Que va-t-on écouter en 2024 ? Probablement de tout, mais assurément un peu moins de house qu’auparavant. C’est que le genre est devenu, en l’espace de quelques saisons, bien moins écouté qu’avant – voire minoritaire. Il suffit de consulter l’offre clubbing sur un week-end dans la capitale pour compter sur les doigts d’une (seule) main les propositions. Dépassée, la house ? Le genre, qui souffle ses quarante bougies, est-il définitivement sur le déclin, emporté par l’accélération du tempo sur les dancefloors ? On a posé la question à des figures du milieu – DJ, programmateur et DA – aficionados du genre qui refusent d’abdiquer. 

« La house est nettement moins convoitée actuellement. » Le constat tombe rapidement de la bouche de l’un de ses plus grands ambassadeurs dans la capitale – le DJ, curator de compilations et organisateur des soirées La Mona, Nick V. La house, l’une des premières musiques totalement électroniques, porte d’entrée dans les galaxies des musiques dites répétitives et genre-monde qui a pavé le chemin à des décennies de groove et de BPM n’est plus au centre des attentions des noctambules. Un coup dur ? Pas tellement, nous répond-il. « Cela ne pose pas de problèmes – au contraire, le rapport à la musique est devenu plus sincère. » Moins de monde, et donc plus d’aficionados ? On peut y voir un rétrécissement des publics et un renforcement des communautés, là où il y a quelques années, tout Paris programmait, jouait et écoutait de la house. Une concentration sans exclusion, laissant la place aux fans de toujours et notamment les communautés de danseurs. Elles sont « très actives en France », poursuit Nick V. « Ce sont des gens qui sortent et qui s’intéressent aux musiques, aux courants, aux DJs. » La Mona, institution house qui accueillent danseurs et danseuses tous les mois à la Bellevilloise, continue de faire le plein, nous dit Nick. « La house attire encore énormément de public. »

Pourtant, impossible de ne pas constater une baisse significative – voire drastique des propositions house de week-ends en week-ends au fur et à mesure des saisons. On pourrait tenter de situer ce point d’inflexion au tournant des années 2020, quelque temps avant que le Covid ne mette tout à l’arrêt : un retour en force de la techno, du hard-groove et des musiques électroniques extrêmes – fortes, rapides, dures, métalliques et violentes, comme un exutoire à nos actualités moroses, musiques portées notamment par la vague warehouse mais aussi feu Concrète, étendard de nuits rapides. Depuis, la crise sanitaire a fait retourner la plupart des fêtards en club et la musique, sans s’être ralentie pour autant, s’est diversifiée. Un changement que Nick V n’a vu que récemment. « Je ne l’ai pas vraiment vu venir je dois avouer, peut-être parce que je sors moins qu’avant. J’ai commencé à le remarquer depuis peu, peut-être depuis un an ou deux – post-Covid en tout cas c’est sûr. Parfois les DJs qui jouent avant moi commencent très forts mais ils ou elles ralentissent le tempo avant de me passer la main, c’est comme ça que je l’ai remarqué… et je trouve ça sympa de leur part d’y penser ! » Un changement de vitesse que Benjamin Charvet, programmateur et DA chez Dure Vie (et au Badaboum également) a lui ressenti. « La house diminue depuis trois ans je dirais. » Il remonte un peu le fil : « la house était à la mode quand Dure Vie a démarré (il y a 10 ans, ndlr), et Dure Vie vient de la house. On en programme de moins en moins car les jeunes ne s’y intéressent plus. » Peut-on tenter d’en trouver les raisons ? Il y a, de l’aveu de Nick V et Benjamin Charvet, un élément perceptible mais difficilement prévisible : les effets de modes, les allers et retours entre les genres et l’histoire. Une histoire de cycles. « Les modes viennent et repartent de façon cyclique » affirme Nick V. « Les styles musicaux sont cycliques » abonde Benjamin. « Il y a des phénomènes de mode que l’on n’expliquera jamais. D’un coup, la house peut prendre des parts de marchés – sur la vente de tickets notamment – et les jeunes vont adorer. Puis, une nouvelle génération arrive, et pour eux, cela sera la techno, ou la minimale… »

Faut-il se tourner vers les artistes eux-mêmes pour y déceler une perte d’intérêt ? Les producteurs et labels, créateurs de musique et donc pourvoyeur de nouveautés pour les DJs, s’en seraient détournés ? Selon Benjamin, oui. « À mon avis et je ne dis pas que j’ai raison, la house est moins produite en France ou aux États-Unis par exemple. On en entend beaucoup moins parler, c’est moins relayé dans la presse. Cela s’est un peu estompé. » Nick V, lui, n’irait pas jusque-là. « Les producteurs et labels continuent à sortir de la musique régulièrement, je n’ai aucune difficulté à trouver de la bonne house toutes les semaines ! » La vérité serait peut-être entre ces deux analyses – chose que l’on peut confirmer. Chez Phonographe Corp aussi, les projets, disques et artistes house sont ne remplissent plus nos boites e-mails comme avant. « Il y a un sujet politique, selon moi », nous dit Benjamin. « La techno a des engagements et des valeurs politiques. Je ne dis pas que la house n’en a pas, mais la house est dans l’aspect festif, hédoniste, qui rentre moins dans des prises de positions qui tiennent à cœur les jeunes. » Un public engagé et aux faits des actualités et luttes sociétales se verraient donc plus dans une proposition mettant en avant des artistes parlant le même langage – et celui-ci n’est pas, ou plus, la house. Il poursuit : « J’en programme moins qu’avant chez Dure Vie, je l’avoue, et les très bons artistes house coûtent cher aussi, c’est un fait. Ils viennent de loin – l’aspect écologique compte, et on ne fait plus venir un DJ aller-retour de Détroit pour une date. »

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Qu’en déduire, alors ? La house ne déplaçant plus les foules, qu’est-ce qui remplit les clubs, en 2024 ? Tous répondent : la diversité, l’éclectisme. Denis Jelen, promoteur chez Free Your Funk, organisateur de concerts et soirées autour des musiques soulful et hip-hop, le voit aussi. « Le public est plus éduqué et plus éclectique aujourd’hui », annonce-t-il. Et s’il invite des DJs house et techno, c’est pour les faire sortir de leur cadre habituel. Il poursuit : « en 2024, on peut faire jouer Awesome Tapes From Africa des cassettes inconnues d’artistes africains, inviter un DJ colombien, Don Alirio, aux côtés de Guts qui enchaînera un titre de cadence antillaise avec un track afro-cubain sans perdre le public qui est demandeur. » Un tour du monde en 3-4 titres, qui se retrouvent aussi dans le cœur des musiques électroniques. « C’est très difficile de définir un style de DJs ou de genres » nous dit Benjamin Charvet, « car tous les artistes jouent de tout. Chose que la house fait moins, il y a un côté puriste. » Mal vu il y a plusieurs années, pouvoir élargir son spectre musical durant un set et s’ouvrir à d’autres choses est presque devenu indispensable aujourd’hui. Et la house, peut parfois paraître figée, compressée par ses propres définitions. Une nuit entière de house, sans excursion dans un autre territoire, peut rebuter un public à la longue. « J’aime bien mélanger house, disco et techno dont les tempos changent dans mes sets » nous explique Nick V. 

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Il y a peut-être une autre raison, d’image cette fois. Moins percussive et expressionniste qu’un banger techno, la house est moins jouée aussi de part un effet « d’efficacité », exacerbée par les réseaux sociaux et le jeu de la promotion. Nick V : « les réseaux sociaux poussent les DJs à vouloir témoigner du succès de leur prestation au moyen de videos très énergisantes, les sets deviennent calibrés. La norme actuelle est le set de 2 h, ce qui est un peu court pour raconter une vraie histoire. En si peu de temps, la plupart des DJs ne prennent plus de risques et préfèrent jouer safe en jouant valeurs sûres : bangers, bien rapides et bien péchus ! » Un track au long cours, aux pérégrinations mélodiques à rallonges est moins parlant qu’un drop, mais il reste pour autant des bastions, à Paris et ailleurs. Effets de modes, retours cycliques, la French Touch a par exemple refait surface, discrètement mais sûrement, chez quelques DJs depuis plus d’un an. Alors qui sait si d’ici à trois, quatre ans, la tendance générale ? « La house est quand même la première musique « électronique » de danse, celle qui est à l’origine de la plupart d’autres genres actuels » conclue Nick V. « Pour cela, tant que l’on écoutera de la musique électronique, on continuera à apprécier la house. » Let There Be House. 

Nick V (La Mona)
Dure Vie
Free Your Funk