Après Central Processing Unit, Favorite Recordings ou encore le Japon, voici notre nouvelle label week : Music From Memory ! Fondé en 2013 par Jamie Tiller et Tako Reyenga, ce label de rééditions (mais pas que) se tourne autant vers l’ambient que la pop déviante ou le club, mais avec toujours ce goût pour l’inattendu, le pas de côté, l’expérimentation.

Toute la semaine, nous allons faire un plongeon chez Jamie & Tako donc, dans leurs disques qui élèvent l’âme : il y a eu un radioshow spécial sur les ondes du Mellotron, une chronique d’Origens Da Luz, réédition sublime de l’artiste brésilienne Priscilla Ermel, pleins de tracks sur les réseaux sociaux, un portrait du flamboyant chanteur et musicien Richenel. Mais tout de suite, direction la formidable collection d’ambiances sonores du groupe italien Ruins.

Sorti pour la première fois en 1984, ce singulier disque d’ambient porté le groupe italien Ruins fut l’objet de désaccords avec le label, et ne bénéficia que d’une pauvre diffusion : sa réédition par Music From Memory n’est que justice, vu la qualité du produit. Imaginé à partir des peintures de Luigi Viola, le disque se décline en une série d’impressions – sans doute est-il même plus juste de les appeler des « tableaux », tant le dessin des ambiances est fin. Fermez les yeux, et laissez-vous porter.

À l’origine de cette musique, des images : et même davantage, puisque musique et images devaient se nourrir l’une et l’autre, évoluer en symbiose. Avoir conscience de ceci aide à la compréhension d’un disque fondé sur la construction d’ambiances, enrichies par leur pendant visuel ; et pourtant, la musique est assez intéressante pour se suffire à elle-même, et y esquisse une trajectoire cohérente. L’ouverture « Heavenly Tide » est avec justesse pensée comme un lever de rideau, assez doux, presque modeste, et déploie une ambient très classique, pleine d’harmonies cosmiques. Les morceaux de ce type à la pulsation discrète sont nombreux sur le disque, mais dessinent à chaque fois des univers différents : « Night Tide », par exemple, est beaucoup plus sombre, presque inquiétant, et porte quelque chose de la musique d’Angelo Badalamenti dans le geste de la basse. Son mouvement, à la fois mélodique et non-mélodique, semble ne savoir où aller, et demeure irrésolu. « Dedicated To You », davantage lumineux, joue sur des effets de résonances, d’iridescences.

Mais Ruins ne s’arrête pas à l’ambient classique, et les passages purement dévolus à l’évocation d’une atmosphère trouvent leur pendant dans des morceaux plus rythmés. Ainsi, « Tomorrow » porte des structures rythmiques très intéressantes, quand « I love you » lorgne carrément vers la funk. Mais le bijou du disque est sans doute « Petit Portrait » : son rythme lent et obsédant parvient à merveille à retenir l’énergie ; de manière assez indéfinissable, les timbres se combinent à la perfection, tout en creusant un manque qui donne au morceau un petit quelque chose de mélancolique, une mélodie irrésolue, un jeu sur le manque de fréquences basses …

Inutile d’en dire davantage : Marea / Tide s’écoute aussi bien les volets fermés et les yeux clos qu’en regardant défiler les peintures de Luigi Viola – le tout, c’est de s’y plonger.

Ruins, Marea / Tide