Le dernier né Knekelhuis est une petite compilation : appelé Transition vol.1, le disque contient quatre rééditions : quatre morceaux distincts par leur style mais dont la juxtaposition marche merveilleusement bien – techno, trip-hop, new wave, et même quelques accents trance bienvenus. 

Comment évoquer une ère en musique ? Les quatre morceaux de cette petite compilation ont entre autres en commun le fait d’avoir été produits entre 92 et 94, « époque marquée par de rapides avancées technologiques et de changements politiques majeurs ». Rééditer, ici, c’est mettre en regard deux ères, celles de la fin de la Guerre Froide et la nôtre. C’est confronter l’optimisme associé à la chute de l’Union soviétique à la peur ambiante de l’effondrement : deux “airs du temps” bien sûr largement fantasmés, et qui pourtant donnent à cet EP un parfum de nostalgie. La chute du mur, l’émergence de la culture rave, le techno-optimisme, tout ceci reste en partie le fruit du regard de 2020 porté sur les années 90, mais c’est justement ce regard, ce va-et-vient entre deux ères, qui rendent ces rééditions si intéressantes, où transperce un certain espoir teinté de mélancolie, aujourd’hui révolu. Ce disque s’écoute avec la conscience de notre passé européen et du fantasme associé à ce passé. On n’en apprécie alors que davantage les accents de trance, de cold wave, et le germe de tout ce qu’il y a à venir – regard téléologique à souhait, certes, mais sans doute n’y a-t-il pas à s’en émouvoir.

La face A s’ouvre avec “Infnities of Life”, du Canadien ADSR (Todd Nickolas), morceau originellement sorti en 1994 au Canada. Difficile à caractériser parce qu’entre plusieurs influences, il déploie une techno rapide et assez sombre, à l’ambiance singulière. On enchaîne avec la new wave industrielle de Cacophony ’33’ (projet de l’Anglais Kevin Kettle). Antérieur à “Infinities of Life”, “Old Codger III” porte quelque chose d’assez étrange, mélangeant harmonieusement les esthétiques : d’abord chanson traditionnelle de cold wave, au format classique couplet-refrain et aux paroles en parlé-chanté, le morceau a un aspect techno dans ses percussions et ses synthés. Le ton s’adoucit avec “Hinterland, Kassler Kessler” de Drome, au tempo beaucoup plus lent. On tire alors vers le trip-hop, qui s’ouvre avec une mer orageuse et une parole – “Have you left the stove on while cooking ?”. Et puis on remonte sur la dernière plage du disque, “Say Goodbye To The Dark Place” de Zen Paradox.

Au-delà des morceaux pris isolément, la construction de l’EP est impeccablement pensée : malgré les différences stylistiques, le tout est très harmonieux, les tempi rapides côtoient les tempi lents dans une ambiance bon enfant. Les sons futuristes se répondent, la new wave expérimentale dévoilent sa parenté avec les balbutiements trance. La mise en relation de chaque atmosphère marche à merveille. Surtout, les morceaux partagent ce singulier esprit de transition, justement, entre post punk et techno, qui en fait de très beaux objets hybrides. Bref, une nouvelle pépite à l’actif de Knekelhuis, dont on peut saluer le flair.

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Knekelhuis, Transition Vol.1