Attendu de longue date, ce nouvel album de Leon Vynehall, Rare, Forever, ne sauvera pas votre printemps. Il fait mieux : il remplira les rares interstices mentaux laissés libres pour mieux les coloniser et ne plus vous lâcher.

Un serpent qui se mord la queue dans un signe de l’infini cryptico-maléfique surplombé d’un “R” : on a connu plus direct comme imagerie, surtout lorsqu’il s’agit de Rare, Forever, disque attendu par beaucoup et teasé de longue date. Le dernier long format solo du DJ et producteur londonien remonte à 2018 et à Nothing Is Still, grand album de tourments balayé par les vents d’un virage à 180 degrés, direction l’expérimentation. Beaucoup moins aride, le disque qui sort aujourd’hui prend tout de même un malin plaisir à nous essayer de nous dérouter, le tout au sein de la galaxie Vynehall. Une house qui aurait pu s’appeler lo-fi mais qui tire plus sur la branche leftfield, voire mentale du 4×4.

On y reconnait des choses, des sons, des approches ; un grain omniprésent, une sensation de frottement d’abord. On ne sait si le londonien a l’habitude de travailler sur des machines analogiques ou sur ordinateur mais il sait le rendre sur disque. Sans être brut ni bâclé, on garde une sensation de spontanéité, de vie à travers ce procédé, cette patte sonore. Tout parait fait sur le vif, capé à l’aide d’un micro standard et poussé dans le rouge. Une (fausse) rugosité qui s’entend partout, de “Ecce! Ego!” à “Snakeskin ∞ Has-Been”.

On reconnait aussi les thèmes, les fixations de Vynehall. Avoir sur une même piste une chevauchée house enlevé et d’épaisses plages ambient semble être sa direction, surtout depuis son précédent disque. Là où à ses débuts, il composait des titres club plus ouvert et aérien, il convoque par exemple sur “Mothra” des éléments plus sombres de son répertoire : riffs inquiétants, nappes synthétiques qui ne dénoterait pas dans la bande-son d’un thriller psychologique. Chaque piste plus énergique est encadrée par des plages oscillant entre ambient et electronica, comme pour expliciter la chose. Et ce sont ces pistes, de par leurs pouvoirs évocateurs et visuels, qui nous font plonger tête baissée dans l’univers de Vynehall.

Dissonants parfois (“Farewell! Magnus Gabro”), ses “mélodies”, si l’on peut les nommer ainsi, habillent le disque d’une couleur particulière et invitent à une rêverie mentale. Flamboyant sur “An Exhale” et “Dumbo”, en intensité rentrée sur “Worm (Closer & Closer)”, Vynehall esquisse un disque multiple aux couches superposées. Un disque aux multiples lectures, qui de par son format, s’insère partout ; ni dancefloor ni ambient, pas vraiment printanier mais loin d’être renfrogné, Rare, Forever s’épanouit dans des espaces non-définis. Des zones d’ombres, pas inconnues mais difficile à cartographier – est-ce un album pour le club, et si oui lequel ? – et qui ressemblent à s’y méprendre à nos quotidiens. Des zones floues, grises, difficiles à identifier. C’est tout naturellement qu’il vient coloniser ces espaces et y restera peut-être quelques temps.

Leon Vynehall, Rare, Forever
Ninja Tune