Une fois la musique créée, enregistrée et produite, il reste une étape avant de pouvoir l’écouter sur les plateformes de streaming ou sur disque : le mastering. Finitions de l’ombre et travaux techniques, on vous embarque dans trois studios spécialisés dans cette opération d’orfèvrerie. Seconde étape chez David Cukier, membre de Flegon et ingénieur du son multitâches.

Pour créer un morceau, il y a, dans l’ordre des choses et pour simplifier au possible : l’inspiration, la composition, l’enregistrement, la production et le mastering. Les quatre premières peuvent se faire en même temps ou bien l’une après l’autre, dans un ordre défini ou bien très flou, c’est selon. Une chose reste, quand tout est fini, poli, lustré au possible : le mastering. Cette étape qui fait passer un titre composé en studio ou à la maison dans des cases bien définies, celles des normes d’écoutes et des standards, de la plateforme d’écoute basse définition au disque vinyle. Une étape qui prend donc un titre terminé (dans le sens de la composition et de la création) et l’amène vers un produit fini écoutable convenablement par tous. 

Une opération de finition, obscure car précise et technique, qui vient améliorer, forcément, les travers et défauts que les artistes ont mis dans leurs créations, intentionnellement ou non. Gommer les trous, pousser les ondes sonores vers un standard acceptable et accepté par les outils d’aujourd’hui – on parle de LUFS, pour Loudness Unit Full Scale, unité de mesure utilisé dans toute l’industrie qui a pour but d’imposer un volume sonore ressenti constant et égal entre différents titres pour éviter les changements trop brusques de volume et in fine, avoir une qualité d’écoute plaisante. 

Passer au mastering, c’est faire entrer ses productions dans ces normes donc. Et elles peuvent être très diverses : plateformes d’écoutes, mais aussi vidéo, vinyle, CD et aussi le club. Chaque support a ses propres spécificités et un des buts de l’opération est de faire en sorte que le morceau en question sonne le mieux possible pour l’écoute que l’on va avoir. C’est aussi diriger le titre vers le « son » que l’on souhaite avoir : renforcer les basses, garnir les aigus, alléger ceci, augmenter cela, vous voyez l’idée. Pour cette opération chirurgicale et parfois douloureuse, il est nécessaire de passer la main à des professionnels. Des studios de mastering, même à Paris, il n’y en a pas beaucoup. 

Équipements lourds, savoir-faire précis et coûts du travail : on a voulu en savoir plus sur ces métiers de l’ombre et ces lieux un peu magiques. Après une première étape chez Sodasound l’été dernier, direction Pantin et le studio de David Cukier, membre de Flegon et ingénieur du son multitâches. 

On arrive devant un immeuble résidentiel cossu, moderne, au mobilier en bois et aux grands balcons. La journée est grise, froide. Quelques minutes plus tôt, nous nous étions réfugiés dans un troquet à la sortie du métro pour laisser passer le déluge. Le temps d’un café et d’un peu de chaleur. David vient nous chercher : nous sommes à Pantin, à l’automne dernier. Quelques minutes de marche dans les rues de la ville et nous voici sur la terrasse attenante à un petit studio meublé et éclairé sommairement. On croise les collaborateurs de David et l’on descend rapidement au sous-sol ; une toute autre ambiance s’offre à nous, faite de bois massifs et chaleureux, de capitonnage ouaté et de machines ronronnantes. Il fait bon à présent et l’on installe sur le grand canapé en cuir, face à la console. 

David Cukier est ici chez lui. C’est un studio neuf, lancé il y a moins de six mois et qu’il a construit lui-même. Il nous raconte rapidement la somme de travail que cela représente, alors que l’on tarde à mettre le doigt sur tout ce qu’un studio implique : isolation, câblages haute-définition, électricité, circuits ouverts et fermés… Mais aussi et c’est un peu plus parlant, de la décoration ; des choix des différents bois, omniprésents ici. Des choix des meubles aussi, parfois construits par David et parfois chinés ici ou là. Une vibe très 70’s s’échappe des murs, époque bénie de l’économie des studios.

On le connait plus sous le nom de Greita, son alias en tant que DJ et producteur dans le combo Flegon aux côtés de DJ Stalingrad et Cebrak 2000. DJ et producteur donc, mais aussi co-dirigeant d’un label, Disques Flegon et, surtout, mixing engineer. La traduction la plus proche serait « ingénieur du son », mais ce n’est pas à tout fait ça. Ingénieur du son renvoie à de la technique, à un travail de l’ombre – de corrections, d’ajouts, de modifications. Il y a un peu de cela dans un quotidien derrière une immense console, mais pas que. « C’est un studio entre plein de métiers » nous précise David. Il y a du mix donc, dans le sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire terminer la réalisation d’un disque en harmonisant et équilibrant les différents éléments, les différentes pistes. Un mix que certain.e.s artistes font de leurs côtés, et que David peut se charger de corriger ou non. Ou bien le faire de A à Z. Cela se rapproche de la post-production d’un film – tous les éléments sont là, il manque des effets spéciaux et une touche supplémentaire d’âme. C’est ce qu’il appelle le « creative mixing » ; une vision moins technique et plus libre d’un mix. 

Et il y a donc le mastering, étape finale avant passage d’une œuvre sur un vinyle, un CD ou les plateformes d’écoutes. Un savoir-faire technique et rare, qui a un coût et qui pour bon nombre d’indépendants, se déroulait à distance dans les pays voisins (Allemagne et Angleterre), réputés comme moins chers et plus rapides. Avec forcément, quelques déconvenues à l’arrivée. « C’est un vrai savoir-faire » précise David, « un savoir-faire que j’ai acquis sur le tard. » D’abord musicien puis producteur, il a dû au fur et à mesure de la sortie de ses productions, maîtriser toutes les étapes de la fabrication d’un disque. Cela a commencé avec le mastering de ses propres productions, puis celles d’autres « jusqu’à devenir un boulot. »

Son studio se démarque de part sa taille et son fonctionnement. À taille humaine, il permet une plus grande liberté d’opérations – du mix au mastering donc, grâce au profil de David : multi-taches, multi-styles. Il nous explique qu’il ne se limite pas un style de musique, même s’il vient des musiques électroniques et qu’on l’y sollicite beaucoup. Un rapide coup d’oeil sur sa fiche Discogs nous en dit plus : microqlima, Antinote, D.Ko, Roche Musique, Chuwanaga, Promesses sont parmi ses clients réguliers, mais aussi et plus anecdotique, une compilation de Gilbert Montagné, Gilbert Chante Bécaud où David est crédité en tant qu’assistant. C’était en 2016 et depuis, il y a eu du chemin de fait. 

Plus agile que d’autres structures, David peut proposer des packs complets comprenant plusieurs étapes, de la post-production au mastering. La garantie d’avoir une seule et même personne sur tout le processus qui rassure, et qui donne une valeur créative ajoutée à un travail parfois jugé que par la technique. 

« Je n’aime pas fonctionner en one shot avec des clients » nous raconte t’il. « Il y a la question du feeling aussi. L’idée est de nouer des relations sur le long terme », au long de plusieurs projets. « On a des relations plus fortes et plus pertinentes. » Un gage de qualité.

crédits photos : Thibaut Divay-Cessieux