Direction le Soudan avec le label Habibi Funk qui nous dévoile un peu plus les archives de la scène musicale, à travers la mise en lumière de l’artiste Sharhabil Ahmed et son album The King of Sudanese Jazz. Tel un carnet de voyage, la réédition des morceaux de Sharhabil Ahmed, emblème jazz des 60’s, vient compléter les dernières références soudanaises de Kamal Keila et de The Scorpions & Saif Abu Bakr, sorties en 2018 sur le label. Loin de l’idée de l’esthétique jazz classique, on navigue finalement plus vers du rock sixties, surf et funk qu’autre chose, finement électrisé par l’instrument phare du groupe : la guitare.

Si l’on se réfère à la musique soudanaise contemporaine dans les années 50, elle renvoie à une esthétique de musique traditionnelle (empruntant à la fois aux influences arabes et traditions subsahariennes), marquée par un courant musical, la Haqiba, « une musique vocale traditionnelle avec peu d’accompagnement au-delà d’un tambourin. »

Il faudra attendre les années 60 pour voir émerger une nouvelle vague bercée par le jazz et le rock et marquée par l’approche inédite d’un musicien, Ahmed.

« Lorsque notre génération est arrivée dans les années 1960, nous sommes arrivés avec un nouveau style. C’était une époque de révolution mondiale de la musique. En Europe, les rythmes du swing et du tango ont été remplacés par le jazz, la samba, le rock ’n’ roll. Nous avons également été influencés par ce rajeunissement au Soudan. (…) Mais mon ambition était de développer quelque chose de nouveau. »

Le Sharhabil Band, circa 60

Sharhabil Ahmed et sa guitare, Le Caire – circa 50

Alors qu’il étudie la musique dans les années 50 à Kharthoum dans le Nord du Soudan, Sharhabil Ahmed va de manière assez hasardeuse, faire l’acquisition de sa première guitare dans une brocante, acheté à un marchand étranger. Presque inaccessible à cette époque au Soudan, il est donc rare d’en posséder une et d’en connaître l’usage.

Au cours de son apprentissage, il va au fur et à mesure passer à la guitare électrique, s’entourant de musiciens pour produire sa propre musique.

« Pour cela, la guitare semblait être le meilleur instrument. Les instruments occidentaux peuvent très bien se rapprocher des standards de la musique soudanaise. Après tout, beaucoup de musique occidentale est originaire d’Afrique. J’ai absorbé différentes influences, des rythmes soudanais traditionnels au calypso et au jazz, et je les maintiens dans ma musique sans difficulté. »

Au chant et à la guitare, Sharhabil va ainsi se produire à la radio, enregistrer ses morceaux mais sans jamais les éditer sur un support. Au sein de son groupe : son épouse, au chant et la guitare, qui deviendra par la même occasion l’une des premières femmes guitaristes soudanaises.

Sharhabil, son épouse et sa fille

Musicalement, le terme de jazz reste assez éloigné de l’approche que l’on peut s’en faire. Loin de l’ethio-jazz de Mulatu Astatke en Éthiopie, qui utilise particulièrement les percussions et les instruments à vent, le jazz soudanais de Sharhabil Ahmed se rapproche davantage d’une combinaison rock, surf et funk et apporte un caractère dansant à sa musique.

« Quand on se réfère à son apparence, le jazz soudanais des années 60 ne ressemble pas à l’idée du jazz que l’on se fait en Occident, il empreinte aussi bien dans le rock, surf, funk, la musique Congolaise et les harmonies que l’on retrouve dans l’Afrique de l’est. »

Suite à cette rencontre avec l’artiste, Jannis Stürtz d’Habibi Funk, immortalise son voyage au Soudan en 2017 par la sortie inédite de cet album. Soulignant tout d’abord avec attention la collaboration entière avec l’artiste quant aux choix d’une réédition sur un label occidental, et introduisant avec curiosité une nouvelle approche méconnue de la musique soudanaise.

Propos recueillis par Jannis Stürtz (Habibi Funk, 2020) et Larissa Fuhrmann (2016).

Sharhabil Ahmed, The King of Sudanese Jazz
Sortie le 10 juillet, via Bigwax