Cet article s’inscrit dans une nouvelle offre édito que nous souhaitons développer tout au long de l’année : des formats plus longs, qui prennent le temps de s’atteler à un sujet plus vaste, sans précipitation mais avec passion. Parce que les sorties s’accumulent à une vitesse indécente, il est parfois bon de faire un pas de côté : envisager un disque dans un contexte plus large par exemple, ou s’attarder sur une scène locale bouillonnante, ici comme à l’autre bout du monde. Prendre le temps. Discuter & ausculter un genre, un artiste, un sujet global, une époque, un club, une ville, hors calendrier de sorties ou d’événements. Prendre le temps, tout simplement.

Cette semaine, nous nous plongeons dans le catalogue du plus chaud d’entre nous, Favorite Recordings ! Entre rééditions french boogie, compilations AOR & albums funk, le label parisien fait partie de ces labels qui fouillent, creusent, exhument & dénichent des morceaux & musiciens oubliés pour les ressortir au grand jour. Il y en a pour toutes les niches, si bien qu’il semble avoir un temps d’avance sur nos goûts, nos envies & même le soleil. Nous allons voir & surtout écouter, toute la semaine, ce qui fait Favorite Recordings.

Sans plus d’introduction que nécessaire, nous avons fouillé dans le catalague du label pour tenter d’en tirer une essence, une ligne directrice, une histoire peut être mais définitivement, des pépites. 

Rééditions et compilations

C’est d’abord dans le créneau de la réédition que le label s’illustre : rééditions d’albums, et surtout, de compilations. Du côté de la réédition et comme chez n’importe quel label, on tombe souvent sur le même problème ; dans un LP, en général, tout n’est pas bon à garder. Et en même temps, il est bon de conserver la construction d’un album, qui est rarement conçue au hasard : bref, l’exploration des albums complets vaut tout de même le détour. Particulièrement, il faut aller goûter aux petits bijoux soul – funk de Lee MacDonald, « I’ll do Anything For You », « We’ve Only Just Begun », et Sweet Magic, l’album complet, qui comprend les deux pépites susmentionnées. Parmi les autres coups de cœur, il faut absolument aller écouter le gospel des Joubert Singers, « Stand On The World », sorti en 1985, dans une version a cappella et une autre discoïsée ; ”A” Train, sorti en 1979, avec son « Puerto Rican Hotel » qui ressemble à une BO de film de Tati ; ou encore la funk popisée de Byrne and Barnes dans “An Eye For An Eye” (originellement paru en 1981), kitsch, lacrymale, et pourtant très charmante.

Côté compilations, nous n’exagérerons rien en affirmant que toutes sont des réservoirs à tubes : que vous soyez fêtard invétéré ou rare noctambule, vous avez forcément entendu l’une des bombes contenue dans ces sélections Favorite. Et le plus beau, c’est qu’il ne s’agit d’un coup de chance ou de génie ; nombre de ces compilations se déclinent en trois voire quatre volumes.

Direction Brésil d’abord, avec les compils Brazilian Disco Boogie Sound. Le premier volume se resserre sur cinq ans, 1978-82, et a marqué durablement les dancefloors des années 2010, ce n’est pas peu de le dire. Cristina Camargo ouvre le bal avec l’excellent « Moral Tem Hora », encore très souvent joué aujourd’hui, suivie de Solange et son « Quero Um Baby Seu », plus intimiste, et néanmoins toujours dans cette veine disco-funk qui n’en fait pas trop. Et puis si ça marche aussi bien, c’est aussi grâce à la musicalité propre au portugais du Brésil : on ne le dit peut-être pas assez, mais la sonorité d’une langue a toujours un rôle de premier plan dans les chansons à textes, car à prosodie particulière, rythme et mélodie particuliers. C’est aussi dans ce disque que se trouve « Ripa Na Xulipa » de Rabo de Saia, qu’il n’est plus besoin de présenter tant on l’entend au moindre rayon de soleil depuis la sortie de cette compilation. Le deuxième volume brésilien contient « Cara Feia » de Kaito, au kitsch savoureux, une autre bombe de Cristina Camargo, ou encore le « Contigo » d’Adriana.

À découvrir aussi, les quatre volumes AOR Global Sounds – AOR signifiant Album-Oriented Rock, des morceaux à la signature sonore assez particulière, produits dans un format radiophonique. Toujours entre funk, soul, et rock, où les cuivres disco côtoient les guitares électriques. Parfois, on frise presque la musique d’ascenseur et pourtant, il en ressort toujours une petite pointe de nostalgie, une petite étrangeté, qui donne son cachet au morceau. À écouter en particulier : « Notturno Italiano », de Mario Acquaviva, kitsch, chic, et tout de même un peu bizarre, grâce aux arrangements, l’étrange et troublant « Orange Bleue » d’Isabelle Mayereau, entre Paul Eluard et grosse variété, « It’s always something with you » de Jeff Silna, à la disco pop mélancolique, « Prepad » de Boban Petrovic, « Quelques mots gentils » de Carol Ray Band, l’ensoleillé « Lihue » de Nohelani Cypriano, mâtiné de chants d’oiseaux …

On continue le tour du globe avec Caribbean Disco Boogie Sounds, sur une sélection de Waxist, qui comprend l’excellent « Cosmopolitan London » de Ray Williams à la funk hachée, « Let me love you » de Teddy Davis, à la mélodie extrêmement efficace – à souligner, puisque ce n’est pas toujours la plus grande force de la funk –, ou encore le sensuel « Comin’ at you » de Beres Hammond. Et puis puisque nous y sommes, il faut citer la très bonne compilation de Jeremy UndergroundMy Love is Underground, compilation qui l’a porté aux nues des publics du monde entier. Davantage house, voire deep house, tendant parfois sur le garage avec, là aussi, beaucoup de bombes : « Pressure » de Aaron Arce, dans la retenue, « Why ? » de Bipo, qui mérite une attention particulière sur les accords et arrangements, « In From Behind » de Caucasian Boy, fort malicieux, « Around the Way » de Level 3, 100% Chicago, et puis le bizarre « Is This Dream For Real ? » de Project Democracy feat. China – merci pour ce blason.

On finit avec la France et les compilations French Disco Boogie Sounds : là aussi, impossible de faire une sélection très juste, puisque tous les morceaux, ou presque, sont très bons. Mais si vous ne connaissez pas le boogie français nous vous en parlions dans un article dédié au genre ici les compilations made in Favorite sont une porte d’entrée idéale & luxueuse pour découvrir le charme si particulier de ce chanté-parlé disco en français, aux paroles toujours furtivement ironiques (lesquelles sont souvent plus subtiles et acides qu’on ne le croit…). Parmi les morceaux qu’il ne faut pas manquer : « Minuit, l’heure du swing » (Didier Makaga), la « Drôle d’histoire d’amour » de Kelly, dans sa version extended par Charles Maurice (aka Pascal Rioux, boss du label), « Un fait divers et rien de plus », évidemment, par le Club, « C’est toujours comme ça l’amour » de Toulouse, très funk, la météo de « Bye cocotiers » par Marc Ashy, « Funk Force Leader », d’Ideku Dynasty, le « Lait de coco » de Maya 

Production

Mais Favorite Recordings ne s’arrête pas à la réédition, et le label vaut aussi pour ses productions.

Lucas Arruda, d’abord, a déjà sorti plusieurs opus chez Favorite. Son Solar de 2015, d’abord, porte bien son nom et vaut le détour : comme souvent avec le musicien brésilien, ses productions funk & soul sentent bon le soleil, et les arrangements sensiblement jazz sonnent comme une BO de film italien à la Stelvio Cipriani. Particulièrement, le morceau éponyme, « Solar », brille par cette atmosphère et l’économie de ses paroles. Même genre de plaisir à l’écoute de son album « Sambadi », qui emprunte aux rythmes brésiliens, de la batucada (juste assez discrète dans « Batuque ») à la samba, pour les habiller de nouveaux atours avec son jazz doux.

Dans une veine plus afrofunk, aux rythmes francs et cuivres brillants, il ne faut surtout pas passer à côté de Voilaaa : l’album Des Promesses (2017), contient quelques très bons morceaux, à l’image de « African Music », ou encore « La France » (dont l’économie de paroles va droit au but, jetez-y une oreille). Et puis il y a l’excellent On te l’avait dit, réservoir à bombes de dancefloor ; c’est ici que vous trouverez le tube « Spies are watching me », et bien sûr, « Le Disco des Capitales », dont on se remet difficilement tant « ça danse », à Yaoundé, Toronto, Zanzibar, et j’en passe. Si tu sais marcher, tu sais danser …

Pour quelque chose de davantage jazz, qui laisse la part belle aux chorus, il faut prendre le temps de découvrir Andre Solomko. À noter, son disque Polaroïd, dont le morceau éponyme a quelque chose de très charmant, qui n’est pas sans rappeler le fameux « Parole, parole », par Dalida et Delon… Favorite a aussi lorgné vers le hip-hop, avec un très bon EP de Bonnie Banane, « Muscles ».

D’autres encore méritent d’être cités : Cotonete et Di Melo, d’abord, et leur jazz funk ensoleillé en portugais (encore), les multiples opus de Mr President et Mr Day, aka Bruno Hovart et Eric Duperray, sorciers dissimulés derrière bien des productions du label, ou encore Aldorande, dont l’album est encore tout chaud, sorti en juin dernier.

Bref : difficile d’opérer une sélection nette dans le catalogue foisonnant de Favorite Recordings tant chaque disque porte un petit quelque chose de particulier. Du très dansant au plus contemplatif, l’éventail est (très) ouvert ; sachez aussi que lorsque vous craignez de tomber dans le jazz d’ascenseur, il y aura toujours une petite harmonie ou une pointe de chaleur pour vous susurrer le contraire.