Album du mois de décembre pour Tsugi et DJ Mag, le Paradis artificiels de Tour-Maubourg, sorti sur le fidèle Pont-Neuf Records, lorgne davantage vers St Germain que la house énergique option disco dont il nous avait habitués. Une évolution naturelle pour Pierre, depuis qu’il a pris en main son studio dans la banlieue proche de Paris, à Aubervilliers. C’est là qu’on est allé le retrouver pour discuter machines, reverbs et inspiration.

« J’ai été au chômage le jour du confinement ! Je me suis dit « enfin la liberté ! », et puis non. Le jour même. » Tout est parfois question de timing et pour Pierre, on se dit que son année 2020 avait peut-être mal débutée. Alors, quand il nous répond le c’était tout le contraire, nous voilà surpris. 

Puis vient l’image du musicien de studio, de producteur stakhanoviste et de forçat du beat qui a profité de cet arrêt des activités pour pondre des dizaines de titres. On n’y est pas encore ; la vérité est probablement plus nuancée et entre les deux, à l’image de sa musique, toute en souplesse, en délicatesse, dans une élégante simplicité. 

Dans un sous-sol accueillant au milieu de tours grises de béton, par une météo triste d’un mois de janvier qui l’est encore plus, Pierre nous a accueillis dans son studio, partagé entre-autres par la team Villette45. Un café instantané, un chauffage d’appoint et des racks de synthés, boites à rythmes et tables de mixages, le décor est planté.

Comment ça va ? Comment a été ton année 2020 ?

Le premier confinement était bien, c’était une bonne période. Je venais ici tous les jours, j’ai adoré que tout s’arrête. J’ai toujours l’impression d’être à la ramasse de tout, tout le temps et là, enfin, plus rien. Tout le monde était coincé de la même façon. Le second était un peu plus déprimant. 

Tu as pu faire des dates cet été ?

J’ai eu quelques dates oui. Les gens étaient très contents, une belle ambiance. J’ai fait quelques streams au début, mais tu t’ennuies vite. J’ai fait mon live aussi, c’était trop cool mais tu es tout seul, tu ne sens pas la chose de la même façon. C’est très différent et très compliqué de savoir si tu fais quelque chose de bien ou non, il n’y a aucune réaction. 

Tu avais un live de prévu que tu n’as pu faire qu’en streaming ? 

On voulait faire une release party pour la sortie de l’album, en format DJ set. On a été reconfiné et je me suis dit que je pouvais préparer un live à la place – ce qui était beaucoup plus stressant que je l’imaginais. Une semaine avant, j’avais encore trop de choses à faire ! L’idée est de pouvoir le proposer pour plus tard, pour des festivals si possible en ayant un schéma album-tournée-album-tournée, une dynamique. On attend la fin. 

Tu as pu mettre tout ce temps à profit musicalement ?

Cela m’a donné beaucoup de temps pour finir l’album, de pouvoir revenir dessus. Il était fini depuis un petit moment et il m’avait presque lassé, on l’avait tellement entendu. On a retravaillé les morceaux et la sélection finale pour passer de 15 à 9, on a tout réécouté des centaines de fois. Cela m’a permis de revenir sur chaque morceau, de modifier quelques éléments et de « re-aimer » l’album. J’étais très content à la sortie, ça a apporté un plus. Ça en valait la peine. On a fait plein de compiles avec Pont-Neuf (trois, les Baie de Room, ndr). J’ai sorti un EP aussi sur Salin. Une année bien chargée ! 

Je vois ça, et la suite ?

J’ai préparé toute l’année prochaine déjà. Un EP dans une veine un peu dub-disco, un autre EP encore, des tracks à venir sur des compilations… J’ai fini mon année et là je commence à travailler sur la suivante, un autre album. J’essaye de ne pas trop me mettre de date pour ne pas me stresser, parce que le premier n’a pas été fait comme ça. Les tracks sont venues au fur et à mesure, en amassant des morceaux petit à petit, sans me forcer. J’ai envie d’être sur cette dynamique mais j’ai aussi des petites choses en tête vers lesquelles je veux aller. 

Lesquelles ?

Du field recording par exemple. J’ai envie d’aller chercher un peu plus loin, vers des choses plus ambient tout en gardant le jazz-électronique. Essayer de personnaliser la chose avec des sons qui viendraient de ma vie par exemple, des choses comme ça. Je me suis acheté un petit micro et je passe mes journées à écouter mon environnement (rires) 

C’est un exercice d’avoir une direction particulière et de s’y tenir, en comparaison avec Paradis artificiels ?

Je l’ai composé il y a quelque temps, quand il y avait Bezhad et Clouclou en studio. En arrivant ici, j’ai découvert et appris pas mal de choses sur le studio, les synthés… Cela m’a élargi toutes les possibilités avec des instruments que je ne connaissais pas encore. Je me disais : « je vais prendre la 909 et la faire passer par ici pour la faire sonner de telle façon ». C’est de cette façon, en partant de ça que j’aboutissais à des morceaux que j’ai gardés pour l’album parce qu’ils sortaient de mes habitudes. J’avais envie d’avoir quelque chose qui sonne un peu bizarre, qui me semblait nouveau. Je n’ai rien inventé bien sûr, cette musique existe probablement déjà mais dans ma tête, cela sonnait nouveau. Une musique que je n’avais pas l’impression d’avoir trop entendu ou qui semblait correspondre à ce qui est ma musique, de mon point de vue. C’est comme ça que les tracks sont venues. D’expérimentations en expériences, pas du tout en me disant que j’allais sonner comme untel ou untel. 

En prenant en main les machines et en jouant, donc.

Exactement. C’était un album de découvertes pour moi, de découvertes de ce monde. Le fait d’utiliser des machines ne change rien en soi, tu peux faire la même chose sur Ableton ou autre. 

Est-ce que ce n’est pas plus facile ou intuitif d’avoir un matériel physique ?

Pour moi oui, c’est beaucoup plus naturel que d’avoir des fenêtres, de pouvoir changer ou trifouiller des choses sans avoir besoin de cliquer. C’est un peu mystique, j’ai l’impression qu’il y a une connexion électrique entre toutes les machines. Il y a une unité plus forte quand tu travailles dessus, un son plus cohérent qu’en mélangeant des plugins d’Ableton. Avec ce genre de matériel, j’arrive à avoir le son que je veux directement, sans passer trop de temps à le traiter.

J’ai l’impression de faire plus de la musique que du travail d’ordinateur. Oublier qu’il y a un ordinateur et se perdre, tout seul, sur ses machines. 

J’aime bien me dire « je vais partir quelque part, peut-être que ça n’aboutira à rien mais c’est pas grave ». L’idée est de prendre le temps, de laisser au morceau de se mettre en branle, que le groove vienne presque. Si je fais ça (il lance un beat) et que je le laisse tourner une dizaine de minutes en arrangeant quelques détails, je vais me mettre dedans. Une fois que j’y suis, je sais pas, peut-être que… (il lance un synthé). Voilà, c’est le début. On peut s’y perdre ensuite, y faire n’importe quoi. 

Parfois tu écoutes de la musique et tu as l’impression d’entendre autre chose, non ? C’est ton esprit qui crée cette sensation et j’aime bien cette image-là, que cela soit un peu mystique. De l’écriture automatique presque.

Tu pars d’un rythme ou d’une mélodie en général ? Ou bien cela dépend du moment ?

Ça dépend d’où je commence à faire de la musique – je n’ai pas de machine chez moi et j’aime bien partir d’autre chose. Un sample par exemple. Partir d’un craquement d’un vinyle, d’un bruit ambient qui met un mood, une ambiance particulière et laisser les choses venir. Cela peut être ça ou alors un loop de piano, un sample de break ou de drums… 

J’ai remarqué ça sur ton album, ce côté plus organique, plus naturel. Des imperfections, une saturation, il y a un côté plus humain.

Cela vient de la manière dont j’ai travaillé en studio. Plutôt qu’enregistrer des petites boucles sur un ordinateur, les jouer en vrai (il reprend le synthé et le modifie) et je vais me tromper ou faire des petites erreurs et je vais les garder, par petites touches. Il faut que ça reste élégant et que cela très simple, bien fait. Des choses très simples comme une belle reverb, un volume qui monte au bon moment… Des choses très simples mais bien utilisées plutôt qu’en faire trop. 

Cela fonctionne chez d’autres aussi.

Oui carrément, mais je n’arriverai pas à refaire la même chose techniquement, avec le son que je veux. Chez les autres, je me dis que c’est parfois un peu too much mais en même temps c’est bien fait. 

Quand je fais des EP pour des labels, on me demande souvent un A1, un banger. Je déteste ça ! (rires) Si je pars en me disant que je vais faire un tube, ça ne marchera pas. J’aime bien ne faire que des morceaux d’intro de set. Des choses évasives, pas trop rentre-dedans. 

Tu les travailles pour le club tes tracks ?

Non. Enfin je sais pas, pas vraiment. Je ne me le disais pas forcément mais inconsciemment, je le faisais plus quand je jouais en club. J’entendais plus de musique de club, entendre la musique y sonner. Je me rends compte que j’ai de moins en moins envie de 4×4 maintenant, je commence à m’éloigner de la house. Pas forcément ce qu’est en soi la house – est-ce que c’est du 4×4 ou est-ce que c’est plein de choses autour, et moi je pense que c’est plutôt plein de choses autour. J’ai plus trop envie du club, c’est peut-être une lassitude de faire du boom boom. 

Est-ce que c’est la suite de toutes tes années de production, ou la période actuelle qui fait que ?

Je pense que c’est un peu des deux additionnées. Je me dis : « si je fais un disque pour le club, où est-ce que les gens vont l’écouter ? » Après, c’est quoi de la musique club ? Est-ce que c’est, par exemple : une intro longue avec que des beats puis le coeur du sujet ? Ou bien un banger de trois, quatre minutes ? Pour moi, ce n’est pas de la musique club dans le sens d’un son de club, ou d’un club mix de 9 minutes. C’est plutôt une musique pop qui a un touché club, qui reste pop. Comme Daft Punk, qui reste plus pop que club. C’est fort de réussir à mêler les deux univers. 

Si je fais une musique club, j’irai chercher vers un track de 9 minutes, une odyssée. Je n’ai pas toujours fait comme ça, mais maintenant j’irai vers des influences plus dub, plus minimaliste. 

De plus en plus de gens font des morceaux clubs très courts ; le format, la track club s’est calquée sur un format pop – intro, break, ça pête, un climax, re-break, peut-être un petit bridge, ça pête à nouveau et c’est fini, outro. Alors qu’il y a beaucoup plus possibilités ! Mais on a tous envie de faire ce genre de morceaux quand même, parce que c’est ce que l’on entend tout le temps, cela vient inconsciemment. 

Tu as essayé des nouveaux formats sur l’album ?

Le fait d’avoir raccourci beaucoup de morceaux m’a aidé à couper, et sans que cela soit la volonté à la base, cela m’a permit d’avoir des fins plus évasives. J’ai fait des morceaux plus court et même si cela ne me plaisait pas trop au début, on a gardé le meilleur moment du track en fait. 

La pochette du disque a été faite là, dans le studio ?

Juste là oui (il reprend la pause), quand ce truc fonctionnait encore. C’est le plus gros achat de ma vie et six mois plus tard, il ne marche plus. (il soupire) Les vielles machines, il y a toujours un problème, c’est un puits sans fond ! Au début, tout va bien puis chaque synthé ou boite à rythme tombent en panne petit à petit. Il faut les faire réparer, cela coûte très cher. 

C’est du delay et de la reverb mais très très bien fait, avec un grain assez particulier qui n’existe plus sur les nouveaux modèles. Eventide a sorti ça en 82 ou 83 et c’est un classique de studio – il y a forcément des voix que tu as entendu qui sont passées dedans. Ça a un son très chaud, beaucoup de profondeur, une stéréo plus riche. C’est difficile à expliquer, comme la différence entre le vinyle et le mp3 ; il n’y a qu’une petite différence et si elle te plait, tu vas préférer cette machine. 

Tout est branché ici, la musique passe de la table de mixage à un enregistreur, puis l’ordinateur. Tous les effets sont reliés à la table et l’idée est de toujours travailler avec. Chaque synthé fait sa petite partie, ajoute son petit mot et comme un chef d’orchestre, la table peut faire jouer tout le monde en même temps. Une petite vie, un vaisseau spatial. 

Il t’a fallu du temps pour appréhender ces instruments-là ?

C’est pas tellement les instruments en eux-mêmes ; c’est plutôt le process de sortir de l’ordinateur et de toutes ses habitudes. C’était un peu dur au début, la transition est un peu longue et c’est un peu long de réapprendre tout ce que tu savais faire chez toi. Cela me sert à la maison, quand je n’ai pas de synthés : je comprends mieux ce que je fais, où est quoi. J’ai une représentation physique de mon logiciel et ça m’aide beaucoup sur ce que je fais. 

Est-ce que tu réécoutes tes anciens EPs ?

Je suis assez content oui. Mon frère m’a envoyé des sons que je faisais il y a très longtemps et je me suis dit que c’était pas possible ! (rires) Il y a de bonnes idées mais la réalisation est tellement pauvre. Il y a certains morceaux où je me dis que j’aurai pu ajouter des choses et d’autres non, j’en suis très content. Ces morceaux-là, quand je les ai faits je me souviens m’avoir dit « on peut s’arrêter là, il est bien. »

Tour-Maubourg, Paradis artificiels
Pont-Neuf Records

crédit photos – Thibaut Divay-Cessieux