Flying Lotus (ou Flylo comme ses fans aiment à le nommer), de son vrai nom Steven Ellison, nous revient en cette rentrée 2014 avec You’re Dead! son cinquième album. Deux ans après le sublime Until The Quiet Comes, le boss de Brainfeeder continue son épopée teintée de hiphop, d’electronica mais aussi et surtout de jazz pour le plus grand plaisir de nos oreilles. 

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Si Until The Quiet Comes était un disque relativement calme et accessible, You’re Dead! est quand à lui un disque complexe, abrasif et très dense. Entouré de ses habituels guests, la chanteuse Niki Randa et le bassiste Thundercat, Flying Lotus repousse ici les limites de son art. L’album est un effort de groupe, avec les participations prestigieuses de Herbie Hancock, Kendrick Lamar ou Snoop Dogg. Ce disque est surtout largement soutenu par un solide jazz band comprenant le batteur Deatoni Parks, le guitariste métal Brendon Small ainsi que le saxophoniste Kamasi Washington. On retrouve également Brandon Coleman au clavier (aussi présent sur Until The Quiet Comes) et la chanteuse Angel Deradoorian.

Flylo a déployé ici les grands moyens pour mieux servir sa vision. Basé autour du concept de la mort, You’re Dead! offre un voyage aux confins de l’univers du producteur californien. Les morceaux s’enchaînent parfaitement, avec une cohérence et une richesse convoquant Miles Davis, John Coltrane ou encore Herbie Hancock, présent sur deux titres, « Tesla » et « Moment of Hesitation”

Grand fan de rock progressif, Flying Lotus fait ici part belle à ce genre musical. La structure de nombreux passages de cet opus en témoigne. Des compositions comme « Cold Dead », « Fkn Dead » ou « Turkey Dog Coma », pour ne citer qu’elles, en sont imprégnées et rappelleront aisément King Crimson ou Soft Machine.

Plus proche de Cosmogramma que d’Until The Quiet Comes, You’re Dead! est avant tout un disque de jazz. Mélangeant les atmosphères et les ambiances, Ellison peint ici une fresque à la fois sombre et rayonnante. La musique de Flying Lotus a en effet un côté très visuel. Ainsi les artworks de Shintaro Kago, manga-ka japonais réputé pour son art torturé et apocalyptique, habille à la perfection cet album.

Flying Lotus – You’re Dead! from Warp Records on Vimeo.

Marqué par la mort de sa mère et du jeune prodige du jazz Austin Peralta, le producteur californien a décidé de nous embarquer dans une réflexion sur la mort. Une excursion épique dans laquelle il tente de régler ses comptes avec ses démons, les exposant à la lumière. On retrouve d’ailleurs son alter ego, le mystérieux rappeur Captain Murphy sur plusieurs morceaux. Symbolisant sa part d’ombre avec laquelle il scande des textes étranges et noirs, sa voix vient ici se marier à celle, plus fragile et aigüe, d’un Steven Ellison dénué de masque et d’artifices, comme sur le poignant « The Boys Who Died In Their Sleep » qu’il dédie à Austin Peralta.

Division schizophrénique de l’ego en habile jeu de contraste, la collaboration entre Captain Murphy et Flying Lotus marque le choc des univers créés par Ellison. Le résultat est d’une intensité sans pareille. Fourmillant de détails en tout genre, You’re Dead!, s’il est dense et parfois brutal, n’en reste pas moins un album d’une grande finesse. Chaque écoute révèle de nouveaux aspects et de nouveaux éléments au sein de sa narration.

La structure narrative très forte de ce disque est probablement une des choses les plus marquantes. Flying Lotus semble nous conter une histoire, tortueuse et intime, celle, peut être, de ses propres deuils et de sa façon de faire face à la mort, de manière générale.

A titre d’exemple, le morceau « Never Catch Me » en duo avec Kendrick Lamar semble venir nourrir cette réflexion. En effet, dans le court-métrage accompagnant ce morceau, on peut voir deux adolescents s’échapper de leur cercueil lors de leur enterrement pour s’enfuir dans une danse festive. Cette métaphore du deuil qui amène les personnages à habiller le monde de leur présence participe au thème de l’album.

Si tout cela paraît bien sombre, l’album possède tout de même ses instants lumineux. Il finit ainsi sur ces mots, « we will live on forever », chantés par Laura Darlington, autre grande collaboratrice d’Ellison, sur le morceau « The Protest ». Le voyage semble donc se clore sur cette note, porteuse d’espoir, révélant finalement l’échec de la mort face à la vie  où nos influences et nos souvenirs se perpétuent au fil du temps.

Avec ce cinquième album, Flying Lotus a su à nouveau surprendre et démontrer sa volonté d’évoluer hors de toute zone de confort pour repousser ses propres limites. Il nous prouve encore une fois, si besoin en était, qu’il n’est pas à la tête d’un des plus influents labels au monde pour rien.

Flying Lotus – You’re Dead! (Warp)