Ils avaient rêvés à un grand et beau rassemblement : la crise sanitaire en a décidé autrement, mais ils n’ont pour autant pas baissé les bras. Le Dream Nation Festival, rassemblement très costaud de musiques électroniques touchant à l’extrême, se déroulera finalement en version XXS ce samedi, aux Docks de Paris.

Une date, un format et beaucoup de symbole : le Dream Nation édition 2020 n’est pas, direction le format XXS. Avec tout de même une programmation qui va laisser des traces derrière les mollets : Minimum Syndicat, Paul Seul et la team Casual Gabberz, l’inusable Elisa Do Brasil, Airod ou encore Sentimental Rave. C’est avec elle que l’on a échangé quelques mots, il y a quelques semaines de ça. Un temps où le festival se maintenait, des années lumières dans ce monde sous Covid-19. 

Mais revenons à la musique, celle de Sentimental Rave surtout : un magma électrique et éclatant d’électronique musclée. Rapidement accolée à une scène hardcore ou gabber, elle revendique pourtant des influences plus larges. Un mélange des genres qui va de pair avec le brassage musical que l’on retrouve dans les clés USB des DJs qui pleuraient nos soirées et nos nuits.

On parle au passé, car tout ceci semble encore si lointain. Pour conjurer un peu le mauvais sort et pour surtout, soutenir un festival et les artistes programmé·e·s, voici notre discussion. 

Tu seras en DJ set au festival Dream Nation, à la rentrée, si la situation sanitaire le permet : retrouver une sorte de routine de dates et de DJ sets à l’automne, tu l’appréhendes comment ? (le festival a donc changé de forme depuis notre échange et se déroulera à présent à jauge réduite, ndr)

J’en ai un peu peur, l’énergie qu’on reçoit quand on joue elle est aussi due au regroupement, à la force qui s’en découle et à une espèce d’unité. En soi tout ce qui est réprimandé pour le moment. J’essaie de voir les choses au jour le jour surtout dans une situation comme la nôtre. Bien entendu j’ai hâte de continuer à faire ce que je fais, reprendre « cette routine » mais je ne suis pas assez égocentrique pour le faire passer en priorité.

Comment as-tu été accueillie, à tes débuts, par la scène (au sens large) ?

Je ne sais pas vraiment de quelle scène on parle. On m’associe souvent à une scène très techno, mais ma scène, celle par où je suis arrivée est plus large que cela. J’ai commencé à jouer pour des collectifs dont le travail et le discours me parlaient déjà, donc je savais qu’il n’y avait aucune inquiétude sur la liberté d’expression que j’aurais quand j’allais jouer. À Paris, j’ai souvent été accompagné par des ami.e.s au début, des portes qui se sont ouvertes mais que je connaissais déjà. Donc je pense que la réceptivité était plus facile. Puis à travers cette scène souvent ailleurs qu’en France, j’ai compris à quel point les genres musicaux étaient moins scindés que chez nous, donc je me suis souvent retrouvée sur des line-up qui mêlaient plusieurs genres musicaux (ambient, hardcore, techno, PC Music, rap, breakcore…), je m’y sentais à l’aise et pour moi c’est quelque chose de normal car j’ai toujours trainé dans des soirées comme ça.

Ton morceau « 4am » m’a totalement soufflé, moi qui n’ai malheureusement que peu de connaissances des musiques dites « hardcore » : il remplit littéralement tout l’espace. Quand tu composes, qu’est-ce qui rentre en ligne de compte ?

Je me souviens de pourquoi j’ai écrit 4am, mais je ne serai pas capable de dire ce qui a compté. Ce track est l’un des premiers que j’ai fait, il est très naïf, je n’avais quasiment aucune connaissance en musique à l’époque, ni trop de technique. Ce qui compte c’est la spontanéité, l’honnêteté, le moment, et dans quel état je me sens. Je ne dirai pas qu’il y a des règles, en ce moment j’essaie d’explorer ça pour comprendre ce que ça veut dire d’avoir de la liberté en musique. Essayer des machines, des synthés, puis repasser sur l’ordi, chaque morceau a son propre processus en fonction des humeurs.

Tu es active dans plusieurs collectifs et festivals engagés, notamment Comme Nous Brulons. Comment est-ce que tu vois la fête, dans les prochains mois ? Est-ce qu’une réflexion voire une remise en question des choses qui ne fonctionnaient pas ou plus te semble possible ?

Pour l’instant je ne regarde pas la fête dans les prochains mois. Avant de penser à mon statut de DJ j’essaie d’être honnête avec moi-même et d’aussi réaliser que je suis une personne humaine avant tout, dans un monde rempli d’autres humains. Tant que d’autres problèmes ne seront pas réglés, dans le milieu de la musique électronique en France il est difficile pour moi d’y voir un futur sain. Par ceci j’entends : travailler sur l’inclusivité et la parité sur les line-up en France, il y a encore trop peu de personnes noires et/ou trans dans nos clubs, mais aussi dans les bureaux, dans les agences, de même pour les femmes cis. Travailler sur le sexisme : j’ai déjà subi une agression en tant que DJ, j’ai déjà joué dans des soirées où des femmes s’y sont faites agresser, violer. 

Ce ne sont malheureusement pas des exceptions.

Il faut en effet remettre en question ce système, mais aussi veiller à ce que chacun prenne le temps de s’éduquer et de se responsabiliser sur ces sujets. Que ça soit en tant que programmateur·trice, artiste, bookeur·se ou clubbeur·se. C’est un devoir, on ne peut plus être ignorant·e·s sur ces sujets.

Il y a notamment le projet ACT RIGHT fondé par Cindie Le Dizez, qui travaille avec l’association Consentis. Ce projet a pour but de labéliser l’éthique des clubs sur des sujets tels que l’écologie, les discriminations en tout genre, les agressions, en formant les professionnels du milieu et le service de sécurité. C’est un projet important qui permet aux artistes de poser aussi leurs conditions, et de s’assurer qu’on joue dans un endroit qui a déjà fait un minimum de travail pour que tout se passe pour le mieux.

Comment pourrais-tu expliquer le retour en grâce du gabber, de la techno à fort BPM ou encore de la trance, qui ne sont plus seulement hors les murs mais dans les clubs ?

Je pense que cette musique a toujours existé dans les clubs. Le retour qu’elle a subi est peut-être celui d’une commercialisation plus forte, et d’une médiatisation qui a suivi. Les médias, la mode ont beaucoup romantisé le gabber, de par son style vestimentaire et une espèce de « sur-esthétisation » des « punks » de la drogue, de la rave. Puis en effet on a assisté à une normalisation du genre dans les clubs, les warehouses, où beaucoup de pionniers ont été oubliés et n’ont pas participé tout de suite à ce « retour ». Il y a aussi eu des bons côtés comme faire découvrir ce genre à des gens qui n’iraient pas l’écouter ailleurs, mettre en avant de jeunes artistes, qui ont participé aussi à créer quelque chose de nouveau. Mais aussi ces mauvais côtés dans l’apparition de soirées qui pour moi au vu de leur prix ne sont plus accessibles à tout le monde. Les gens ont beaucoup fantasmé sur un idéal qui n’a peut-être jamais existé ; avant de penser à créer le nôtre.

Retrouvez toute la programmation et les infos du Dream Nation XXS ici.