Fleuron de la club music anglaise, le label bristolien Timedance, emmené par Batu, sort une nouvelle compilation ces jours-ci. À la fois exercice de style, somme du moment et prospection furieuse, Sharpen, Moving concasse l’époque pour mieux s’en extraire. 

La leftfield music n’est pas, comme l’on pourrait le croire, une musique de gauche. Aucune référence démocrate, socialiste, communiste ou radicale ici : il s’agit plutôt d’une musique gauche car maladroite, bancale. Atypique et légèrement hors-cadre, ce courant volontairement imparfait a ses apôtres dans tous les pans de la musique, club y compris. Qu’elle soit house, techno ou bass, la leftfield club music pourrait passer comme la descendance indirecte de l’IDM – une descendance qui aurait mal tourné. Assemblage assez mouvant, on y trouve tout ce qu’il n’apparait pas ailleurs – cette appétence pour le décalage, le contre-temps, l’inattendu, le beau-bizarre même. 

C’est sur cette base, adossée à une dose conséquente de bass music plus traditionnelle que Timedance s’est lancé il y a cinq ans. Batu, tête chercheuse du label basé à Bristol, a constamment poussé les murs des clubs vers des horizons nouveaux, des chemins de traverse qui cassent quelques genoux et grillent des lobes frontaux. Bruce, Lurka, Ploy, Laksa ou bien Giant Swann, Simo Cell et Batu lui-même, c’est avec précision et régularité que les disques atterrissent dans nos collections personnelles, en bonne position entre Hessle Audio et Hemlock Recordings. Pour fêter les cinq ans au service d’un goût certain, Batu a réunit des habitué·e·s comme des proches du label sur une compilation. 

Un exercice de style souvent périlleux, qui tourne parfois à la redite de titres déjà sortis – ou pire, de versions bis – ou à l’autosatisfaction. Rien de tout cela ici : 12 titres originaux mêlent connus et moins connus, la Bristol Connection originelle et une nouvelle génération. C’est que le titre nous met sur la voie. Sharpen, Moving indique une direction. Akiko Haruna concasse cris, sirènes et drop sur son « Die and Retry » ; Mang & GRAŃ invitent les fantômes d’une rave sur leur « Live4ever », claviers trancey compris. Kit Seymour, qui ouvre le bal avec « Lost Caller » déroule lui un ambient teinté de slow-rave, inquiétant et métallique. « Total Paper » de Metrist, lancé dans une trilogie d’EP nommée Pollen, contourne tout aussi bien les règles du jeu de la club music qu’un A.G. Cook, boss de PC Music. Voix cutées, saccadées, rythmiques épileptiques : tout l’attirail de la post-club music est de sortie.

Tous ces titres ont valeur de prospection : ils ouvrent le spectre de Timedance vers des horizons nouveaux. Pas dans le sens d’une innovation, d’une trouvaille, mais d’une direction nouvelle. Positionnés aux côtés de « L9T », riddim abyssal du vétéran Peter Van Hoesen dont ne connaissait pas l’appétence pour les breaks et les ajouts de musique orientale, Batu et son label condense les sons, les scènes et les sens dans un disque global qui ne regarde son passé, ses cinq ans d’explorations musicales que pour mieux les catapulter dans un futur mouvant. 

Sharpen, Moving
Timedance