Quand l’image ne suffit plus, Nico Motte alterne et jongle entre les rôles. Directeur artistique d’Antinote depuis les débuts, l’homme derrière les pochettes du label se révèle aussi fin producteur en studio. Passionné de synthés et de claviers analogiques en tout genre, il confectionne un son dans la pure tradition 70’s, s’inspirant de la musique de bandes-originales et de thèmes d’illustrations sonores.

Un univers onirique et énigmatique, retranscrit déjà sur son premier album Life Goes On If You are Lucky, sorti en 2016 ou sur 18 Rays, son projet avec Raphaël Top-Secret et Zaltan entre ambiance surf-rock et musique de plage de sable fin. Pour ce dernier album, The Missing Person, il nous transporte vers un paysage insulaire où l’exotica, le balearic et le dub s’entremêlent dans son univers synthétique – un opus bien à l’image du label.

On connaît ta facette de graphiste designer via Check Morris. Il y a aussi celle de musicien et producteur sur Antinote : peux-tu me parler de cette double casquette ? Le graphisme est-il venu avant la musique ou inversement ?

J’ai toujours eu un rapport intime avec la musique dès mon plus jeune âge. Mon grand-père avait une batterie dans son salon ! Il mettait un disque de jazz, le plus souvent c’était des lives donc on pouvait entendre le public en début et en fin de morceau… et jouait de la batterie dessus. Du coup on avait l’impression qu’il ne jouait jamais seul, qu’il avait une audience. Ça me fascinait. Mes parents écoutaient beaucoup de musique classique. J’ai fait le conservatoire et je me souviens que ce que j’ai préféré c’était d’écouter un disque et d’essayer de distinguer les instruments. Ado, la batterie est devenu mon instrument et j’ai joué dans plusieurs groupes. Je changeais de groupe presque tous les ans tellement je m’ennuyais. J’ai dû en avoir 6 ou 7, je jouais un peu de tout. Surtout des reprises. Et puis il a fallu, après le bac, avoir un diplôme de quelque chose selon mes parents. J’ai voulu rentrer à l’American School of Paris en section percussion. Comme j’avais pris la mauvaise habitude de ne pas jouer les bras croisés, ils m’ont viré.

J’avais un peu mis tous mes espoirs sur cette école, j’ai donc dû trouver autre chose pour satisfaire mon père. En parallèle à la musique, je dessinais aussi beaucoup gamin, et tout naturellement, je me suis présenté à une école d’art. La typographie m’avait choisie je crois ! Je suis devenu graphiste par la force des choses et très vite j’ai été happé par ce métier. L’avantage de ce métier de graphiste, c’est de pouvoir écouter de la musique toute la journée. J’ai donc commencé à collectionner des disques.

Un jour, je visitais un ami distributeur de film pour qui on travaillait avec mon associé Mathias Pol et j’ai eu un coup de foudre pour sa collection de synthés. J’étais convaincu que j’étais capable de composer. Je me suis constitué, à la bonne époque, mon studio en achetant méticuleusement des synthés et boîtes à rythmes analogiques vintages et je m’y suis mis dans mon coin. C’est Zaltan (Quentin), avec qui je bosse sur Antinote, qui me demandait souvent que je lui fasse écouter. Un jour, quand je me suis senti prêt, je lui ai fait écouter Rheologia, mon premier EP et j’étais super surpris de sa réaction. Il était super enthousiaste. 

Comment as-tu l’habitude de travailler sur la création d’un album ? J’imagine que tu as comme un tableau d’inspirations & de références en tête, un peu comme sur la création d’une illustration.

J’ai du mal à m’imposer des choses quand je travaille la musique. Je commence par travailler morceau après morceau. Ça peut paraître très banal ce que je raconte mais en général, l’inspiration vient souvent après un voyage, un film, une expo, un livre. Puis les morceaux s’accumulent et j’essaye de les rendre cohérent entre eux. Le plus dur c’est de faire sa propre pochette je crois. Ça me prend un temps infini à chaque fois. Je pense que ça a aussi décalé la sortie du disque car j’ai du mettre six mois à trouver le bon curseur.

Tu viens de sortir ton 3ème album sur le label de Zaltan. Comment as-tu pensé cet album ?

Ça a été compliqué avec le covid. Mon disque était prêt depuis 2020 et le Covid a ralenti le rythme des sorties du label. Et puis, je n’ai pas un temps infini car mon boulot de graphiste prend presque tout mon temps. Mais quand je fais de la musique, je le fais totalement librement. Sans aucune attente, je n’ai pas de stratégie créative. C’est surtout thérapeutique, je me laisse emporter par le truc. The Missing Person, c’est ce que j’ai écouté, vu, lu, probablement mangé ces quatre dernières années.

L’album s’appelle The Missing Person, c’est aussi le nom du premier track : tu nous en parles un peu plus ?

Je regardais un documentaire sur la culture du cannabis aux États Unis et j’étais très surpris de voir à quel point il y avait énormément de personnes qui disparaissaient dans ce milieu. Cette thématique autour de la disparition m’a profondément marqué, je me suis dit que c’était un bon point de départ pour un nouveau projet. D’autant que je cherchais à rendre hommage à deux personnes disparues récemment dans mon entourage proche. La voix que l’on entend au début du morceau est celle de ma compagne Octavia. Elle est magnifique, et a la particularité de parler couramment anglais. C’est exactement ce que je recherchais : une voix qui ne trahirait pas ses origines.

On retrouve selon les morceaux différents univers, de la synth-pop, du new wave et du dub en passant par l’ambient. Comment définirais-tu ton esthétique en tant que producteur ?

C’est difficile à dire, je dirais que je recherche de l’émotion dans mon travail musical. Je sais aussi que je suis ultra “control freak”. Je peux travailler des jours voire des semaines sur un morceau pour qu’il sonne comme je le souhaite. J’aimerais à l’avenir être un peu plus spontané. Cela peut arriver que je boucle un morceau très rapidement comme c’est le cas pour mon morceau figurant sur la compile des 10 ans d’Antinote “All The Money In The World”, mais c’est assez rare. J’ai envie d’essayer tous les styles de musique, la répétition m’ennuie profondément. On évolue. Chaque disque doit bénéficier de cette évolution.

Ton rapport à l’image et à la musique est étroitement lié, et cela se ressent dans ton univers musical. Des projets dans le design sonore à venir ?

Pas immédiatement, même si j’ai déjà fait de la musique de court et de long métrage, j’aimerais en refaire. C’est une voie moins artistique selon moi puisqu’on est quand même au service d’un film donc moins libre. Là tout-de-suite, j’ai envie de rallumer mes machines et de faire un nouveau disque.

Nico Motte, The Missing Person
Antinote