En juillet 2023, l’article du Monde Diplomatique intitulé « Le Biniou et la techno » signalait aux oreilles du grand public l’irruption des musiques traditionnelles dans la musique électronique. Portées par l’épinette des Vosges, la cornemuse ou bien le biniou, les musiques électroniques font aujourd’hui la part belle aux sonorités d’antan, recréant sur scène une ambiance de bal musette. Parmi elles, la tendance est à la musique country.

Loin de son image folklorique et traditionnelle, la country est aujourd’hui largement représentée sur les canaux habituels de la musique électronique. On pense par exemple à Laura Brunisholz, résidente de Lyl Radio depuis 2022 et animatrice de l’émission « No Guns in God’s House », qui présente ses morceaux sous forme de selecta pure, sans remix, privilégiant la simplicité du duo banjo-voix. On pense également aux deux derniers albums de Jonquera, membre du duo Pilotwings. Sorti en 2022, OGMA est un mélange de western spaghetti intérieur et mélancolique – comme dans le titre “Imp Doors” – et de péripéties évoquant désert, cavalcades et coups de feu, comme dans “Toad Lickers” et “Dawn Briders”. L’album La Croix des Cros emprunte les codes de l’ambient et des musiques expérimentales mais en insérant les timbres du bluegrass, du bolt-on neck, et de la guitare lap-steel. Le résultat est une musique texturée et d’une grande sensibilité, oscillant entre rock psychédélique et country contemporaine. 

Côté scène, on trouvera le bien-nommé DJ Robbie Country, ou encore le trio lyonnais J-ZBEL dont l’EP Techno Banjo sortira bientôt. Déjà diffusé en avant-première, le titre éponyme est une cavalcade hardcore et hallucinée, saturée de chevaux nerveux, de banjos débridés et de l’épique « yihaaaa » des cow-boys déchaînés. Côté live, il faut aller voir le duo noise Cantenac Dagar, alternant banjo, harmonica et batterie beatboxée dans des sonorités amplifiées et répétitives surjouant l’allusion aux musiques celtiques. 

La country, des grandes plaines aux années 90

Pur produit de la mondialisation, la country puise dans un héritage celtique créolisé dans le Sud-Est des États-Unis à la faveur de l’immigration Anglaise, Irlandaise et Écossaise au XVIIIème siècle. Synthèse du yodel autrichien, de la mandoline italienne, de la lap-steel hawaïenne et du banjo africain, il s’agit d’un hymne populaire, enraciné dans la découverte du Far West et la nostalgie des grandes plaines, puis popularisé pendant la Grande Dépression. Portée par la scène néofolk dans les années 1980, avec des groupes comme Swans ou encore Death in June, la country a rencontré l’esthétique coldwave et rapidement intégré l’usage des séquenceurs et synthétiseurs.

En 1994, le titre “Swamp Thing” de The Grid consacre le virage électronique high energy de la musique country. Devenu un classique du genre, “Swamp Grid” s’accompagne d’une esthétique western futuriste, avec son lot de robots détraqués dansant au rythme saccadé de banjos bluegrass et d’accords de synthétiseurs. Si la country a toujours été associée à la communauté puritaine et suprémaciste de la Rust Belt Américaine, comme en atteste le succès du très populiste hymne “Rich Men North of Richmond, elle se fait aujourd’hui une place au sein d’un public plus jeune, alternatif et connaisseur. Métissée via l’usage de machines, elle est désormais présente sous une forme expérimentale intégrant des samples de bruits de fouet, de “yihaaa” ou de chevaux aux galops – comme dans les lives du groupe Pilotwings. 

Pour Jonquera, exploiter ainsi les multiples possibilités des machines actuelles permet de s’approprier la country sous une forme plus personnelle, légèrement décalée et faisant appel à un imaginaire commun sur le ton de l’humour et de la dérision. Pour lui, il n’y a donc pas de “retour” de la country : les liens entre country et musique électronique ont toujours existé, ils ont seulement été invisibilisés par les cycles habituels des modes musicales.

capture d’écran du clip de “Swamp Thing”, de The Grid

De Madonna à GTA : la country entre cartoons, jeux vidéos et box-office

La country s’est diffusée dans la culture pop en empruntant les codes visuels de l’esthétique western. Dès l’année 2000, Madonna s’affiche en cow-boy solitaire dans de clip de “Don’t Tell Me, suivie par les guitares folk de Billie Eilish et le titre “Cowboy Like Me” de Taylor Swift, ou encore par Beyoncé déguisée en cowboy argenté pour la promotion de son Renaissance World Tour à Marseille. Plus récemment, la country s’est également invitée dans le titre western futuriste “Lâcher de Chevaux” de La Femme. 

Profondément liée à l’univers des jeux vidéos, le genre s’est aussi diffusée auprès du grand public en surfant sur une esthétique cartoonesque. C’est par exemple le cas du “Juice Newton” de Queen of Arts, emblématique de GTA San Andreas, devenu un classique du genre et joué en ouverture du set de Delroy Edwards sur NTS consacré… à la country dans GTA. C’est également le cas des parodies hallucinées du producteur brésilien Joao Lagrima de Ouro, dans un univers trash mélangeant cowboys et aliens dans un Far West fantasmé. Alternant entre solos de banjo et ligne de basse rythmée à 140 bpm, celui-ci recrée l’univers musical et sonore des jeux vidéos XXL, comme dans “Tu Gosta

CANA BRAVA, RODEIO et VAQUEJADA TURBO MIX de João Lagrima De Ouro

La country n’a donc rien d’une musique de niche : c’est précisément parce qu’elle fait partie intégrante de la culture populaire que, d’après Eiger Drums Propaganda, autre moitié des Pilotwings, il ne s’agit pas d’une musique néo-trad à proprement parler. « La musique néo-trad est associée à nos origines, avec un ancrage profondément local. Elle repose sur des paroles en patois, des musiques traditionnelles et des instruments locaux comme la vielle à roue. La country, à l’inverse, est un élément central de notre culture commune, on se l’approprie à titre d’objet culturel profondément mondialisé. » 

Profondément mondialisée ou au contraire résolument locale, la country continue de faire danser. Jonquera l’assure : il s’agit d’un genre fédérateur, associé aux fêtes populaires et, joué au coeur d’un set, il électrise le public à tous les coups.