, est un classique de cette période dite « dorée » du cinéma européen, et allemand. Ici, aucun rebondissement, plot twists ou apparition inattendue. Il s’agit d’un dimanche au soleil, entre des jeunes gens qui se plaisent, discutent, flirtent. Ils se courent après, se chamaillent, écoutent de la musique sur un tourne-disque, le tout dans une lumière éblouissante qui dévoilerait probablement des teins halés si le long métrage était en couleurs. Une bulle quelque peu surannée hors du temps, comme une parenthèse ensoleillée et douce dans une Europe, celle de 1929, qui aborde la décennie suivante avec un optimiste forcené qui n’empêchera pas le chaos. 

C’est à la suite d’une commande par le Festival du Film des Arcs en 2019 que Domenique Dumont se retrouve face à cet objet cinématographique silencieux à sonoriser. Nous n’étions pas au ciné-concert, mais ce court extrait/clip ci-dessous nous donne un joyeux aperçu. Tout de suite, la confrontation entre une musique actuelle, électronique, synthétique, sur des images en noir et blanc d’un autre temps frappe, et donne une saveur particulière. Un décalage apaisant : il est presque rassurant de se dire que nous pouvons encore habiter, même par le truchement de la musique, un monde disparu et inconnu. Que les images que nous voyons ne sont pas vides de sens et que l’on peut s’y raccrocher d’une façon ou d’une autre. 

À l’écoute de l’album – qui sort ce vendredi 13 novembre, on retrouve tout ce qui a fait du précédent album de Dumont une merveille. Synthés ouatés, mélodies cristallines, nappes apaisantes, tout y est. Des chordes et des plages plus atmosphériques, ambient presque font leurs entrées ici, tout comme le ressac d’une plage empruntée par Edwin, Wolfgang, Annie, Christl ou Brigitte sur « Water Theme ». On y distingue même des marimbas. Montées, descentes, accélérations et ralentis, la partition suit les personnages, leurs mouvements et leurs histoires racontées sur écran, mais toujours avec cet attrait pour la douceur, la nuance. Un exercice d’équilibre qui aurait pu tourner à l’anachronisme mais qui ici, sans avoir les images devant soi, garde une formidable puissance évocatrice. 

À travers un écran celui-ci bien actuel, nous avons échangé avec Domenique Dumont sur ce projet doux et un peu à part. 

Salut ! Merci beaucoup d’avoir accepté ces quelques questions. Comme est-ce que tu te sens, sortir un nouvel album dans cette année très troublée ?

Créer de la musique et pouvoir continuer à la diffuser malgré tout ce que le monde de la musique doit traverser maintenant donne un peu d’espoir et me fait penser que les choses ne vont pas si mal que ça. Bien sûr, nous sommes tous dans une situation difficile et nous ne savons pas ce qui nous attend, mais je ne peux pas dire que cette année a été la pire de ma vie. J’ai pu passer la plupart du temps cette année dans ma maison d’été, être proche de la nature et en même temps travailler à distance, faire de la musique pendant mon temps libre, lire des livres et me concentrer sur d’autres choses agréables que je ne pouvais pas faire avant le confinement. Je ne peux pas me plaindre, mais en même temps, c’est un grand dilemme et beaucoup de sentiments contradictoires. Savoir à quel point la situation est mauvaise pour d’autres personnes, voir des amis lutter me rend triste. Ce malheur est partout dans l’air et il me touche aussi, où que j’aille.

Est-ce que c’est la première fois que tu enregistres une bande-originale ? J’imagine que l’approche n’est pas la même avec un film muet.

J’ai déjà enregistré des musiques de films, mais c’était la première fois que je le faisais pour un film muet et que je devais aussi le jouer en direct lors d’un « ciné-concert ». C’est différent dans la mesure où la musique du film muet doit être présente du début à la fin : c’est la seule différence majeure avec les musiques de films ordinaires, car elles ne nécessitent généralement des thèmes musicaux que de façon épisodique. C’est aussi un peu difficile d’être seul sur scène en synchronisation avec le film tout en jouant et en séquençant différents sons simultanément. Une erreur et je ne suis plus dans l’histoire, alors j’ai beaucoup réfléchi à l’instrumentation et à ma mise en place. Je peux me sentir libre d’improviser en même temps que le mouvement des personnages du film, ce qui est un autre aspect important à prendre en compte quand on compose la musique d’un film muet. Ce n’est pas si nécessaire quand on fait la musique de films qui sont faits aujourd’hui.

Le film est sorti en 1929, soit une époque dorée pour l’Europe et l’Allemagne. Est-ce que tu connaissais le film avant la commande faite par le Festival du Film des Arcs ?

J’avais entendu parler de ce film, mais je ne l’avais jamais vu. Et oui, l’idée de la fin de cette période dorée pour l’Europe était l’un de mes leitmotivs lorsque j’ai fait la musique de People on Sunday. J’ai pensé que mon privilège de voir ce film presque cent ans plus tard, d’y connaître un peu l’histoire. C’est un autre aspect que je peux ajouter à la musique parce que nous regardons ces films historiques aujourd’hui avec un regard différent de ceux des gens d’autrefois.

La performance live était l’année dernière. Est-ce que tu as changé des choses pour le disque ?

La performance a eu lieu en décembre et peu après, j’ai joué la partition complète à la radio et l’ai publiée sur Internet. The Leaf Label a été assez rapide à le repérer et nous avons commencé à parler de la sortie. 

Depuis, je ne l’ai pas beaucoup modifié, même si la version enregistrée est, bien sûr, un peu différente du live. J’ai dû réduire un peu la durée pour qu’elle corresponde à 40 minutes pour l’album. Je me suis débarrassé de quelques thèmes qui se répétaient tout au long du film et j’ai travaillé sur des compositions légèrement différentes, mais dans l’ensemble, la musique n’a pas beaucoup changé. 

Tu as choisi de composer des thèmes pour des scènes, des moments, et non pour les personnes comme cela se faisait à l’époque.

C’est cool que tu aies remarqué ça ! Oui, c’est plus une bande-son pour l’ambiance générale, plutôt qu’une musique très détaillée pour chaque personnage. En jouant en direct, je peux improviser un peu pour accompagner les mouvements des personnages, mais c’est quelque chose que l’on n’entend pas dans l’enregistrement final et qui n’a de sens que lorsqu’il est joué avec le film. »

La bande-originale est pleine de douceur, de nostalgie, d’un sentiment d’été. Où as-tu puisé tes influences et tes idées ?

Vu la dramaturgie du film, je n’ai pas pensé que la musique devait être très expressive. People on Sunday est un film assez documentaire et facile à réaliser – en fait il est considéré comme l’un des premiers films de mumblecore (genre cinématographique caractérisé par une production à petit budget, un scénario tournant autour des relations, des dialogues improvisés et des acteurs amateurs, ndr). Il n’y avait aucune raison pour moi d’être très dramatique, bien au contraire en fait. Je voulais souligner son côté rêveur. L’expérience est onirique dans son aspect peu familier, comme si vous regardiez votre vie précédente sur un grand écran. Quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit, je me souviens d’avoir joué cette musique sur scène et avoir entendu un homme ronfler dans le public, et cela s’est produit pendant le thème « Falling Asleep Under Pine Trees ». Je dois être honnête, c’était flatteur d’une manière très étrange et j’ai senti que mon travail ici s’est terminé à ce moment-là. Il est ensuite venu me voir après le concert et m’a serré la main en me disant qu’il avait vraiment apprécié.

Domenique Dumont, People On Sunday
The Leaf Label

crédit photo : Marins Cirulis (Domenique Dumont) & Janus Film (“Les Hommes le dimanche”)